Retour de manivelle
L’économie nationale a été tellement dégradée par les négligences des politiques qu’elle est maintenant en position de les dégrader à son tour. C’est ce qu’on appelle: le retour de manivelle.
Quand une économie sombre par suite de malgérance durable, elle entraine dans sa chute le système politique qui l’a mal gérée. Le politique et l’économique sont tellement liés que les interactions de l’un avec l’autre sont profondes et pérennes. Le mot même d’économie qui vient du grec : administration du foyer, le prouve bien.
Or, le foyer ou la maison Tunisie, même avant la Révolution, n’a pas été bien géré. Même si avant 2011, on réalisait des taux de croissance de 4-5% par an, le chômage, surtout le chômage des jeunes diplômés, ne faisait qu’augmenter d’une année sur l’autre. Car pour réduire le chômage, il fallait des taux de croissance au dessus de 6-7% par an. En outre, les trois-quarts du pays étaient laissés pour compte. Ce qui comptait pour les responsables de l’époque c’était la frange côtière couvrant le Sahel.
Depuis le Révolution, l’économie a connu soit la récession en 2011 soit la croissance anémique de 2-3%, due non pas à un vaste programme d’investissements publics capable d’impulser les investissements privés mais essentiellement au secteur des services, en particulier, les services non marchands, soit les traitements et salaires de la fonction publique ainsi que les subventions des produits énergétiques et des produits de base. Or ces services non marchands ont connu une croissance accélérée en 2012 et 2013 sous l’effet d’une politique populiste, octroyant des augmentations généreuses de salaires à des effectifs de plus en plus pléthoriques de la fonction publique.
La surconsommation publique et la surconsommation privée, alimentée par les subventions sur deniers publics, ont eu pour conséquence inéluctable le creusement des déficits budgétaire et extérieur. Le déficit budgétaire en 2013 va aller chercher du côté des 7% du PIB et ce, non pas, encore une fois, à cause d’un programme ambitieux et stimulant d’investissements publics mais à cause de la compensation des hydrocarbures et des produits de base dont le volume monstrueux (5,5 milliards de dinars) dépasse maintenant de loin celui des investissements publics. L’autre facteur est, bien entendu, la masse salariale.
Le train de vie de l’Etat dépasse de plus en plus ses recettes ordinaires. Ce qui veut dire que pour couvrir les dépenses, on a recours à des ressources d’emprunt alors que celles-ci sont destinées a financer la formation brute de capital. Le ratio d’endettement de l’Etat est passé de 40% du PIB en 2010 à 47-48% en 2013. Le recours à l’endettement est rendu encore plus difficile par les dégradations sucessives de la notation de la Tunisie par les différentes agences de notation.
Le creusement du déficit extérieur est en partie dû à la surconsommation par l’intermédiaire des importations de plus en plus croissantes. Ces importations concernent surtout les produits énergétiques et alimentaires (subventionnées par les deniers publics) ou même des produits de luxe.
La manivelle va se retourner si la crise politique n’est pas solutionnée immédiatement. On peut craindre des troubles publics, du sang dans les rues, des grèves et des sit ins et la décélaration de la machine économique. On peut craindre des recettes budgétaires moindres et des ressources en devises moindres. On peut craindre la cessation de certaines importations dont le nombre augmenterait si la crise politique venait à s’aggraver. On peut craindre des difficultés à servir la dette extérieure. On peut craindre une chute brutale du dinar.
Et il n’y a pas en vue des partenaires étrangers capables d’épauler la Tunisie.
Il faut espérer que la raison finira par prévaloir.
Il faut espérer que cela donnera le temps à des mesures d’austérité radicales d’être mises en ouevre le plus rapidement possible en vue d’opérer les corrections nécessaires pour relever l’économie nationale.
Dr.Moncef Guen