Bizerte, 50 ans après
Quels souvenirs gardons-nous de « la guerre de Bizerte » ? Les milliers de jeunes destouriens défilant le poing levé devant la base de Sidi Ahmed aux cris de «??????... ??????? », les avions militaires pilonnant les positions tunisiennes, une cimenterie en feu, des paras français à l’entrée de la vieille ville de Bizerte, des soldats tunisiens déterminés, mais mal armés, des dizaines de cadavres jonchant le sol. Les noms des quelques héros de la guerre : les commandant Bejaoui, le lieutenant Aziz Tej, tombés sur le champ d’honneur, le commandant Noureddine Boujellabia, le capitaine Ferchichi. Trois jours de guerre intense du 19 au 21 juillet 1961 aboutiront à l’occupation de la moitié de la ville et surtout à un véritable carnage, sans pour autant contraindre l'armée française à quitter le pays.
Bourguiba avait-il mesuré la portée de sa décision d’évacuer par la force, la base alors que la jeune armée tunisienne créée cinq ans plus tôt n’était pas prête à affronter la quatrième armée du monde? Le 15 octobre 1963, l'indépendance de l'algérie proclamée et Bizerte ne présentant plus la même importance stratégique qu'avant, le dernier soldat français quittait la ville, tandis que l’armée tunisienne prenait possession des installations militaires françaises à Sidi Ahmed et la pêcherie. Mais à quel prix. On prête à De Gaulle cette phrase : «Il (Bourguiba) ne pouvait pas attendre la fin de la guerre d’Algérie?». Une question qui reste cinquante ans plus tard d’actualité. Ministre de la gouvernance et de la lutte contre la corruption et fils de Bahi Ladgham, secrétaire d’Etat à la présidence (l’équivalent de premier ministre) et secrétaire d’Etat à la défense à l’époque, Abderrahman Ladgham analyse la genèse de «la guerre de Bizerte» et évoque les temps forts de cette crise dont l'onde de choc se fera sentir un an plus tard avec la tentative de coup d'Etat militaire conduite par de jeunes officiers et d'anciens résistants.
L’histoire est jalonnée d’événements qui marquent la vie d'un peuple et méritent un devoir de mémoire. La bataille de Bizerte, dernière étape de l’évacuation militaire de la Tunisie indépendante, en est la parfaite illustration.
Elle n’est qu’un moment dans un processus plus long, de nature essentiellement diplomatique. Elle en est le volet militaire, dans un contexte plus large à savoir, la liquidation du colonialisme.
La volonté de demander le départ des soldats français a commencé des les premiers jours de l’indépendance, soit le 22 mars 1956, deux jours après sa proclamation, le président Bourguiba définit clairement son objectif: «Après une période transitoire, toutes les forces françaises devront évacuer la Tunisie, y compris Bizerte».
Les négociations entamées entre les deux gouvernements avaient pour objet de maintenir un régime provisoire destiné à maintenir la base stratégique de Bizerte en fonction, ceci jusqu’à ce que la situation sur le plan régional et international se prête à un accord définitif. Ainsi les discussions autour de l’évacuation de Bizerte eurent lieu dans ces conditions de réserves de février 1958 à juillet 1961. Pendant toute cette période les discussions étaient rythmée à une et parfois deux par mois, elles étaient purement politiques et diplomatiques; l’armée tunisienne avait été tenue en dehors, pour insister sur la nature essentiellement politique du problème.
Mais ce provisoire pouvait durer, à la lumière de la guerre d’Algérie et la menace de la guerre froide pesant sur l’Occident. De Gaulle a toujours considéré ces circonstances comme particulières et n’a cessé de répéter que Bourguiba: «m’a imposé cette affaire-là».
Les tunisiens de leur coté tentaient de discuter dans une perspective «futuriste»: les bases fixes comme Bizerte n’avaient plus l’avenir dans le nouveau dispositif, et ce sont les bases mobiles, comme les portes avions, les sous marins nucléaires et les missiles, qui seront le fleuron de la défense du «Monde libre». D’autre part, la présence au sein de la base d’un dispositif antiatomique avec ses abris, ses tunnels creusés à flanc de montagne pour abriter les sous marins, une rade énorme et des cuves à carburant d’une capacité sans égale en Afrique, rendaient la situation insoutenable. Ceci sous la menace d’un déluge nucléaire « ennemi ». C’était un risque difficile, qu’aucun gouvernement sérieux et indépendant ne pouvait prendre, s’agissant d’un dispositif faisant partie d’un système de défense militaire et politique dans lequel, il n’est aucunement directement concerné. La preuve, de Gaulle lui-même, s’agissant de l’OTAN, a préféré plu tard quitter (1966) son commandement intégré pour faire assumer à la France seule, sa propre sécurité.
En réponse, à ses détracteurs de l’opposition qui décrivent la bombe atomique française, comme une bombinette, comparaison faite avec la force de frappe des supers grands, de Gaulle commenta:
«Dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu'on n'attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, même si on a soi-même de quoi tuer 800 millions de Français, à supposer qu'il y eût 800 millions de Français».
Contexte diplomatique et politique
Juste après l’indépendance, le gouvernement tunisien ayant voulu contrôler son territoire s’est heurté au déploiement important de l’armée française ; celle-ci possédait des casernes dans tout le pays. Ce qui poussa le nouveau gouvernement à en faire la demande, la France dans un geste de bonne volonté accéda à cette dernière et évacua la caserne de la Kasbah située face au palais du gouvernement, Bourguiba acceptant mal de voir le drapeau français flotter face à son bureau. Mais en dehors de ce geste la présence française est demeurée importante.
