À la mémoire de Naceur Zalila: Le voyageur
Naceur Zalila, qui vient de nous quitter, a consacré sa vie professionnelle à l’Éducation nationale, laissant encore aujourd’hui dans maints villages où il a enseigné une trace indélébile. Il est resté éducateur dans l’âme, recevant et conseillant jusqu’au crépuscule de sa vie des jeunes en difficulté scolaire.
Il était connu aussi pour son activisme au sein du mouvement scout tunisien (dont il a été l’un des pionniers), comme en a témoigné le salut rendu devant sa dépouille lors de ses obsèques par des représentants nationaux du scoutisme.
On se souviendra aussi de son militantisme pour la cause de l’indépendance nationale
Ce portrait serait incomplet si on omettait une facette moins connue de sa personnalité, qui pourtant en éclaire bien d’autres : celle d’un homme curieux du monde, toujours en quête de nouveaux horizons.
Ce grand voyageur a traversé les mers pour la première fois à l’âge de 20 ans, lors du Jamborée de 1938 tenu en Bretagne, à Sainte-Anne d’Auray. Cinquante ans plus tard, alors qu’il se trouvait en voyage dans la région, non loin de ce même village, il avait tenu à s’y rendre en pèlerinage, à la date anniversaire du rassemblement scout : «Il y a 50 ans, au milieu des femmes en tenue bigoudène, on photographiait les rares automobiles; aujourd’hui, au son des klaxons, on photographie les rares Bretonnes en coiffe traditionnelle», a-t-il alors observé. Nous étions en 1988. Lors de ce même voyage, il a tenu à se rendre à l’île de Groix, pour y retrouver les traces de Habib Bourguiba, alors leader du mouvement anticolonialiste Néo-Destour, qui y avait passé, 34 ans plus tôt, plusieurs mois en exil forcé.
Mais c’est sa Tunisie natale qu’il a le plus sillonnée, animé par l’appel de l’ailleurs hérité de son père marin des îles Kerkennah et l’amour de la Patrie, qui est au cœur du mouvement scout et qu’il a entretenu à travers tous les soubresauts de son histoire.
Curieux de contrées proches ou lointaines, Naceur Zalila a parcouru une partie du monde, souvent sac au dos: La France, où il a fait de multiples séjours, dont un dernier voyage d’études dans les années 70, l’Espagne, l’Allemagne, l’ex-URSS, l’Italie, la Suisse, le Maroc, Malte, les États-Unis, le Mexique, le Canada, toujours animé de l’esprit scout qui lui faisait dire être toujours prêt, bâton de pèlerin à la main. L’allemand, l’anglais, l’espagnol, l’italien et le russe, il en avait acquis les rudiments en cours du soir dans les instituts culturels ou à la Bourse du travail, après une journée de bureau ou de terrain au service du l’Éducation nationale.
C’est ainsi que, profitant d’une visite à un membre de sa famille en poste à New York, il a parcouru à 65 ans une partie de l’Amérique du Nord sans plan de voyage ni réservations préalables: Washington (où il s’est extasié de la sobriété du tombeau de J. F. Kennedy), Philadelphie, le Nevada, la Californie et l’Arizona aux États- Unis; Québec, Montréal, Toronto et le Niagara au Canada. Ce périple organisé au jour le jour devait durer plus de trois semaines, avec de rares nuitées en hôtel car, voulant économiser sur le budget qui lui était alloué, il privilégiait les fauteuils des Greyhounds, autobus de grandes lignes des États-Unis. Au terme de ce voyage, ne pouvant plus la boucler faute de trous, il avait fini tout simplement par nouer sa ceinture!
En voyage au Kenya quelques années plus tard, il a pu mettre à profit les acquis du scoutisme lors de plusieurs safaris improvisés dans des camps rudimentaires: ce vétéran de 68 ans a impressionné plus d’un jeune étudiant par sa capacité de réaction lors des bourrasques qui avaient emporté tentes et matériel, ou lorsqu’il a fallu désembourber des véhicules dans une savane au sol traître. Debout aux premières heures pour les besoins de la prière, il était parmi les premiers à charger les ballots pour la poursuite du voyage. «Toujours prêt!».
À 75 ans, fraîchement diplômé de l’Institut Dante Alighieri de Tunis, un «safari» européen devait le conduire, toujours sac au dos, aux sources d’une culture classique dont il avait été nourri de pair avec son fonds arabo-musulman : Florence, Rome, Sienne, Venise, Pérouse et Assise, il les a découvertes en marcheur, toujours sous le signe de la sobriété, se nourrissant frugalement et dormant dans les auberges de jeunesse.
En terre d’Islam, ce furent les Lieux Saints, où il s’est rendu pour le pèlerinage et une Omra.
Réduit à la sédentarité par l’âge, il est toujours resté à l’écoute du monde dans son petit salon, grâce à la lecture et aux documentaires vidéo qu’il se repassait en boucle et faisait découvrir à son entourage, pour pérenniser sa vocation première : instruire son prochain, lui ouvrir l’esprit sur d’autres peuples et d’autres cieux. Car si vers la fin son corps ne suivait plus, sa mémoire restée vive et ses capacités intellectuelles inaltérées lui conservaient l’attention de visiteurs en mal d’ouverture, dans son petit village d’Ouled Yaneg.
Patriote et citoyen du monde, tel était Naceur Zalila, décédé au terme de 96 ans d’une existence par-delà les frontières, «bâton de pèlerin à la main», selon sa devise.