A propos de la gérontocratie
L’article publié récemment par Leaders sur « la gérontocratie » appelle les remarques suivantes.
1- Si « la révolution n’a pas eu de leaders », c’est tout simplement parce que l’opposition « démocratique » n’était armée ni pour la déclencher ni pour la conduire. Cette défaillance perdure encore aujourd’hui sinon cette opposition se serait souciée avant tout de proposer un programme commun de gouvernement qui puisse l’unir, à défaut d’avoir souscrit à un mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours qui aurait fini par imposer l’union. Au reste, ce mode est le seul à pouvoir clarifier les alliances partisanes et la vie politique en général, ce que certains redoutent apparemment.
2- A partir d’une certaine époque, l’incapacité de Bourguiba à renouveler les générations est devenue inévitable, et ce pour deux raisons. La première est que l’on ne peut procéder à ce renouvellement quand le chef de l’Etat atteint lui-même un âge canonique. « La vieillesse est un naufrage » disait de Gaulle à propos de Pétain. La seconde est que ce renouvellement s’accorde très mal avec un régime ultra présidentiel qui se targue en plus d’une légitimité historique. Dès ma première entrevue avec lui, j’ai pressenti l’incompréhension qui allait s’installer invariablement entre lui et tout jeune du gouvernement.
3- Toutefois la question de l’âge ne doit pas être sortie de son contexte. Mandela est devenu président de son pays à un âge très avancé, ce qui ne l’a pas empêché d’accomplir ce qu’il a accompli. La personnalité des « vieux », autant que l’environnement institutionnel ou la qualité du personnel politique en place, peut jouer pour que la gérontocratie ne se transforme pas en un malheur récurrent.
4- Il existe, dans l’absolu, des vieux qui pensent comme des jeunes et des jeunes qui réagissent comme des vieux. L’erreur pour les vieux est de croire que l’expérience remplace l’enthousiasme alors que l’erreur pour les jeunes est de croire que l’enthousiasme peut se passer de l’expérience.
5- Un dernier point. Certes, le pays a besoin que l’on passe très rapidement le témoin à de nouvelles générations. Mais pour réussir, ce passage de témoin requiert que ces générations consentent à faire très vite l’apprentissage difficile et rébarbatif de la gestion des affaires publiques, et plus encore à faire preuve de ce patriotisme, de cette abnégation et de cette fascination de la création ayant été à la base de la réussite des générations de 1956. Dans ce cas aussi, l’expérience et la sagesse des « vieux » seraient sans aucun doute d’un apport appréciable. Après tout, dans une course de relais, le témoin doit passer des uns aux autres sans être lâché sinon l’équipe est disqualifiée.
Habib Touhami