Car, la guerre d’Algérie faisant rage, la présence massive de réfugiés et de responsables algériens, de même que l’armée des frontières, font que la France a toujours considéré que la Tunisie faisait double jeu, entre la «pseudo-amitié franco-tunisienne» et «la fraternité tuniso-algérienne». La France supportant mal, cette présence algérienne, prit prétexte de quelques escarmouches en territoire algérien, sous contrôle français, de maquisards du FLN postés en Tunisie, pour attaquer un jour de marché et de distribution de vivres et médicaments par la croix rouge internationale aux réfugiés algériens. Usant d’un supposé «droit de suite», l’aviation française équipée de bombardiers américains B26 a pilonné en plusieurs passages le paisible village frontalier de Sakiet Sidi Youssef le matin du samedi 8 février 1958, semant la mort de dizaine victimes parmi lesquels des écoliers dans leur classe et la destruction massives de bâtiments publics et privés.
Cet événement a crée une grave crise entre les deux pays, la Tunisie ayant porté plainte devant le conseil de sécurité de l’ONU, et abouti à la chute de la IVème république et le retour aux affaires du général de Gaulle, qui sitôt pris ses fonctions ( début juin 1958) a déclaré vouloir faire évacuer ses troupes du territoire tunisien, sauf Bizerte et le Sud saharien. Ceci après une période de tractation diplomatique et de «bons offices anglo-américains».
D’autres événements sont venus un peu plus tard accélérer le processus, donnant raison à Bourguiba et sa politique des étapes:
1/ D’abord l’attitude de la France qui a fait fi de toutes les demandes internationales de sursoir à son premier essai nucléaire expérimental à Reggane (Désert algérien). De Gaulle lui-même obnubilé par l’indépendance de son pays en matière de défense, a voulu démontrer que la France était capable d’une telle prouesse technique et militaire, prélude à son entrée dans le concert des nations nucléaires et sa sortie prochaine du commandement militaire intégré de l’OTAN.
Prenant prétexte de cet événement, le président tunisien déclara lors de l’ouverture de réunion de la conférence des peuples africains à Tunis, le 25 janvier 1960, ne plus «tolérer la présence de troupes française sur le territoire national».
2/ Ensuite, les négociations franco-algérienne ayant avancé, la France a organisé début janvier 1961, un référendum qui a donné un net pourcentage de oui en faveur de l’autodétermination de l’Algérie. La réponse à cette consultation populaire fut cinglante du coté d’Alger où quatre généraux commandés par le général le plus décoré de France, Raoul Salan, ont tenté un putsch militaire trois mois plus tard. Celui ci rapidement circonscrit, l’amirauté de Bizerte ayant joué un rôle déterminant où l’amiral Amman, commandant de la base est venu à la rescousse du général de Gaulle, menaçant les putschistes d’Alger des ses « foudres » s’ils ne renonçaient pas à leur action séditieuse.
C’est entre les deux événements cités plus haut, que le général de Gaulle reçut Bourguiba à Rambouillet, le 27 février 1961. Dialogue de sourds pour les tunisiens, manipulation sournoise pour les autres. Mais en réalité les deux présidents ont parlé de Bizerte et de la guerre en Algérie. Mais de Gaulle ne prit aucun engagement, il s’était contenté d’écouter.
En réalité il était préoccupé par la transformation de ses bases militaires fixes en bases mobiles en utilisant des porte avions à propulsion nucléaire, et son indépendance défensive par rapport aux États Unis, en attendant le de dénouement du drame algérien.
Mais Bourguiba a cru à un accord donnant la possibilité à la France d’utiliser la base d’une manière restreinte et occasionnelle, peut-être dans le cadre de l’OTAN en cas de besoin, et une récupération des territoires sahariens sous contrôle militaire français jusqu’à la borne 233. Ceci dans le cadre d’une solution globale du problème algérien et un accord bilatéral librement consenti. Quant à de Gaulle, il prétendit dans ses mémoires qu’il aurait déclaré à son hôte à Rambouillet, qu’il quittera Bizerte dans un an. Il est difficile de retenir cette affirmation, car connaissant Bourguiba, il ne se serait jamais tu, en gardant un «secret» aussi important, sans le divulguer à son peuple, sinon à ses proches.
3/ Lors de sa visite à Washington, début mai 1961, où il fut reçu en grandes pompes par John Kennedy qui lui aurait donné quelques assurances sur la sécurité de la Tunisie, Bourguiba déclara devant le congrès américain «la Tunisie n’est pas à même d’exercer sa pleine souveraineté sur une portion de son territoire toujours occupée par les forces françaises.»
4/ L’année 1961, n’a pas été très glorieuse pour l’occident, d’abord le succès du premier vol orbital humain, du soviétique Youri Gagarine le 12 avril 1961, comparé aux sauts de puce dans l’espace effectués deux mois plus tard par les équipages américains ; puis l’échec des discussions Kennedy- Kroutchev à Vienne, début juin et enfin la construction du mur de Berlin séparant les zones occidentale et orientale de la ville dans la nuit du 12 au 13 aout.
Ce fut la consécration de la guerre froide entre les puissances occidentales alliées dans le cadre de l’OTAN d’un coté et les pays alliés à l’Union Soviétique de l’autre dans celui du pacte de Varsovie.
Début de la crise
C’est dans ce contexte que l’amiral Amman commandant de l’amirauté française de Bizerte, décida de prolonger la piste d’envol de la base aérienne de Sidi Ahmed, il en fit la demande par écrit aux autorités locales faisant état de simples travaux. Une autorisation écrite lui a été délivrée par le gouverneur Bellamine et visée par Taieb Mehiri, ministre de l’intérieur. Cette autorisation a été purement administrative des lors que les travaux allaient avoir lieu à l’intérieur de l’enceinte de la base.
Mais rapidement les autorités tunisiennes se sont rendues compte qu’il s’agissait bien de prolongation de la piste d’envol ; signifiant que les militaires français avaient l’intention d’une part de recevoir des avions plus puissants et plus modernes en vue d’améliorer leur capacité de frappe en Algérie, et d’autre part de rester pour longtemps encore à Bizerte. Il s’agit alors d’un problème de souveraineté nationale.
A ce propos Bahi Ladgham reçu par de Gaulle un an plus tard dit:
«De Gaulle me fit valoir cet accord écrit passé entre les autorités locales tunisiennes et l’amiral Amman, chef d’une marine sur laquelle lui-même s’appuyait contre le général Salan (N.D.L.R :maître d’Alger), Je répondis à de Gaulle que ces questions de souveraineté nationale ne se traitaient pas au plan local. Dans cette histoire, les positions des uns et des autres se coinçaient entre le juridisme naïf du gouverneur (Signataire de l’accord) et la volonté De Gaulle de ne pas déplaire provisoirement à sa marine pour laquelle, toutefois, il avait des projets de rénovation d’une plus haute envergure».
Le gouvernement tunisien fit alors arrêter les travaux en utilisant tous les moyens en sa possession, ceci après la visite de Bahi Ladgham et Taieb Mehiri sur les lieux. La France intervint rapidement par l’intermédiaire de son chargé d’affaires à Tunis, Raoul Duval, d’abord diplomatiquement, ensuite en transmettant un ultimatum d’Amman ; celui-ci a été naturellement refusé.
Une lettre provocante
Le différend des deux chefs a commencé à prendre forme. Le parti destourien mobilisa ses troupes, des barrages sont mis en place autour de la base.
Bourguiba, ne voyant plus d’issu décida d’envoyer son homme à tout faire, Abdallah Farhat en émissaire spécial auprès de de Gaulle. Il était porteur d’une lettre rédigée par Béchir Ben Yahmed. Le président tunisien la préférant à un autre projet de lettre plus diplomatique, séant au statut du général, rédigé par Bahi Ladgham et Sadok Mokadem (Ministre des affaires étrangères). Cette lettre disait en substance: «Ce fait nouveau (parlant la prolongation de la piste ) apparaît grave parce qu’il traduit sans conteste la volonté de la France de s’installer dans le statu quo et même de l’aggraver le peuple tunisien et moi-même ne pouvons le prendre que comme la preuve que le gouvernement français semble faire fi de notre dignité nationale, de notre juste revendication et ne croit pas beaucoup à notre détermination de réaliser coûte la libération de notre territoire nationale».
Arrivé à ce paragraphe, de Gaulle plia la lettre et la mit dans un tiroir. On ne la retrouva plus.
Une copie a été publiée à l’Institut Charles De Gaulle.
Abdallah Farhat, resté debout, dit au général : «C’est tout » et de Gaulle de répondre: «Vous donnerez mon salut à M. Bourguiba».
C’était une humiliation et une fin de non recevoir de la partie française confirmée oralement par le chargé d’affaire français le 13 juillet «il n’est pas possible de régler ce problème dans une atmosphère de tension», Bourguiba en tira les conclusions, pour la suite des événements.
La bataille de Bizerte
C’était le 6 juillet, le ton a commencé à monter. Le ton de la lette et les manifestations organisées un peu partout en Tunisie semblent exaspérer le général de Gaulle qui s’estimait outragé. «Ainsi, Bourguiba ne pouvait pas attendre la fin de la guerre d’Algérie».
Les protestations avaient déjà commencé là. Il s’agissait d’une bataille symbolique. L’armée tunisienne s’est positionnée autour des points stratégiques, dans le cadre d’un dispositif de «containement».
Mais certains ont proposé alors que les civils se joignent à cette pression militaire. Une campagne de recrutement de volontaires a été organisée où chaque gouvernorat envoya un contingent de recrues proportionnel à sa population.
Les manifestations pacifiques continuaient de plus belle, mais le dispositif restait symbolique, jusqu’au 17 juillet où Bourguiba prononça un discours devant l’assemblée nationale dans une session spéciale. Le lendemain le gouvernement tunisien décida le blocus civil, maritime et aérien autour de la base.
L’Amiral Amman dans un moment d’exaspération, demanda à de Gaulle l’intervention de l’aviation, craignant que la base ne soit envahie .En réalité aucun ordre d’attaque ni d’investissement de la base n’a été donné aux troupes tunisiennes. L’artillerie arrivait et la base française pouvait était chargée au mortier. Mais rien n’a été fait, et personne n’imaginait que la France avec ses avions allait bombarder au napalm, surtout une masse humaine à majorité civile.
Dans l’esprit des tunisiens, il s’agissait d’une protestation musclée, une pression insoutenable pour les militaires français, mais une protestation non armée. Le gouvernement tunisien espérait tenir trois ou quatre jours, le temps de faire aboutir l’action diplomatique aux Nations Unies. Bourguiba et son gouvernement ne pouvaient imaginer que la réplique de Gaulle serait de donner un ordre direct et par téléphone à l’amiral Amman: «Frappez fort et vite».
