Sauver Ennahdha d'elle-même pour consacrer une vraie alternance politique en Tunisie !
Il y a une constatation irréfutable en ces circonstances exceptionnelles que vit le pays, après le lâche assassinat du martyr Mohamed BRAHMI et les attaques sauvages au CHAAMBI : La confiance entre la Troïka et les Partis d’opposition d’une part et la Troïka et la majorité du Peuple Tunisien d’autre part est érodée.
Si après la démission de M. JEBALI, il y a eu reconnaissance de l’échec de la politique suivie par son Gouvernement, ce fait ne semble pas du tout ressortir jusque là des déclarations récentes du Chef du Gouvernement et de certains des dirigeants de la Troïka.
Cette grave crise que notre pays vit dans la peur et qui augure d’une confrontation violente entre les deux grandes tendances à savoir celle qui refuse catégoriquement de remettre en question la légitimité électorale de l’ANC et celle qui croit que cette légitimité est frappée de caducité par suite d’un large mouvement populaire de contestations et de désobéissance civile dans certaines régions. Ces deux tendances dissimulent en réalité une différence de nature du modèle de société tunisienne que chaque partie voudrait instaurer.
Nous sommes en fait devant une impasse politique et juridique qui consiste d’une part aux demandes cumulatives de mettre fin au pouvoir transitoire par la dissolution de l’Assemblée Nationale Constituante et la démission du Gouvernement et la mise en place d’un Gouvernement de technocrates ou d’un Haut comité de Salut National et d’autre part de celles de retour au dialogue pour trouver encore des compromis de nature à achever, à brève échéance, la transition démocratique devant mener le pays aux élections.
Devant une probable rupture entre les protagonistes avec toutes les conséquences graves qui pourraient en découler pour le pays en raison de l’existence certaine d’ interférences étrangères, de menaces effectives de terrorisme avec leurs projets géostratégiques propres et une détérioration drastique de la conjoncture économique, financière et sociale, la Sagesse commande aujourd’hui l’exigence d’une solution qui sauve le pays d’une « réelle Révolution » qui déchirerait le tissu social d’une part et le retour par le dialogue – consensus à un examen sérieux des problèmes ayant provoqué la Révolution de la liberté et de la dignité d’autre part. L intérêt supérieur de la Nation et la bonne foi de toutes les Parties concernées sont seuls capables de faire éviter le pire à la chère Tunisie.
En effet, si la dissolution de l’ANC semble juridiquement discutable à moins que l’Assemblée n’accepte d’elle-même de le décider en tant qu’Autorité souveraine émanant d’une volonté résultant d’élections libres et démocratiques, la démission du Gouvernement est, par contre, évidente dans la conjoncture complexe et grave que vit le pays sur tous les plans.
Quelle solution pratique est à envisager si tous les Partis et autres Forces politiques représentés à l’ANC et les différentes Parties au sein de la Structure du Dialogue National initié par l’U.G.T.T , accept
ent de nouveau les règles du jeu démocratique ?
Rappelons tout d’abord que l’avant propos du Décret n°6 du 16 Décembre 2011, portant organisation provisoire des Pouvoirs Publics, reconnaissaît à l’ANC, outre l’élaboration d’une Constitution, notamment le droit « de présider à la gestion des affaires du pays » par référence aux objectifs de la Révolution alors que l’article 7 dudit Décret précise qu’ «en cas de circonstances exceptionnelles empêchant le fonctionnement normal des rouages des pouvoirs publics et rendant l’ANC dans l’incapacité de poursuivre son travail normal, Elle a pouvoir, à la majorité de ses membres, de déclarer que les circonstances exceptionnelles sont constatées et de déléguer sa compétence législative ou une partie d’elle, au Président de l’ANC, au Président de la République et au Chef du Gouvernement. Les trois Présidents exercent les pouvoirs qui leur sont confiés par décret adopté par consensus.»
Sur cette base juridique et en considération de la constatation de données objectives établissant, sur les plans politique, sécuritaire, économique, financier, social et extérieur, les menaces qui visent le pays, l’Etat, la République et la cohésion nationale, il apparaît que les conditions sont réunies pour proclamer que le pays vit des «circonstances exceptionnelles».
