Retour sur l'affaire Malek Jaziri: le grand cinéaste anglais Ken loach explique pourquoi il est partisan du boycott culturel d'Israël
L’affaire Malek Jaziri a donné lieu à quelques débats enfiévrés et brouillons. A l’heure où le Président François Hollande s’incline à Jérusalem devant la tombe de Théodore Herzl, le père du sionisme, il est clair que, dans le conflit israélo-palestinien, les symboles jouent un rôle important. Le talentueux et célèbre réalisateur de cinéma britannique Ken Loach- membre du Comité de Parrainage du Tribunal Russell pour la Palestine- explique dans une interview menée par Frank Barat pour « New Internationalist» (07 novembre 2013), les raisons d’un boycott culturel d’Israël. Frank Barat est un ancien coordinateur près le Tribunal Russell pour la Palestine.
Et à l’heure où le cinéma israélien avec des films comme «Room 504» (qui traite de «la justice» militaire israélienne) essaie de donner d’Israël une image de pays démocratique, il nous a paru utile de livrer à l’opinion tunisienne la traduction des arguments que ce grand monsieur développe dans l’entretien qui suit.
Mohamed Larbi Bouguerra
Pouvez-vos nous dire comment vous avez pris conscience et avez été impliqués dans la lutte pour les droits des Palestiniens?
Ken Loach: Cela c’est fait il y a quelques années alors que je travaillais sur une pièce de théâtre intitulée «Perdition». Elle traitait du sionisme pendant la Deuxième Guerre Mondiale et le marché qui avait alors été conclu entre certains sionistes et les Nazis. Ce qui jette un éclairage totalement nouveau sur la création de l’Etat d’Israël et sur la politique du sionisme. J’ai alors pris conscience et puis, graduellement, au cours des années suivantes, que la fondation d’Israël est assise sur un crime contre les Palestiniens. Depuis, d’autres crimes ont été perpétrés. L’oppression des Palestiniens- qui ont perdu leur terre, dont la vie est quotidiennement perturbée par l’occupation, qui vivent dans un état de dépression permanente et qui perdure - est une situation qui nous interpelle.
Pourquoi la Palestine? Pourquoi la Palestine est-elle symbolique?
Ken Loach: L’oppression se rencontre partout dans le monde mais un certain nombre de choses rendent le conflit israélo-palestinien exceptionnel. Tout d’abord, Israël se présente au monde comme une démocratie. Un pays pareil à n’importe quel Etat occidental. Il se présente de cette façon alors qu’il commet en réalité des crimes contre l’Humanité. Il a produit un Etat qui, comme dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, des considérations raciales divisent le pays. Israël est aussi soutenu militairement et financièrement par l’Europe et les Etats Unis. Ainsi, se poursuit une énorme hypocrisie. Nous soutenons un pays qui se prétend être une démocratie, nous le supportons de mille manières et pourtant, il est impliqué dans des crimes contre l’humanité.
Il y a divers moyens pour changer tout çà et l’un de ces moyens est l’appel au BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Vous êtes la première personnalité de grande importance à approuver et à soutenir cet appel pour un boycott culturel d’Israël. Vous avez ainsi ouvert la voie pour que de nombreux autres créateurs vous rejoignent. Certains disent que vous ne devriez pas boycotter la culture. Que leur répondez-vous?
Ken Loach: Tout d’abord, vous êtes un citoyen, vous êtes un être humain. Quand vous êtes confrontés à de tels crimes, vous avez à répondre en tant qu’humain- indépendamment de votre étiquette d’artiste, de VIP ou autre. Avant toute chose, vous avez à répondre et à faire ce dont vous êtes capable pour attirer l’attention des gens. Un boycott est une tactique. Il est efficace vis-à-vis d’Israël parce qu’Israël se présente comme un phare culturel. Il peut donc être très affecté par un boycott culturel. Nous ne devrions avoir rien à faire avec des projets soutenus par l’Etat d’Israël. Les individus ne sont pas concernés. Nous devons diriger nos actions sur l’Etat d’Israël. C’est lui notre cible. Nous avons cet Etat en point de mire car nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder les gens vivre une vie de réfugiés dans les camps pour l’éternité.
Israël utilise l’art et les films dans le cadre d’une campagne lancée sous le sigle «La marque d’Israël». L’art est donc politique. En ce qui vous concerne, tous vos films sont politiques. A votre avis, l’art peut-il être un outil pour combattre l’oppression?
Ken Loach: Oui. Le point fondamental est le suivant : quelle que soit l’histoire que vous choisissez de raconter ou les images que vous choisissez de montrer, ce que vous sélectionnez révèle vos centres d’intérêt. Si vous faites un film d’évasion, sans rapport avec la réalité, dans un monde plein d’oppression, cela montre où sont vos priorités. Ainsi, tourner un grand film commercial dans le but de se faire beaucoup de recettes, cela dénote certaines choses. Il en découle des conséquences politiques ainsi qu’un positionnement lui aussi politique. La plupart des arts se situent dans un contexte politique et ont des incidences politiques.
