Campagne Irhal : véritable enjeu pour tous les acteurs politiques
Le défi lancé par le Front de Salut National de faire partir, sous la pression d’une campagne intitulée « Irhal », délégués, gouverneurs et chefs d’entreprises publiques nommés sur la base de leur allégance à un parti au pouvoir est décisif. Déclenché à partir de ce lundi 19 août il entend s'étendre sur l'ensemble du pays. Le degré de réussite qu’il pourrait enregistrer constituera un indice majeur quant à la capacité de ce mouvement à mobiliser les masses populaires dans les 24 gouvernorats et 265 délégations qui composent la Tunisie. Très contrariés par cette initiative, les partis au pouvoir, tout en la dénonçant fortement, la suivent de très près, craignant de voir «la Tunisie sombrer dans le chaos». Ministre conseiller auprès du chef du gouvernement et l’un des principaux dirigeants d’Ennahdha, l’a réitéré lundi, mettant en garde contre "un complot contre la légitimité" et une "tentative de déliquescence de l’Etat".
L’enjeu est en effet de taille et le poids effectif des formations politiques en présence risque de changer. Ebranlé par le rapprochement du Front Populaire et l’Union pour la Tunisie, Ennahdha se déploie pour reprendre le dialogue avec Nida Tounès. Son chef, Rached Ghannouchi ira jusqu’à faire le déplacement à Paris pour y rencontrer Béji Caïd Essebsi. Le but n’est pas seulement de débattre de la sortie de crise (gouvernement, ANC, etc.), mais aussi d’isoler le Front Populaire, estiment nombre d’observateurs. Le parti islamiste qui connaît bien l’ancrage du parti de Hamma Hammami et la portée de son discours veut à tout prix éviter le déclenchement d’un mouvement de désobéissance même civile et non-violente et une prise en main des pouvoirs locaux et régions par des comités autoproclamés. Les quelques mois passés maintenant au pouvoir ont appris aux dirigeants d’Ennahdha, notamment ceux qui sont au gouvernement et dans des postes officiels sur le terrain, l’ampleur et les conséquences de pareilles insurrections.
Le spectre de cette hantise a sans doute hanté les travaux du conseil de la Choura d’Ennahdha, comme ceux du conseil national d’Ettakatol, réunis le weekend écoulé, le premier à Tunis et le second à Sousse. Un plein pouvoir a été accordé aux instances exécutives et aux leaders des deux principaux partis formant la Troïka au pouvoir, pour reprendre le dialogue national et aboutir à une sortie de crise, acceptable de tous, même si les positions ne sont pas toutes convergentes. Cette marge de manoeuvres laissée aux décisionnaires devra en fait prendre en compte le déroulement sur le terrain de la campagne Irhal. Beaucoup en dépendra en fait.
Mutisme des partis sur l'essentiel, mais forte aggravation de la situation économique
Le conseil de la Choura a entériné les positions proclamées précédemment, le refus d'un gouvernement apolitique optant pour un gouvernement nationale présidé par Ali Laarayedh. Affichant cependant plus de souplesse, il se déclare acquis à la reprise du dialogue national sous le parrainage de l’UGTT (avec l’UTICA, la LTDH et l’Ordre des Avocats) et de la présidence de la République.
Quant au conseil national d’Ettakatol, il a fixé comme non-négociables la formation d’un gouvernement de non-partisans, la dissolution des LPR et autres associations similaires, la révision des nominations récentes et la neutralité de l’Administration ainsi que des lieux de culte.
Alors que se poursuivent les consultations politiques tous azimuts et les gouverneurs, délégués et chefs d’entreprise publiques concernés sont sous menace de destitution, l’économie tunisienne plonge dans une grave dérive. « Inquiétante, mais pas catastrophique, tente de relativiser le ministre des Finances, Elyès Fakhafakh (Ettakatol) qui promet de livrer bientôt à, la presse tous les indicateurs. Quel est le taux d’enfer à ne pas atteindre ? Chaque jour, la situation se dégrade davantage et les finances s’enlisent encore plus profondément. Dans les états-majors des partis, rares sont ceux qui semblent s'en inquiéter. Les deux risques majeurs qui menacent le plus gravement la Tunisie et échappent à tout contrôle sont le risque sécuritaire et l’explosion de la contestation sociale. L’effondrement du système financier et de l’économie en général s’y ajoute dangereusement.
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