Les paras pleuvaient sur Bizerte, c’était le 19 juillet. L’espace aérien était fermé depuis la veille et sur le terrain notre armée tira sur les avions qui les survolaient, mais ceux ci ont commencé à bombarder sans discernement. Nos officiers, dont la plupart ont été formés pendant la guerre Indochine, les plus jeunes venaient de rentrer des écoles militaires françaises, se mettaient à tirer au mortier sur la piste d’atterrissage de la base.
Un nombre important de volontaires civils a été la cible d’attaques meurtrières de l’aviation, ils étaient parqués dans un endroit appelé le parc à fourrage.
De l’aveu même d’Amman «les Tunisiens prennent à plusieurs reprises l’offensive»; ils enfoncent la porte de l’arsenal de Menzel Bourguiba et attaquent au mortier la base aérienne de Sidi Ahmed.
L’Amiral reconnaît ainsi la «hardiesse et la ténacité» des Tunisiens. L’affrontement se généralisa, et les bombes et le napalm faisaient rage. Les victimes se comptaient par dizaines.
Plusieurs rapports et écrits de cette bataille coexistent, le premier est celui de l’officier des para-commandos Ferchichi, l’autre de Noureddine Boujallabia officier de liaison et de renseignement pendant la bataille, et le troisième de l’amiral Amman lui même. Celui-ci décrivait du coté tunisien: «un groupe d’artilleurs de 5000 hommes en plus de 700 Gardes Nationaux et un groupe de 6000 jeunes, sommairement armés mais fanatiques». Du côté français, la 8ème compagnie de défense air et marine et une trentaine de compagnies de défense, la 7ème escadre de chasse, des formations aéronavales ; des escorteurs côtiers, des vedettes, etc.
L’amiral a mis en place le plan «petite charrue», consistant à occuper Bizerte, en attendant, «grande charrue», qui lui, autorise la reprise en main de Tunis puis le reste du pays.
Le rapport est nettement déséquilibré en faveur des français. Mais ceux ci ne se rendaient pas compte de l’existence d’un peuple fier et impatient.
Nos soldats tombés sur le champ d'honneur
La mort du commandant Béjaoui, homme valeureux et courageux, a été vécue comme un drame national. Voici le témoignage de son ministre de la défense:
«Le Commandant Béjaoui était un soldat courageux, expert dans l'artillerie .C'était quelqu'un de très bien. C'est un épisode malheureux. Je l'aimais beaucoup et j'ai perdu en lui quelqu'un d'aussi cher qu'un fils. Mais la question n'était pas alors affective; Il est venu me retrouver en pleine nuit en civil. Il m'a avisé qu'il ne pouvait pas passer.
Je l'ai renvoyé à son poste avec mission de reprendre contact avec les autres. Il m'a dit que c'était dur et non pas, par exemple, que notre plan ne tenait pas .Du reste, c'était trop tard. Et puis, il y avait là- bas d'autres officiers avec lesquels il devait aviser. Il avait au départ admis le plan en tant que représentant d'un corps d'armée essentiel.
Je lui ai demandé si sa place était dans mon bureau ou sur le terrain. « Là-bas » m'a-t-il répondu ; Il est repassé chez lui à Salammbô, a pris une douche, s'est remis en civil. Il a dit à sa mère : « Si El Behi ne m'a pas compris. Il m'envoie à la mort ». Il repartit sur Bizerte et se mêla à des escouades de résistants qui dans les artères de la ville tiraient à la mitraillette sur les troupes françaises. Il fallu à ces dernières les canons des blindés pour en venir à bout».
D'autres soldats non moins valeureux sont morts sur le champ de bataille ou mortellement blessés, tel le lieutenant Aziz Tej, officier intelligent et cultivé, il a partagé sa chambre au service de chirurgie de l'hôpital Charles Nicolle de Tunis, avec un autre blessé, mais lui français journaliste de gauche et jeune correspondant de guerre. Il s'agissait du non moins célèbre Jean Daniel.
Jean Daniel relata cet épisode dans un de ses livres où il décrivait Aziz Tej blessé gravement au foie, qui, pris d'un délire pré mortem, philosophait sur la mort et sa signification.
En comptant les morts dont le nombre officiel est 670 (égale parité entre civils et militaires), et environ 1000 blessés recensés, chiffres proches du chiffre réel selon les experts, les autorités tunisiennes ont découvert outre les corps calcinés au napalm, des corps les poignets liés, d'autres mutilés avec des inscriptions et des croix tracées sur le corps. D'autres exactions ont été signalées consistant à des vols et des braquages de citoyens par quelques éléments parachutistes.
L'aviation française est allée jusqu'à simuler une attaque sur Tunis en larguant des fusées éclairantes sur l'aéroport militaire d'El Aouina et tirant sur ses installations, la DCA tunisienne répliquant en tirant des balles traçantes de gros calibre; dans cette guerre psychologique certains militaires français ont voulu faire croire à une attaque imminente sur le palais d'Essaada à la Marsa, lieu de résidence du président Bourguiba, incitant son service de sécurité à le mettre par précaution en lieu sûr.
Alors que dans le sud, les forces tunisiennes sous le commandement du colonel Kortass, ont vite avancé et occupé Fort Carkoué (Borne 233) à l'extrême sud Tunisien.