Avez-vous entendu parler de «World War Z», un film avec Brad Pitt et où il est question d’un virus qui fait des victimes partout dans le monde et le seul endroit sûr sur terre est Israël à cause du mur qu’il a élevé?
Ken Loach: Cela a tout l’air d’un scénario d’extrême droite. On doit voir le film avant de porter un jugement. Mais, d’après votre description, cela sonne vraiment comme un fantasme d’extrême droite. Il est intéressant de relever qu’Israël se dévoile via ses amis. En Irlande du nord- où perdure un long fossé historique séparant loyalistes et républicains- on voit sur les murs des loyalistes la bannière israélienne et le drapeau des Sud-Africains blancs ; les républicains, quant à eux, arborent les emblèmes palestinien et de l’ANC (African National Congress, le parti de Mandela). Comme c’est curieux ! Les alliances révèlent tellement de choses sur ce que pensent vraiment les gens.
L’essor des idées de la droite et de l’extrême droite en Europe vous inquiète-t-il? Cela me rappelle le début des années 1930.
Ken Loach: L’essor de l’extrême droite accompagne toujours la récession économique, la dépression et le chômage de masse. Ceux qui sont au pouvoir veulent toujours le garder. Ils doivent toujours dénicher des boucs émissaires parce qu’ils répugnent à l’idée que les peuples livrent combat à leur véritable ennemi : la classe des capitalistes, les capitaines d’industrie et ceux qui contrôle le pouvoir politique. Ils ont besoin de boucs émissaires. Ils montrent alors du doigt les plus pauvres, les immigrants, les demandeurs d’asile et les gitans. La droite jette alors son dévolu sur les plus vulnérables et sur les plus faibles : elle leur impute la responsabilité de la crise économique. Quand il y a chômage de masse, les gens sont malheureux et cherchent à trouver quelqu’un à combattre. Les juifs ont vécu cette situation dans les années 1930 et d’atroces tourments leur ont été infligés. Aujourd’hui, c’est le tour des immigrants, des chômeurs…En Grande Bretagne, nous avons des médias terribles qui vont reprocher à ceux qui sont sans emploi leur chômage alors qu’il n’y a tout bonnement pas de travail !
Comment pouvons-nous réagir à tout cela quand les mêmes personnes contrôlent tout: la presse, le capital, la politique? Comment nous, la société civile, sans accès à la presse du courant dominant, pouvons défier et vaincre cette idéologie?
Ken Loach: Grande et terrible interrogation. Tout compte fait, tout est politique. Vous devez procéder à l’analyse de la situation et organiser la résistance. Comment organiser tout cela a toujours été une formidable question. Vous devez faire échouer toute attaque, tenir bon et vous placez fermement du côté de ceux qui subissent les pires attaques. Vous devez aussi organiser des partis politiques. La difficulté est que, quand vous avez des partis, vous avez de mauvaises analyses. On a eu pendant des années des partis staliniens qui ont conduit les gens dans l’impasse, nous avons les sociaux- démocrates qui nous poussent à croire que nous devons faire de l’entrisme, que nous pouvons réformer le système de l’intérieur et le mettre au travail. Ce qui est, bien entendu, un fantasme. Cela ne marchera jamais. Quelle politique? Voilà la question qui taraude tout le monde. Les gens se collettent tous les jours avec cette énigme.
Question: Votre dernier film aborde ces points. Notamment à propos de personnes marginalisées pour leurs opinions politiques. J’ai appris aujourd’hui que le film «Jimmy’s Hall» pourrait être votre dernier opus et que vous comptez vous consacrer dorénavant aux documentaires, ce qui est une excellente nouvelle pour la Palestine.
Ken Loach: Je ne suis pas au courant de tout çà ! « Jimmy’s Hall » a eu un tournage plutôt long et a nécessité un travail ardu. Je ne suis pas sûr de pouvoir de faire un autre film du même genre. Mais il y a toujours des remous à faire quelque part et je dois faire de mon mieux pour déranger un peu plus. Sans doute aucun, des films doivent être consacrés à la Palestine. C’est aux Palestiniens de les réaliser. Au final, le combat des Palestiniens sera couronné de succès. Les choses ne peuvent rester statiques, en l’état, indéfiniment. Au final, le succès sera au rendez-vous. La question la plus importante est de savoir quelle Palestine verra le jour ? Il ne s’agit pas de mettre fin à l’oppression – la question perpétuelle. Il s’agit de savoir quel est l’Etat qui va voir le jour. Sera-t-il celui de tous les citoyens? Ou bien sera-t-il dominé par la classe aisée qui opprimera le reste de la population quel que soit le contexte? Quel est l’Etat qui verra le jour, telle est en définitive la question la plus importante.
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