Kaddour Srarfi (1913-1973):Le chantre du moderato cantabile
Est-ce que Pelé était meilleur que Maradona ? Ou bien l’inverse ? A vrai dire cette question ne trouvera jamais la réponse qui contentera les fans du Brésilien ou de l’Argentin. Pour ma part, je me contenterai de dire que j’aime ces deux mégastars. Point à la ligne…
Si j’ai parlé de ces deux footballeurs, c’est bien parce que j’ai l’intention de traiter dans ces pages deux cas similaires, mais dans un domaine totalement différent. Celui de la Musique, et du violon en particulier! En effet, notre bonne vieille Tunisie a enfanté au début du siècle écoulé deux jeunes artistes, épris du même instrument, c’est-à-dire le violon. Ce bijou qui, s’il est bien «caressé», peut vous plonger dans un sublime nirvana.
Ces deux jeunes artistes ne sont autres que les regrettés Kaddour Srarfi et Ridha Kalaï. Deux Tunisois qui ont eu la chance de voir le jour dans un milieu familial composé de mélomanes de haute volée. Cela a donc favorisé leur apprentissage du métier qui sera le leur. Toutefois, Kaddour, dès le départ, a eu le mérite de tout apprendre sur des bases scientifiques - si j’ose dire. Ainsi, il a pu se familiariser avec l’harmonie, le contrepoint, le solfège, la direction d’orchestre, grâce aux grands maîtres étrangers de l’époque. Sur ce plan donc, Kaddour a plusieurs longueurs d’avance sur Ridha. D’ailleurs, c’est son frère cadet, le luthiste Mohamed Kalaï qui était chargé «d’écrire» les partitions des compositions de l’aîné. Ainsi que la plupart des artistes de Lafayette, contre espèces sonnantes et trébuchantes, évidemment…
A présent, reste le volet de «l’exécution». Ridha était réputé pour sa préférence du temps allegro. Alors que Kaddour penchait davantage pour le moderato qui engendre le vague à l’âme, comme il peut passer sans transition aux délices de la douceur de vivre.
Dans son genre, Ridha était le roi indiscutable. Tandis que dans le sien, Kaddour était l’empereur devant qui toutes les formations s’inclinent.
Mieux, ou pire, c’est selon, Ridha était du genre bohême. Qui s’entêtait à vivre à cent à l’heure, sans garde-fou et sans penser au lendemain… Tout à fait le contraire de Kaddour le sage, le pondéré et le prévoyant.
Kaddour s’est marié une première fois avec une Américaine venue d’Hollywood pour se familiariser avec la musique tunisienne. C’était à l’orée des années cinquante, et en 1952 il a été invité par le professeur
Mohieddine Bach Terzi à Alger pour diriger l’orchestre de l’Opéra de la capitale algérienne. Et c’est loin de Tunis que naquirent Aïda et Henda. Mais son épouse est emportée par un terrible mal, et il se remarie avec une Algérienne qui élèvera avec amour les deux orphelines et lui donnera deux garçons et trois filles. Dont la remarquable Amina qui est depuis des décennies la digne ambassadrice de la musique tunisienne.
Après Alger, Kaddour ira à Tripoli pour former l’orchestre de la radio libyenne et le mettre sur les rails.
Kaddour Srarfi a été un géant formé à la Rachidia et qui a su transmettre son savoir avec un doigté à nul autre pareil.
De l’homme que j’ai connu — de loin me dois — je d’avouer —, je me rappelle que je l’apparentais à un «iceberg». Par rapport à l’ «ouragan» Ridha Kalaï. En effet, je ne l’ai jamais vu en colère dans les coulisses. Ni contre les organisateurs d’un gala, ni contre l’un de ses musiciens. On m’a dit sous le signe de la confidence qu’il se contentait de lancer en sourdine un « salopard » désapprobateur à celui qui dérangeait sa légendaire quiétude. Et pas plus !
Né en 1913 à Tunis, Kaddour Srarfi nous a quittés en 1977, toujours à Tunis à l’âge de 64 ans. Mais le violon porte toujours le deuil de cet homme illustre. Qu’il repose en paix!
Stoura