Opinions - 26.09.2013

Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de la santé publique

Unique  en Tunisie et à vocation nationale, créée en 1975, la Faculté de Pharmacie de Monastir a démarré avec une poignée de jeunes enseignants volontaristes,  et compte aujourd’hui  presque cent cinquante enseignants  hospitalo-universitaires (HU) pour la majorité , éparpillés dans les différents  Centres Hospitalo - Universitaires (CHU) du pays.

Mais cette institution conçue au démarrage pour former au maximum une centaine de pharmaciens par promotion, fonctionne maintenant avec  un effectif supérieur à trois cents  avec des problèmes énormes au niveau des locaux et des équipements, dont les conséquences sont désastreuses quant à la qualité de la formation et de l’encadrement.

Au départ, une niche d’idées…

Cette institution a pour vocation la formation des pharmaciens, des spécialistes en pharmacie hospitalière et industrielle et en biologie clinique par le biais du résidanat, la promotion de la recherche en sciences pharmaceutiques et biologiques ainsi que la formation  d’enseignants pharmaciens HU qui ont la double fonction d’enseignant chercheur et de praticien hospitalier.

La faculté est aussi une niche d’idées et a mené une longue bataille avec souvent peu de moyens pour promouvoir  la profession pharmaceutique avec ses différentes variantes:

  • Pour le secteur officinal, par la formation continue et la promotion de la pharmacie clinique officinale.
  • Pour le secteur  industriel, par la formation spécialisée en pharmacie industrielle et  la recherche-développement dans ce domaine, menée courageusement par une poignée d’enseignants.
  • Pour la biologie clinique, par la promotion du résidanat en biologie, la formation continue des biologistes et la recherche en sciences biologiques.

Et enfin pour la pharmacie hospitalière, après une longue bataille, les pouvoirs publics ont fini par mette en place en l’an 2000, la spécialisation en pharmacie hospitalière et industrielle via le résidanat en pharmacie, ; l’objectif étant de valoriser les fonctions de la pharmacie hospitalière dans les CHU et de transformer le service de pharmacie en une cellule productrice de prestations pharmaceutiques spécialisées et de haut niveau répondant aux besoins des malades et des services cliniques HU.

Aujourd’hui,

Après une dizaine d’années et un investissement important sur le plan matériel et humain, le projet  commence à prendre forme et à donner ses premiers fruits puisque une quarantaine de jeunes enseignants HU en Pharmacie Hospitalière et Industrielle travaillent durement dans les CHU pour tirer vers le haut les prestations pharmaceutiques jusque là  inexistantes ou embryonnaires  ( pharmacie clinique, préparations hospitalières stériles, reconstitution des cytostatiques, alimentation parentérale, stérilisation centrale, suivi thérapeutique, dosage des médicament, sécurisation de la chaine du médicament, optimisation thérapeutique ……..)
Ces  jeunes pionniers exercent dans des conditions très difficiles, avec souvent  un manque de moyens matériels, un environnement  réfractaire à tout changement et une administration souvent indifférente.
Malgré ces difficultés, des avancées réelles ont été réalisées ici et la grâce au soutien de certains cliniciens et de certains chefs de service de pharmacie clairvoyants et convaincus  de la plus value apportée par ces actes pharmaceutiques à la santé du citoyen, à la qualité de la prise en charge du patient et à l’économie de santé.

Mais…

Trois décisions récentes  sont venues déstabiliser tout l’édifice construit:

Primo
Le retrait du caractère universitaire par le Ministère de santé à un nombre important de services de pharmacie au sein des CHU , opéré dans le but d’ouvrir la voie à la nomination de chefs de service parmi les pharmaciens de la santé publique ce qui signifie le renvoi  pur et simple des enseignants HU de ces services et leur dévalorisation ; cette mesure  est un coup porté à la Pharmacie Hospitalo-universitaire avec  un message symbolique très négatif pour les jeunes résidents qui aspirent à intégrer demain ces services.
Malheureusement, c’est l’autorité de tutelle qui est censée promouvoir ce projet stratégique qui a asséné ce coup  et qui tergiverse pour corriger cette erreur et reclasser les services concernées.

Secundo
Toujours mue par la même «générosité»  , l’autorité de tutelle a promulgué un nouveau texte fixant les conditions de la nomination des chefs de service dans les CHU ,spécifique aux pharmaciens et dentistes, permettant au ministre de disposer d’une base légale pour nommer un chef de service parmi les pharmaciens de la santé publique à la tête d’un service de pharmacie HU même en présence d’un pharmacien HU ; texte  qui a du être «interprété»pour permettre de nommer dernièrement trois chefs pharmaciens de la santé publique à la tête de services de pharmacie HU et ignorer deux professeurs agrégés HU  et un assistant  HU qui remplissent les conditions.

Tertio et c’est la cerise sur le gâteau
La dernière augmentation salariale concernant le corps Hospitalo- Universitaire et qui est sensée rétribuer l’activité universitaire a été ressentie comme une injustice et une dévalorisation  par les pharmaciens et les dentistes  HU et  a réussi à démoraliser et démotiver tout le corps enseignant pharmaceutique mais surtout les jeunes assistants HU ce qui va entraîner forcément une hémorragie et des départs au niveau de la Faculté de Pharmacie et des hôpitaux publics. Ceci va aggraver la situation sur le plan de la formation et des prestations pharmaceutiques et biologiques au sein des services  des CHU.

Ou va-t-on?

Sans être un adepte de la théorie du complot, il est légitime de se poser des questions à propos de cette chaîne infernale de mesures négatives et mal pensées, cogitées dans des bureaux fermés et sans  consultation des instances de la faculté.

Toujours est-il que ces mesures dénotent une indifférence totale vis à vis du projet de valorisation de la pharmacie hospitalière et d’un parti pris qui ne fait que diviser le corps pharmaceutique , alors que le problème de chefferie peut être résolu par la concertation et que le problème fondamental reste comment créer les conditions optimales pour que ces jeunes pionniers dans leur domaine puissent s’épanouir et créer la valeur ajoutée qui est attendue par les citoyens.

Soyons optimistes malgré tout…

Puisse cet article contribuer à éclairer l’autorité de tutelle pour reconsidérer dans sa globalité tout le projet de valorisation de la pharmacie hospitalière et  le remettre sur les rails, et enfin reconnaitre la plus value apportée par les jeunes pharmaciens HU et arrêter l’hémorragie ; tout en apaisant les tensions et  tranquilliser les pharmaciens de la santé publique sur leur carrière et valoriser leur travail.

La faculté de pharmacie a besoin d’un nouveau départ, et du soutien réel de l’autorité de tutelle  pour continuer  à jouer son rôle pleinement et assurer sa vocation au service de l’enseignement , de la recherche et de la santé publique dans le domaine de la biologie clinique et de la pharmacie hospitalière ; cela nécessite qu’on lui donne les moyens de le faire et qu’on corrige les anomalies et les injustices qui l’ont déstabilisée  dernièrement et en particulier la dévalorisation salariale et le déclassement des services hospitalo-universitaires en pharmacie.

Mohamed  Kallel
Professeur en Pharmacie
Ancien Doyen de la Faculté de Pharmacie de Monastir

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