La bataille diplomatique
Dès le 20 juillet la Tunisie a rompu ses relations diplomatiques avec la France et Bourguiba de déclarer dans son point de presse quotidien: «c'est une guerre totale et déséquilibrée, menée contre des civils et des éléments de la garde nationale, et non contre une armée régulière et organisée».
Certains journaux français de gauche, comme Libération et l'Humanité ont dénoncé, «l'agression française contre un peuple sans défense», ce qui provoqué, fait rare, leur saisie par le ministre français de l'intérieur.
A la demande de la Tunisie le Conseil de sécurité de l'ONU, a décidé le 22 juillet, un cessez le feu immédiat et un retour des forces militaires aux positions d'avant le début du conflit. Accepté immédiatement du coté tunisien, alors que les forces françaises ont continué leurs attaques meurtrières, pendant encore 24 heures jusqu'à qu'un accord soit conclu entre Mongi Slim et le représentant français à l'Onu. Mais son application n'a pu être mise en place qu'à la suite de longues négociations entre Hédi Mokaddem, adjoint du gouverneur Bellamine absent de Bizerte, et coté français, le consul de France à Bizerte et l'amiral Amman.
Des le 24 juillet, le secrétaire général de l'Onu, Dag Hammarskj?öld , a été reçu à Tunis, par Bourguiba, Bahi Ladgham et Sadok Mokaddem, provoquant le courroux des autorités françaises, qui ont infligé une série d'humiliations au représentant onusien lors de son déplacement vers la ville assiégée, accompagné de Béji Caïd Essebsi; d'abord en fouillant sa voiture par les paras français sur sa route à l'entrée de Bizerte, ensuite par le refus de l'amiral Amman de le rencontrer, et enfin les attaques directes du gouvernement français l'accusant de subjectivité et de soutien aux tunisiens. Considérant que le ton de la lettre adressée de Tunis, par le secrétaire général des nations unis, au ministre français des affaires étrangères, lui demandant en substance de faire appliquer la résolution du conseil de sécurité au sujet du retrait de troupes à leur point de départ d'avant les hostilités, était de nature à prendre le parti des tunisiens.
Dès le retour de Hammarskjöld à New York, un nouveau débat au conseil de sécurité à la demande de 40 pays afro-asiatiques plus la Yougoslavie a eu lieu du 28 au 30 juillet, sans aboutir à faire appliquer par la France la résolution du 22 juillet.
Parallèlement à New York, une action diplomatique tous azimuts a été lancée, Habib Chatti en Inde et au Pakistan, Rachid Driss en Amérique Latine et le Dr Sadok Mokaddem en URSS et Europe centrale où il a été reçu par Kroutchev et Gromyko, qui l'ont assuré du soutien de leur pays «votre visite à Moscou va pousser les américains à vous octroyer plus de faveur dans la résolution de cette crise» a confié le secrétaire général de du PC soviétique au ministre tunisien aux affaires étrangères.
Bahi Ladgham, quant à lui s'est rendu à Washington où il rencontré le 2 août le secrétaire d’État Dean Rusk et le président John F. Kennedy, auprès duquel il a trouvé bon accueil, cordialité et compréhension, contrairement à ce qu'a prétendu Souhaïr Belhassen et Sophie Bessis, Kennedy a même dit: «Personne ne connaît la complexité et la difficulté de nos relations avec la France, nous avons avec eux des différends sur l'OTAN et leurs essais nucléaires. D'autre part nous ne voulons pas que le président Bourguiba perde sa position privilégiée en Afrique, et nous ne sommes pas tranquilles sur les implications de cette crie sur la situation en Algérie et en France même. La France n'apprécie pas le transport des troupes tunisiennes revenant du Congo vers la Tunisie, par nos avions militaires Nous allons continuer nos efforts, et nous espérons que le président Bourguiba comprenne bien notre position parce que nous marchons sur un terrain difficile». En accompagnant son hôte, Kennedy le rassura devant l'ascenseur: «Dites au président Bourguiba que les États Unis tiennent à la sécurité et la stabilité de la Tunisie, que nous vous considérons parmi nos amis les importants en Afrique».
Rapidement Mongi Slim, notre représentant à New York, a commencé les contacts en vue d'une session spéciale de l'assemblée générale de l'ONU pour examiner la plainte tunisienne, et les réponses ne se sont pas fait attendre, puisque 50 pays ont répondu dont le groupe afro-asiatique, 7 pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Bolivie, Cuba, Mexique, Uruguay et Venezuela) et 3 européens (Finlande, Suède et Turquie).
Avant la réunion qui a été décidée pour le 21 août, et pour consolider sa démarche à l'ONU, le gouvernement tunisien décida d'une marche pacifique à travers Bizerte, passant par la zone occupée par les paras français, pour arriver au siège du gouvernorat. Elle a lieu le 18 août avec à sa tête le Dr Rachid Terras, le maire de la ville, Slaheddine Ben Jaafar, le président du tribunal de première instance, Taieb Tekaya, et Nouri Boudali. Après des tractations et des négociations, sur un fond de tension permanente qui a duré toute la nuit, la marche pacifique a enfin atteint son but, le siège du gouverneur. Ce succès local a été suivi d'un autre succès international, celui d'obtenir la reconnaissance de la communauté internationale le 25 août, du «droit de la Tunisie à la souveraineté sur son territoire, compris le droit de demander le départ des troupes étrangères stationnées sur son territoire contre son gré». Par 66 voix pour, zéro contre et 33 abstentions dont les États Unis et Israël, la France s'étant absentée lors du vote, la résolution a été adoptée. Cette victoire, a donné lieu à des spectacles de liesse populaire dans toute la Tunisie, où les inscriptions murales donnaient l'impression d'un score fleuve, au cours d'une rencontre de Basket Ball (Tunisie 66 France 0).
