La réforme du système éducatif tunisien Mère de toutes les batailles
Après des succès dus essentiellement à la massification tels qu’ils peuvent être mesurés par le niveau et le rythme d’évolution des taux de scolarisation par genre, notre système éducatif ne cesse de buter depuis trois décennies au moins sur deux problèmes majeurs: baisse des performances et développement des inégalités sociales et régionales. Aucun n’a trouvé de solution.
La raison est que la réforme du système éducatif paraît si complexe, si difficile à mettre en œuvre et si effrayante que décideurs et société ont choisi de l’éluder au profit d’un statu quo nécessairement régressif, injuste et dangereux. S’agissant de la baisse des performances, la question est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. L’Unesco comme la Banque mondiale ou l’OCDE n’ont pas adopté les mêmes critères pour statuer sur les performances globales d’un système éducatif. Des considérations relatives au volume de la déperdition scolaire et universitaire ou le pourcentage de bacheliers dans une classe d’âge peuvent tout aussi bien entrer en ligne de compte. