Opinions - 08.09.2013
La maîtrise du contrôle des frontières Sud-Est : une urgence nationale absolue
La Tunisie affronte de nos jours une crise générale à trois composantes essentielles : certes politique mais surtout économique et sécuritaire. En laissant la politique aux politiciens, mes propos se limitent aux champs économique et sécuritaire. Dans ce qui suit, j’essaierai de montrer pourquoi la maîtrise du contrôle des frontières doit-il être la première des priorités du pays et ce pour de longues années à venir ?
Faire face au fléau de la contrebande permet, simultanément et indifféremment, de faire face, d’une part aux menaces sécuritaires dont notamment le terrorisme et d’autre part contribue à limiter les risques d’effondrement de l’économie et par la suite à aider son redressement.
Pour mieux comprendre l’approche que je propose, il y a lieu de se rappeler que la contrebande est le passage, dérobé au contrôle des services étatiques, de marchandises de toute nature, d’animaux et même d’êtres humains, à travers les frontières terrestres , maritimes et aériennes . Ainsi, en traitant de la contrebande de nos jours, celle-ci doit être considérée au sens le plus inclusif et ne pas la réduire aux seuls produits aux prix nettement différents des deux côtés de la frontière tels que produits alimentaires, cigarettes, boissons alcoolisées et drogues mais cela inclut aussi les armes, les munitions, les explosifs ainsi que les êtres humains. En effet, à travers des frontières poreuses, peu ou mal contrôlées, peuvent s’infiltrer aussi des personnes agissant hors la loi, cela va des simples immigrants clandestins à la recherche du travail, aux contrebandiers, aux criminels fuyant la justice sans exclure les terroristes ainsi que les associés directement ou indirectement aux activités terroristes.
Des considérations à préciser
A ce stade, quelques considérations sont à préciser :
- La contrebande concerne sans distinction les volets économiques et sécuritaires, d’ailleurs les contrebandiers des secteurs économique ou sécuritaire agissent, pratiquement selon les mêmes modes opératoires, avec les mêmes moyens et suivent les mêmes circuits et filières. D’ailleurs une même opération de contrebande peut bien être combinée et porter en même temps sur de la marchandise, disons ordinaire, et de l’armement et des munitions sans exclure non plus le passage illicite de criminels et terroristes parfois à l’intérieur même de camions chargés de marchandises diverses . La connexion entre contrebande de produits de commerce, celle d’armes et de munitions et les mouvements illicites transfrontaliers de terroristes s’est à plusieurs reprises vérifiée lors des saisies effectuées par les services douaniers et de sécurité intérieure. D’ailleurs, un contrebandier de produits de commerce peut très bien devenir un associé aux terroristes et même un terroriste tout court ; l’exemple le plus édifiant serait le fameux Mokhtar Belmokhtar, à l’origine grand contrebandier, principalement de cigarettes, ce qui lui a valu le surnom de Mr Marlboro, s’est rallié à l’AQMI ( Al Qaeda au Maghreb Islamique) pour lui fournir surtout armes et argent, et finir depuis quelques années, chef du groupe Les signataires par le sang et un redoutable terroriste au nord du Mali.
- De l’autre côté, le contrôle efficace des frontières constitue une réponse en même temps aux retombées néfastes d’ordre économique et sécuritaire de la contrebande. D’ailleurs, la lutte contre la contrebande économique et/ou sécuritaire, est menée par les mêmes services, Douanes, Garde Nationale et Armée ; et à peu de choses près, avec les mêmes moyens et techniques.
Ainsi, pour la Tunisie, Contrebande et Terrorisme constituent aujourd’hui sur le plan opérationnel, une même double menace à laquelle on peut faire face par une même stratégie c.a.d. un objectif, une approche et des moyens.
En ce qui concerne les défis auxquels fait face aujourd’hui la Tunisie, éviter l’effondrement de l’économie et éradiquer le terrorisme, passent en grande partie par la lutte contre la contrebande, ou plus précisément, par la maîtrise du contrôle des frontières nationales maritimes et surtout terrestres. Mais cela n’est envisageable avec réalisme et chances de succès, que si on tient compte de la situation sécuritaire prévalant dans les pays voisins et pour des raisons évidentes en premier lieu celle en Libye, car la situation aux frontières ouest quoique inquiétante, reste pour différentes raisons, relativement plus maîtrisable. En effet, la situation dans ce pays frère et son développement prévisible, imposent avec insistance et en urgence un véritable plan national que l’Etat doit impérativement adopter et sans plus tarder mettre en œuvre pour sauver le pays, encore une fois, sur les deux plans sécuritaire et économique.
Cependant, ce plan doit être conçu dans la durée car la Tunisie est, à mon sens, condamnée à subir les retombées néfastes de la situation sécuritaire précaire en Libye, pour encore de longues dizaines d’années. Ce pays frère constitue, malheureusement, une source intarissable d’armes, de munitions et d’explosifs et un champ libre aux terroristes pour recruter, se rencontrer, s’organiser, s’entrainer et planifier leurs actions avant de passer à l’acte final sur le territoire tunisien. D’ailleurs, même si cette source viendrait à tarir, elle sera aisément alimentée à partir des pays qui lui sont limitrophes et qui constituent à leur tour un vaste champ d’activité aux réseaux de contrebande d’armes.
Un besoin urgent à renforcer le contrôle de toutes nos frontières
De ce qui précède ressort un besoin urgent de renforcer le contrôle de toutes nos frontières mais avec une urgence extrême au sud-est du pays et particulièrement le long de la portion de frontière entre le poste de Lorzot au sud et la mer au nord. Le choix de cette région est dicté à la fois par l’importance du volume des échanges humains et commerciaux transitant régulièrement par Ras-jedir et Dehibet, la géographie physique et humaine de la zone et forcément par la situation sécuritaire chez nos frères libyens et les possibilités de son développement qui ne laissent malheureusement pas de place à la moindre note d’optimisme.
Un véritable plan national est donc à élaborer et à mettre tout de suite en œuvre avec l’objectif ultime de faire face à la contrebande pour arrêter les flux illicites de trafic d’armes et de marchandises et contribuer ainsi à couper les lignes de ravitaillement des terroristes en armement, munitions et explosifs d’une part et protéger l’économie nationale régulière des effets néfastes du commerce parallèle résultant de la contrebande, avec en priorité la région limitée par Lorzot, Dhéhibet, Ras-jedir, la mer, Benguerdane et Remada. Ce plan peut comprendre, en première urgence, les composantes suivantes :
- La création d’un commandement militaire spécifique dont la zone de responsabilité couvre la frange frontalière entre Lorzot au sud, la mer au nord en passant par Dhehibet et Rasjedir et dans une profondeur d’une trentaine de kilomètres à l’intérieur du territoire national. Dans un souci de réactivité immédiate et d’efficacité, ce commandement devra disposer au sein de son Etat-major dans la zone, d’une cellule de coordination interservices Armée, Garde Nationale et Douane.
- L’organisation d’obstacles aux mouvements des véhicules et des piétons surtout d’Est vers l’Ouest, par exemple une tranchée renforcée d’un talus du coté libyen le long de la frontière avec en priorité les zones de circulation facile,
- L’aménagement de chemins de ronde de patrouilles le long de la frontière,
- L’instauration d’un système de patrouilles combinées, à pied et montées sur différents vecteurs selon le terrain, à dos de méharis, sur motos, sur véhicules et à bord d’hélicoptères, sachant qu’à chaque vecteur correspondent des points forts et des limites,
- La création de sites d’observation à vue mais surtout par des moyens électroniques adaptés,
- Le redéploiement des forces militaires, de la Garde Nationale et de la Douane et au besoin les renforcer par des équipements appropriés, et ce dans une vision d’un dispositif complet mais unique et non de trois dispositifs fonctionnant séparément et tout simplement juxtaposés sur un même terrain. Il s’agit donc de mettre en œuvre un dispositif sécuritaire unifié, capable de mener un ensemble d’actions complémentaires et où chaque partie exerce ses prérogatives spécifiques institutionnelles en soutien à la mission globale qui reste le contrôle effectif et efficace des frontières,
- Enfin et surtout, un ensemble de règles de procédure et de coordination entre les différents intervenants.
Evidemment, ce plan d’urgence, limité dans l’espace est insuffisant à lui seul au vu de l’ampleur des menaces sur l’ensemble du territoire national et le long des frontières non seulement Est mais aussi Ouest, d’où la nécessité de poursuivre les efforts déployés depuis toujours le long des frontières des autres régions du pays ainsi que leur renforcement. Quant à la dernière décision présidentielle de création d’une zone militaire frontalière, elle serait à insérer dans ce plan général et à traduire en mesures pratiques et concrètes.
Ainsi, la situation économique et sécuritaire dans le pays, jugée presque par tous très préoccupante, exige donc des responsables du pays au plus haut niveau d’accorder au dossier de la maitrise du contrôle des frontières l’intérêt et l’urgence qu’il mérite en tant que stratégie à double objectifs, faire face dans une très large mesure aux menaces sécuritaires dont notamment le terrorisme ; et en même temps juguler le commerce informel et ses effets néfastes sur l’économie toute entière.
Certes, le fléau de la contrebande ne sera pas entièrement résolu par le succès du seul plan présenté ci-dessus, au contraire la contrebande à elle seule nécessite toute une stratégie qui ne peut réussir que si elle est soutenue par une volonté nationale et avant tout politique, ferme et déterminée; condition à mon sens non encore satisfaite!
Mohamed Meddeb, Général de Brigade (retraité) -Armée Nationale -
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