Le sommet des non alignés
Le sommet des non alignés (1-6 septembre à Belgrade) sous la présidence du maréchal Tito et le soutien total de Nasser, a été un succès complet pour Bourguiba. Il a mis à profit cette victoire pour accepter le petit mot de Gaulle qui venait de déclarer à Paris, qu'il reconnaissait la souveraineté tunisienne sur Bizerte et annonça qu'il fallait créer une nouvelle situation basée sur un « modus vivendi ». C'est ce modus vivendi qui ouvra la voie à de nouvelles négociations sur le terrain avec l'échange classique de prisonniers et le retour des troupes française à leurs casernements. Ces négociations ont été menées, coté tunisien par Béji Caïd Essebsi, Hédi Mokaddem et les capitaines Noureddine Boujallabia et Abdelhamid Echeikh., et coté français le consul général français à Bizerte et quelques officiers français appartenant à la base.
D'autres réunions à Rome, réunissant Taieb Sahbani (Secrétaire général du ministère des affaires étrangères) et le directeur français des affaires marocaines et tunisiennes au quai d'Orsay ont ouvert la voie à une rencontre directe à Paris, entre Bahi Ladgham et Sadok Mokaddem respectivement avec Michel Debré (premier ministre) et Maurice Couve de Murville (Ministre des affaires étrangères). Mais l'entrevue entre les deux numéros 2, le 15 janvier 1962, a été parmi les plus courtes et les plus tendues, où Debré hautain demanda à son interlocuteur: «que veut votre gouvernement ?»
Bahi Ladgham encore plus sèchement : «la liquidation de la base de Bizerte»
Michel Debré: «Ah! Cela n'est pas possible»
Bahi Ladgham: «Dans ce cas, nous n'avons plus rien à nous dire»
Michel Debré: «En effet !»
Le ministre français des affaires étrangères proposa un nouveau rendez vous en juillet.
Deux mois plus tard, le 19 mars, la France et le GPRA signaient à Evian un accord de cessez le feu, ensuite le référendum, puis l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962.
Alors plus rien ne retenait la France à Bizerte, il ne resta plus qu'à mettre «les couteaux au vestiaire». C'est dans ce contexte que de Gaulle reçut Bahi Ladgham à l'Elysée le 19 juillet 1962, un an jour pour jour après le début des hostilités. L'entretien a été cordial, après avoir été tendu au départ, au point où de Gaulle dit à son interlocuteur pour y couper court et détendre l'atmosphère: «Quel bon vent vous amène?». La réponse que c'était le vent de l'amitié, pour effacer toute trace du passé douloureux. Le général assura l'émissaire tunisien de sa volonté de régler la question de Bizerte, mais sans donner de date, il s'est contenté de dire: «Dites à Monsieur Bourguiba que j'ai aussi mes ultras, nos forces quitteront Bizerte, sans contre partie et sans esprit de retour, .. Je donnerai à M. Bourguiba la date de départ de nos troupes dans dix-huit mois».
Couve de Murville proposa alors, au tunisien d'annoncer le projet d'évacuation, ce que les français ne démentiraient pas. Ce qui fut fait, une déclaration a été lue par Bahi Ladgham, à son départ d'Orly:
«Au terme de mes entretiens à Paris, je suis en mesure de déclarer qu'un pas positif a été accompli vers la normalisation des rapports entre la Tunisie et la France. En effet, le Général de Gaulle m'a solennellement confirmé la volonté du gouvernement français de régler le problème de Bizerte définitivement et dans le sens souhaité par le gouvernement tunisien.
Tant au cours de mon entrevue de jeudi dernier avec Monsieur le Président de la République française que de mes conversations avec messieurs Georges Pompidou (nouveau premier ministre) et Maurice Couve Murville, j’ai reçu des assurances formelles que le processus de retrait des forces stationnées dans la région de Bizerte, déjà achevé en ce qui concerne l'arsenal de Menzel Bourguiba et ses dépendances, sera poursuivi et mené à son terme aussi rapidement que possible et dans des délais raisonnable. Ceci étant, nos deux pays pourront, alors, sans équivoque, fonder leurs rapports sur des bases plus saines et consolider les liens de leur coopération dans la confiance retrouvée. Dans ces conditions, et pour favoriser la mise en œuvre des tâches que les deux gouvernements se proposent d'accomplir dans leur intérêt mutuel, il n'y a plus d'obstacle au rétablissement de nos relations diplomatique. Je me félicite enfin d'avoir trouvé, auprès du Général de Gaulle ainsi des membres du gouvernement français que j'ai rencontrés, une haute compréhension des problèmes évoqués et le sincère désir de régler définitivement les difficultés qui subsistent».
Les relations diplomatiques et culturelles interrompues depuis un an ont été reprises, et pour donner plus de poids à ces nouveaux rapports, le ministre des affaires étrangère Sadok Mokaddem fut nommé ambassadeur à Paris. Le nombre d'enseignants français volontairement baissé, coté français, fut repris au même niveau d'avant les hostilités (2400).
