110ème anniversaire de Habib Bourguiba: Le bourguibisme sans Bourguiba?
L’excès appelle toujours l’excès. L’attaque virulente, disproportionnée et irrationnelle dont Bourguiba et le Néo-Destour ont fait l’objet a fini par se retourner contre ceux-là mêmes qui l’ont orchestrée. A force de dénigrer outrageusement Bourguiba et le Néo-Destour, un retour de manivelle a fini par se produire, donnant l’exact contraire de ce qui a été voulu. Les réactions n’ont pas manqué d’être passionnées et irrationnelles, elles aussi, de sorte que la nostalgie l’a emporté sur l’analyse froide et qu’une page de notre histoire nationale a fini par être sacralisée, une sacralisation n’admettant aucune iconoclastie et pas davantage de critique ou de relecture. Pour avancer réellement dans la voie de la démocratie et de l’apaisement, aucun peuple, aucune nation ne peut se permettre un tel gâchis.
Commençons par Bourguiba. Au contraire d’un Marx, ou d’un Lénine, Bourguiba n’a jamais été un idéologue ni même un doctrinaire. L’exégèse n’est donc pas permise dans ce cas. Mais on se trompe lourdement sur le «bourguibisme» si on le tient pour du pur pragmatisme ou encore pour de l’opportunisme à la mode radical-socialiste de la IIIème république française. Pour paraphraser le Général de Gaulle parlant du gaullisme, on peut dire que le bourguibisme constitue essentiellement «un système de pensée, de volonté et d’action».
Bourguiba ne pensait pas pour le plaisir de penser ou pour construire une chapelle idéologique, mais pour exprimer une volonté, l’indépendance, la souveraineté et le progrès social, et pour faire aboutir un projet au moyen d’une action modulée et proportionnée. On peut dès lors soutenir qu’on ne peut faire du bourguibisme sans Bourguiba, comme on n’a pas pu faire du gaullisme sans de Gaulle ou du nassérisme sans Jamel Abdennaser.
Naturellement, le bourguibisme et la tradition destourienne se confondent, jusqu’à un certain point du moins. Cela explique que certains destouriens n’ont jamais pu se résoudre à n’être que des bourguibistes. Il n’en demeure pas moins vrai que le bourguibisme et la tradition destourienne se rejoignent pour construire un Etat moderne qui aille au-delà des fonctions régaliennes classiques afin de prendre en charge, directement, l’éducation et la santé, instrument d’émancipation et de progrès. Par là même, l’Etat devait rester maître du jeu politique et social et veiller à ce que les forces économiques et sociales ne commandent pas à la politique économique et sociale du pays. Il est vrai que cette tradition avait commencé à s’ébrécher avant même le 7 novembre 1987. Non pas que Bourguiba ait renoncé à la primauté de l’Etat en matière d’éducation et de santé tout particulièrement, mais parce que l’essoufflement, la complexité des choses et la pression de plus en plus forte exercée par certains bans de la société elle-même avaient entrouvert la porte à une dose de «privatisation» rampante jamais conceptualisée et maîtrisée depuis. Tout changea avec l’avènement du régime de Ben Ali et la constitution de son RCD.
Au contraire de Bourguiba et du Néo-Destour, Ben Ali et le RCD ont transformé l’Etat en un instrument d’aliénation et de répression au bénéfice d’un clan et d’une nébuleuse d’affidés avides et d’accaparateurs inassouvis. L’intérêt général finit par perdre pied. La mainmise du clan et des forces de l’argent sur l’Etat a transformé ministres et fonctionnaires en supplétifs dociles et finalement complices. Quant à la collusion entre intérêt général et intérêts particuliers, elle se mua sous Ben Ali en «mariage » tout court.
Un tel «mariage» aurait été inconcevable sous Bourguiba. L’éducation et la santé publiques ont été laissées à l’abandon ou perverties par des mesures démagogiques et populistes. L’équilibre social et la solidarité nationale perdirent tout sens. La question centrale de la place de la femme dans la société tunisienne n’échappa pas à une forme de révisionnisme. Si Bourguiba soutenait la question féminine par conviction et même par intime conviction, Ben Ali ne faisait que la brandir pour masquer ses méfaits aux yeux du monde. Enfin, quand Ben Ali arriva au pouvoir, la part des salariés dans le PIB n’était pas loin de la moitié, elle descendit sous les 30% à son départ.
En fait, tout l’acquis positif bourguibiste et destourien fut bazardé par Ben Ali et le RCD. Il en ressort que Ben Ali n’est pas l’héritier de Bourguiba, le RCD la ramification ou le continuateur du Néo-Destour, tout au contraire. L’usurpation a des limites, même en politique. Jadis, l’honneur avait commandé à ce qui restait de destouriens de ne pas adhérer au RCD et de ne pas collaborer avec Ben Ali. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à clamer leur opposition par voie de tract, au grand dam de Ben Ali et de sa police. Aujourd’hui, l’honneur commande aux ex-rcdistes de faire d’abord acte de repentance sans en appeler à l’héritage destourien et bourguibiste qu’ils ont sciemment trahi.
