Hommage à ... - 29.10.2013

Hommage à Si Ali El Hili

Si  Ali El Hili n’est plus. L’universitaire que je suis, est en deuil.  L’université tunisienne vient de perdre  ce 19 octobre 2013, l’un de ses plus illustres représentants, la Tunisie, l’un de ses plus grands hommes. Pour les amis, c’est toujours trop tôt pour partir, trop vite.

Ancien doyen de la Faculté des Sciences, il tenait «son campus» dont il connaissait tous les coins et recoins,  attentif à tous, aux plus démunis surtout.  le premier arrivé,  le dernier parti. Plus tard, il assumera la charge de Directeur de la Fondation Nationale de la Recherche Scientifique, avec la même  conscience professionnelle, le même naturel et la même distinction.

Le physicien maniant à la perfection la langue française, - peu de gens peut-être le savent- était  un fin lettré.  Nos échanges intellectuels entamés alors,  si fructueux, si enrichissants, n’ont jamais cessé. Plus tard, bien plus tard,  puisant généreusement dans sa bibliothèque, il a mis à ma disposition,  des ouvrages rares de littérature de voyage – c’est ma grande dette envers toi ,  Si Ali,  –  facilitant ainsi mes recherches en la matière.  Relier en cuir pleine - peau, la photocopie d’un ouvrage rare ? Si Ali l’a fait par amour du livre. Lecteur  de Polybe et de Tite-Live, des Anciens comme des Modernes, l’amateur de Rimbaud qu’il fut, était particulièrement féru de littérature  et souvent, il en savait plus que le spécialiste. Je l’ai vu ainsi apporter avec assurance, des réajustements lors d’une conférence d’Edmonde Charles-Roux sur Isabelle Eberhardt. Que ce soit lors de ses propres conférences ou dans le cadre de débats, ses interventions, quel  qu’en fût le sujet, se distinguaient par la pertinence du propos et la liberté de penser.  Et sa parole faite d’audace,  fusait droit, ferme, sans détour. Quand il intervenait, sa voix forte couvrait l'espace et il se faisait soudain silence.

L’homme était d’une intégrité,  d’une probité à toute épreuve.  Sa réputation d’incorruptible le suivait partout. Mais il  était  aussi un homme de cœur. Souvent sollicité, il rendait service toujours. Beaucoup savent ce qu’ils lui doivent.

Il a refusé  au début des années 80 ,  le portefeuille de ministre de l’Enseignement  Supérieur pour ne pas déroger à ses principes, étranger aux bruits du monde dont il entendait bien cependant les échos, préférant  observer  les oiseaux.

Ornithologue par passion, il a su faire de l’Association, « Les Amis des  Oiseaux », une association  pour la sauvegarde de l’environnement, de la flore et  de la faune tunisiennes. Son combat pour la protection de l’outarde « Houbara » est légendaire, y allant le verbe haut, de dénonciation en dénonciation, ne cédant jamais aux chants des  sirènes.

Si Ali aimait sillonner le pays,  la casquette en toute simplicité vissée sur la tête, heureux de faire découvrir aux visiteurs, le patrimoine tunisien, des ressources naturelles aux gravures rupestres. Il a été à l’origine de nombreuses expéditions scientifiques sur les îles tunisiennes. La préservation de Zembra, de La Galite, de  l’archipel des Kerkennah  et  de leur faune et de leur flore, lui tenaient particulièrement à cœur.

Plus que tout, il a aimé son île natale, Kerkennah, dont il était fier et dont il a contribué à rappeler la dimension historique  et géographique de l’Antiquité à nos jours, par  ses travaux,  à travers  aussi les fouilles archéologiques qu’il a initiées sur place , extirpant au passage, de l’oubli, pour la soumettre  à l’attention des chercheurs, une variété d’orge particulièrement adaptée au sol kerkennien.   Rien de plus beau pour lui, que la baie de Chergui, pas même la mythique baie de Naples.

Retiré le plus souvent ces dernières années, sur son île natale, il aimait à dire qu’il cultivait son jardin, faisant sienne la philosophie  voltairienne.

Certains l’appelaient  Sid Ali ou tout simplement  Sidna .  Par son professionnalisme et son intégrité sans faille, il s’est  forgé  une stature tant sur le plan national qu’ international.  Personnalité connue et reconnue, cet homme de culture, au savoir étendu,  cultivait la simplicité et était aussi à l’aise avec les  gens simples qu’avec les grands de ce monde.  Esprit indépendant, foncièrement libre, il  avait particulièrement le sens du devoir, de la parole donnée.  Il  faisait partie de ces  êtres d’exception,  qui selon le mot de Malraux, « méritent l’honneur d’être homme ». Vous resterez, tu resteras  Si Ali, à jamais une grande figure de la Tunisie, forçant sans conteste, l’estime et le respect. Le jeune lycéen  qui déjà défraya la chronique par sa réussite éclatante, comme il aimait à le rappeler fouillant dans ses souvenirs, a tenu ses promesses.

Sa dernière intervention publique portant sur les îles de la Méditerranée, a eu lieu à Marseille en ce juillet 2013. Nous aurions aimé vous  voir encore parmi nous ,  écouter encore vos interventions savantes,  entendre vos dénonciations courageuses de tout ce qui déroge  à la préservation du patrimoine naturel tunisien. 

Et puisque tu aimais tant le beau style et la littérature, voici ces quelques vers :

Ce toit tranquille où marchent les colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer toujours recommencée !
(Paul Valéry, Le cimetière marin)

Si Ali, tu es parti en silence, repose en paix maintenant  face aux flots, sur cette île que tu as tant aimée.

Samira  M’rad-Chaouachi
Universitaire 

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