Bourguiba était aux anges, les festivités du cinquième anniversaire de la République, le 25 juillet 1962, étaient celles de l'évacuation projetée. Il annonça qu'elle aura lieu avant le congrès du parti destourien, prévu à Bizerte en octobre 1964.
Ainsi de Gaulle a voulu contrôler la chaîne de décision militaire, politique et diplomatique, du début jusqu'à la fin. Le président français a voulu en être le maître, commençant par l'ordre de commandement donné pour commencer les hostilités jusqu'à l'évacuation, passant par la non application des décisions de l'ONU, les négociations et la date de départ des forces française.
Enfin l'évacuation
Mais un mois plus tard, les premiers départs avaient commencé, la majorité des installations techniques fut démontée rapidement. Il ne restait plus grand-chose après un an, même le radar du Jebel Kebir a été pris dans les bagages. L'armée tunisienne a été obligée d'en acquérir un autre pour le remplacer. De Gaulle a fait croire qu'il n'allait faire démonter que les installations les plus sophistiquées classée top secrètes, mais il n'en fut rien.
Début octobre 1963, les français ont annoncé leur départ pour le 15, les clés de la base furent remises à la marine tunisienne qui n'avait pas participé aux hostilités. Il n'y eut pas de cérémonie de passation ni de drapeau. Le contre amiral Vivier a quitté le dernier à 16h. L'aviso de la marine tunisienne « Al Joumhouria » (la République) l'a escorté jusqu'à sa sortie de la rade de Bizerte.
L'aviso «Destour», quant à lui ayant à on bord Bahi Ladgham accompagné des généraux Mohamed Kéfi et Habib Tabib, et le capitaine de frégate Béchir Jedidi, ainsi que le commandant de la garde nationale Mahjoub Ben Ali, accosta à « la pêcherie » face au mât. L'instant était historique, le drapeau tunisien a été déroulé par des éléments de l'armée nationale, hissé par le ministre de la défense, et salué par la foule présente, chantant Houmet el Hima.
Bourguiba était à l'écoute de la radio nationale qui transmettait la cérémonie en direct, les cours dans les écoles et lycées avaient été suspendus pour suivre le reportage en direct.
Bahi Ladgham, la voix pleine d'émotion au téléphone: «Monsieur le président, j'ai l'honneur de vous annoncer que l'évacuation des troupes française est terminée, et le drapeau tunisien a été hissé sur le lieu dit de la pêcherie. Je vous félicite pour ce succès, c'est un très grand jour dans l'histoire de la Tunisie »; Bourguiba, non moins ému: «je vous remercie, que Dieu fasse que la Tunisie ne soit à jamais occupée !»
Notre liberté enfin retrouvée
La mémoire collective se crée et se cimente, dans les hauts faits d'une nation. La Tunisie du fait de sa géographie a subi l'histoire par les envahisseurs et l'a contrainte à se défendre systématiquement. La seule fois où ses armées ont pris l'initiative ce fut lors de l'épopée carthaginoise avec Hannibal attaquant Rome après avoir fait le pourtour de la méditerranéenne orientale, traversé l'Europe du sud, et franchi les Alpes.
L'existence de la nation tunisienne, doit se manifester en particulier dans des épreuves communes, comme, celle de la révolution de Ben Ghedahem en 1864, des événements du Jellaz en 1911, ceux du 9 avril 1938, comme ceux de Sakiet Sidi Youssef en février 1958 et ceux de Bizerte en juillet 1961, et plus récemment du 26 janvier 1978 , du 3 janvier 1984 et du 1er octobre 1985, lors de la lâche agression israélienne sur Hammam Echatt en bombardant le quartier général de l'OLP tuant pèle mêle palestiniens et tunisiens.
Enfin la résistance du peuple tunisien durant 23 ans contre une dictature implacable et mafieuse, a été couronnée par la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, avec son lot de martyrs et blessés. Elle a marqué le couronnement de la lutte nationale pour recouvrer le dernier élément de son indépendance, à savoir: la liberté, la démocratie et la dignité. Tous ces événements historiques entrent dans le cadre de la saga du peuple tunisien. Ce peuple doit s'enorgueillir de son vécu historique et retenir qu'il a combattu pour sa liberté et son émancipation, ses droits politiques et sociaux, aucun exemple de l'histoire ne peut illustrer un gain de liberté sans sacrifice; rien ne se donne, tout s'arrache. Le sang tunisien à Bizerte a été versé du fait de l'utilisation d'armes sophistiquées et même prohibées par les conventions internationales. La France a été dans cette bataille la partie agressante, face à des manifestants sans armes ou sommairement armés et ne constituant aucun danger pour les armées françaises lourdement équipées en moyens militaires.
Pour ceux parmi nous qui par auto-flagellation, ou aversion du pouvoir bourguibien, reprennent à leur compte la thèse coloniale de « la provocation et l'opportunisme Bourguibiens», et c'est leur droit, je demanderai de modérer leur jugement. A mon humble avis, une telle analyse des faits ne devrait guider notre approche, en attendant que l'histoire ne se prononce. Faut-il rappeler que plusieurs témoins et analystes ont relaté dans des ouvrages sérieux et objectifs, l'usage disproportionné de la force du coté français. De Gaulle n'a-t-il pas reconnu à propos de Bizerte que: «c'était un épisode regrettable entre amis».
Il est vrai que Salah Ben Youssef a été assassiné par des agents tunisiens en Allemagne pendant cette période, mais là nous avons affaire à un épisode peu glorieux du régime bourguibien.