Habib Touhami
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Le Bourguibisme n'est pas une idéologie, c'est un état d'esprit et une philosophie de la "comédie humaine" qui tourne autour de l'amour envers la Tunisie et du monde politique qui l'entoure. Pour Bourguiba, la Méditerranée devrait être un espace de paix, d'entente et de solidarité entre les civilisations, les peuples et les religions dans un concept de biculturalisme arabo-musulman et chrétien. Le Bourguibisme à l'échelle tunisienne était la promotion de l'homme (éducation, santé, émancipation de la femme,...). Les seules défaillances du Bourguibisme en Tunisie étaient la dictature du parti unique et l'hégémonie égocentrique du combattant suprême!
BOURGUIBA est d'abord un Leader : c'est ce qui nous manque actuellement .Quant aux Destouriens où sont-ils passés : il n'y a pas que des RCDistes parmi eux . Ils sont, bien sur, aussi, si ce n'est pas plus, vieux que moi . Mais ils sont la fierté de la TUNISIE car c'est eux qui nous ont apporté notre indépendance et c'est eux qui ont fait de la vraie politique en accordant au Peuple Tunisien ce qu'aucun autre pays musulman n'a eu et n'en aura , peut-être , jamais . C'est un tort de ne pas faire appel à eux car leur expérience ( et aussi leur respectueux age ) peut donner confiance à nos citoyens . Il ne faut pas , tout le temps , en vouloir à ceux qui étaient là au moment du bannissement de tel ou tel parti . Y sont-ils pour quelque chose ? Ce qu'a fait BOURGUIBA pour les TUNISIENS est exceptionnel et seule sa double culture lui a permis de faire ce qu'il a fait , meme si des reproches peuvent lui etre faits concernant BEN YOUSSEF et la socialisation , heureusement provisoire ,de l'économie . Je lui en ai voulu longtemps pour cela , mais il restera , pour moi , toujours le Leader et celui qui a fait , socialement parlant , progresser la TUNISIE . Aurons-nous un nouveau Leader ?
Bourguiba était convaincu que le meilleur mode de gouvernance est la démocratie! Cependant le paysage socio-politique hérité du colonialisme ne privilégiait pas la démocratie: les Tunisiens étaient, pour la plupart, analphabètes, la démographie galopante entravait tout projet social efficient si bien que le président, connu pour son pragmatisme et son réalisme, a opté pour la politique des étapes qui caractérise toute sa démarche politique et réformatrice! Il a donc commencé par promulguer le CSP qui octroyait aux femmes des droits élémentaires, parce qu'il estimait qu'une société dont la moitié des membres est exclue du circuit social et économique ne peut pas évoluer. Ensuite, il a décrété la généralisation et la gratuité de l'enseignement, a ordonné l'édification de structures sanitaires et médicales dans les villes et villages, puis a légalisé l'avortement et créé le Planning familial afin de contrôler les naissances! Ces mesures s'inscrivent dans sa politique générale et constituent les prémisses d'une société ancrée dans les valeurs démocratiques de toute société qui se veut pionnière et évoluée! En définitive, toutes les réformes qu'il a imposées aux Tunisiens, avaient pour rôle essentiel de préparer les bases et les fondements de la démocratie, parce qu'une société souffrant des tares endémiques qui caractérisaient la Tunisie des années consécutives à l'indépendance, ne pouvait pas prétendre à la démocratie !
j'ai lu avec intérêt cet article de notre éphémère ancien ministre de la santé.Pour moi seule la réécriture de l'histoire de notre pays par de vrais historiens neutres peut juger l'action du leader Bourguiba.Seulement je me permet de demander à Habib Touhami de nous éclairer sur les raisons de son brusque limogeage par Bourguiba quelques mois après son investiture à la tête du MSP....Par là commence la réécriture de notre vraie histoire.
Dans l'epopée bourguibienne, il y a autant d'éclats que de couacs. Bourguiba le sage aurait pu partir au faîte de sa gloire.Mais Bourguiba l'illuminé préfera rester à Carthage. Avisé par ses medecins traitant que ses forces physiques et surtout mentales étaient amoindries, il aurait dû quitter ce Fort en 1967 après dix ans d'exercice de pouvoir somme toute collegial grâce notamment à ses deux alter-go Taieb Mhiri et Ahmed Tlili, avant d'en être extrait manu militari en 1987 par le général qu'il s'était choisi comme bras droit. Ce dernier avait justement le bras long ..C'est normal me diriez vous, puisque c'est celui d'un felon !Fort d'un certificat médical de complaisance cette fois-ci , il décrèta orbi et urbi la paralysie du "Combattant Suprême". Après 33 ans d'une ère de lumière (1934-1967) la Tunisie connaîtra 33 ans (1967-2010) un théatre d'ombres et d'entourloupes... On ne meditera jamais assez les exemples, oh combien instructifs, de deux leaders africains : SENGHOR d'abord mais surtout MANDELA.... L'ESSENTIEL , EN POLITIQUE, C'EST DE PARTIR à TEMPS!
Excellente question par EMDE. Il faut la poser en fait aux 177 ministres limogés par Bourguiba durant son règne (voir le livre de Mounir Charfi: Les Ministres de Bourguiba), à commencer par Mohamed Masmoudi, Mongi Slim et autres, voire même son Premier Ministre Béhi Ladgham. Le témoignage des vivants et les documents laissés par les autres nous éclaireront sur cette époque et les conditions de leur départ du gouvernement. Salah Gabsi, Historien, Aix-en-Provence