Aussi est- il possible d’envisager le scénario ci-après :
1) L’ANC se réunit et décide à la majorité de ses membres de confier - pour une période de sept mois - ses compétences législatives et la gestion des affaires du pays aux trois Présidents qu’ils exerceront au sein d’un Conseil de la République où siégeront des membres choisis à raison d’un membre par Parti ou Formation représentés à l’ANC - y compris le Groupe des députés indépendants- d’un membre pour chaque Partie représentée dans la Structure du Dialogue National initié par l’UGTT et de toute autre structure dont la représentation est jugée nécessaire par le Conseil qui adopte toutes ses décisions par consensus sous la Présidence du Président de la République. Le Conseil de la République reste en session ouverte en raison des circonstances,
2) Le Gouvernement en place devra démissionner selon les procédures en vigueur avant la mise en place du Conseil de la République,
3) Le Conseil de la République désigne un Gouvernement - dont la nature est à convenir- chargé d’exécuter les décisions du Conseil ou celles qu’impose la gestion courante des rouages de l’Etat à charge d’en référer au Conseil,
4) Le Gouvernement dont le Chef est à déterminer par consensus, sera formé au plus de 12 Ministres reconnus pour leur compétence. Le Chef du Gouvernement et les Ministres renonceront à leurs droits de se porter candidats aux élections législatives,
5) Les fonctions du Président de la République et celles du Président de l’ANC seront assumées dans le cadre du Conseil de la République,
6) Le Conseil de la République devra se prononcer sans délais notamment sur les questions suivantes :
a) Désignation d’un Comité de dix experts indépendants reconnus pour leur compétence pour préparer, par référence aux travaux en la matière à l’ANC, un projet définitif de la Constitution et un projet de la loi électorale ; le projet qui ne sera pas adopté par le Conseil de la République sera soumis au référendum dans les meilleurs délais,
b) Le Conseil de la République parachèvera la constitution du Haut Comité Indépendant pour les élections,
c) Les Institutions créées par l’ANC et ayant commencé à exercer leurs attributions poursuivront l’accomplissement de leur fonction à moins d’une décision du Conseil de la République qui peut recourir à la constitution de Comités ad hoc,
d) Le Conseil de la République décidera :
- de la dissolution des Ligues de Protection de la Révolution et de toutes autres structures pratiquant la violence,
- de la révision des nominations dans l’Administration Centrale et organismes sous tutelle de l’Etat depuis le Gouvernement de la Troïka,
- d’une trêve sociale excluant toutes formes de doléances à caractère matériel pour la durée du mandat du Conseil de la République en vue de relancer le processus de normalisation de l’ensemble de l’appareil productif. Il est entendu que les libertés et droits fondamentaux s’exerceront sans aucune restriction.
7) Le Conseil de la République et les structures provisoires crées et résultant de l’exercice de ses attributions, seront dissous de fait dès mise en place des Institutions Républicaines prévues par la Constitution.
La situation de gravité que vit le pays et qui pourrait prendre une tournure de déstabilisation généralisée de L’Etat pour une durée difficile à déterminer, engage la responsabilité des courants politiques qui se sont laissés entraîner dans des diatribes partisanes, non conformes ni à la vocation naturelle de la Tunisie, ni aux objectifs de la Révolution, ni à son environnement historique et géographique ce qui a favorisé une division fratricide du Peuple tunisien musulman dans sa quasi-totalité.
Il est vrai que les électeurs qui se sont rendus aux urnes le 23 Octobre ont subi des déceptions diverses par suite du changement des orientations auxquelles ils ont cru ou par la dénaturation des objectifs pour lesquels ils se sont engagés. Cette constatation s’est conjuguée avec les scènes ridicules observées lors de certains travaux de l’ANC sur fond d'assassinats politiques et l’exercice courant des menaces et violences. Tous ces éléments ont jeté le discrédit sur l’ANC,
Dans cette configuration, la Troïka à qui incombe la plus grande part de responsabilité historique comme entité exerçant le Pouvoir et l’opposition par sa désunion, il est un fait qui établit que le Parti de la Tendance Islamique ( ENNAHDHA à présent) a, au cours de son histoire mouvementée, changé «sa nature nationale» pour se greffer à des Mouvements de Confrérie développant une stratégie qui n’a rien à voir avec le Modèle de Société auquel le Peuple tunisien aspire et qui a été enrichi par la Révolution de janvier.
Aussi, la sagesse commanderait t-elle aujourd’hui à tous les courants politiques et Forces vives de Tunisie de donner l’occasion à ENNAHDHA de se réhabiliter et de se réconcilier avec l’Environnement National Tunisien et de se positionner comme toutes les autres formations politiques dans le processus démocratique, s’inspirant de l’alternance politique - formidable- telle que l’on a vécue pour la première fois de notre histoire politique avec le Gouvernement de M. Béji CAID ESSEBSI, par la renonciation pratique à des projets incompatibles avec la richesse du patrimoine civilisationnel de la Tunisie.
De cette façon, les Forces démocratiques tunisiennes et autres de bonne volonté aideront ENNAHDHA à sauver ENNAHDHA d’Elle-même et d’engager sans tarder le processus de normalisation démocratique de la Révolution de tous les tunisiens ; les intérêts supérieurs de la Nation , la tolérance et la garantie des droits politiques et économiques de toutes les franges des populations et des Régions et la relance rapide de l’Economie tunisienne devront être les éléments incontournables de cette Réconciliation Politique en Tunisie où tout courant politique « Pacifique, National et Républicain » pourra avoir sa place dans le paysage politique tunisien pour l’amour de la cohésion et de la solidarité du Peuple tunisien. La Patrie sera, dans ces conditions, invulnérable. La Tunisie ne peut se permettre dans le contexte décrit ci-dessus une confrontation violente entre ses enfants !
L’Histoire ne pardonnera jamais !
Salem Fourati
Ambassadeur de Tunisie à la retraite