Mais si la responsabilité française est clairement admise dans son volet militaire, l'histoire délimitera celle tunisienne dans la gestion de la crise de Bizerte, une fois les rapports diplomatiques secrets et les archives militaires des deux cotés, mises à la disposition du public ainsi que tous les témoignages recueillis. Cela est possible maintenant, puisque cinquante ans se sont écoulés depuis les faits. A moins que certains éléments ne puissent être divulgués dans le cadre du très classique «secret défense», terme usité pour cacher la vérité. Mais notre démocratie naissante se doit d'être au diapason de la transparence historique.
Sitôt l'affaire de l'évacuation militaire terminée, a été lancé le processus de récupération des terres coloniales, connu sous l'appellation de «l'évacuation agricole», engendrant une nouvelle crise franco-tunisienne qui a commencé en 1964 pour se terminer en 1968, douze ans après l'indépendance. Mais là aussi, il s'agit d'un autre chaînon faisant partie du processus de décolonisation, cher aux pères fondateurs des indépendances des pays du tiers monde.
Après cette date, nos relations avec la France n'ont cessé de s'améliorer et de se consolider. De rapports tendus au départ, nous avons actuellement des relations privilégiées, une coopération fructueuse et une importante colonie tunisienne, vivant en France.
Mais les efforts du peuple tunisien qui s'est tant sacrifié pour recouvrer sa liberté et récupérer ses terres, n'ont pas été couronnés par la nécessaire démocratie. On connaît ensuite l'histoire du régime bourguibien, qui s'est effrité par manque de souffle de la cohésion sociale et politique. Heureusement que maintenant les portes sont largement ouvertes pour une évolution démocratique de notre pays, vers plus de justice sociale et plus de bonne gouvernance.
Depuis les élections du 23 octobre notre pays en phase de transition démocratique, a connu certains succès mais aussi quelques déceptions (violence verbale puis physique, tiraillements, assassinats politiques, terrorisme, instabilité, troubles sociaux, et début de crise économique).
Le dialogue national groupant le maximum d’intervenants sous la houlette d'organisations nationales connues pour leur engagement, est notre dernier recours. L’issue de crise est obligatoire et les sacrifices doivent être consentis de la part de tout le monde. Dorénavant, La Tunisie ne peut supporter ou tolérer d’être gouvernée en dehors de l'union nationale (période intérimaire et prochain mandat).
La voix de la sagesse doit s'imposer à l’esprit conflictuel, le peuple a besoin d'espoir, d'optimisme et de sérénité pour imaginer une issue heureuse à la crise.
Sécuriser l'étape transitoire par l'adoption d'une constitution acceptée par la majorité des tunisiens, et suivre un agenda électoral convenable dans des délais raisonnables, l'ANC jouant son rôle (ISIE et code électoral adoptés) sont la base des attentes politiques des citoyens; mais ce volet politique doit être accompagné d'une paix sociale, politique et même médiatique, conditions nécessaires pour mettre en place un socle solide pour qu'un gouvernement que j'appellerai intérimaire assure la direction du pays pendant la période qui reste, jusqu'aux prochaines élections.
Le peuple tunisien a besoin de dirigeants et responsables (pouvoir, opposition et société civile) sincères, compétents, travaillant selon un code d’éthique respectueux des valeurs universelle de l’intégrité, de la transparence, et du dévouement à la chose publique, imprégnés d'humilité, fidèles aux valeurs de la révolution et de l'amour de la patrie.
J'espère que ce cinquantième anniversaire de l'évacuation va engendrer un nouveau sursaut dans l’édification de la Tunisie, État moderne, libre et démocratique dont les tunisiens seront fiers. Tous les pays du monde nous ont regardé et observé avec envie pour certains et respect pour d'autres et ils continuent à le faire. Leur aide est acquise, et j'en suis témoin, faisons en alors bon usage avec plus de solidarité citoyenne , moins d’égoïsme, plus de responsabilité, en leur donnant un signal fort de notre cohésion nationale et notre engagement.
Nous sommes à la croisée des chemins, plusieurs défis font face à nous: Attelons nous au travail, chacun de sa position, pour créer plus de richesse, plus d'emploi, plus de développement régional, avec une place prépondérante aux jeunes et aux femmes, grâce à plus de sécurité et plus d'investissement.
Les conditions du succès sont dans l’essence même de notre peuple à savoir: une société médiane, femmes et hommes, tolérante, fière de son identité, de son passé et de son avenir, de sa jeunesse, de sa modernité, de sa stabilité, libre et indépendante.
Quant à nous, acteurs politiques, nous devrions adopter dans nos débats, plus le profil du leadership calme et respectueux de l'autre, abandonnant la posture du leadership conflictuel, hargneux, aigri et vindicatif. Nous gagnerons en efficacité et notre message, ne sera que plus intelligible, et sa perception plus positive. Notre devise doit être celle chère aux bâtisseurs de la Tunisie moderne: « la sincérité de la parole et le dévouement dans l’action »
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L’Histoire ne retiendra de cette phase, ô combien difficile, que le résultât de cette transition démocratique à savoir des institutions stables et démocratique à travers une constitution librement choisie garantissant les libertés fondamentales, l’équilibre des pouvoirs, une justice sociale et une distribution équitable des richesses nationales tenant compte des régions défavorisées. Alors mettons nous à l’œuvre.
Dr Abderrahman Ladgham
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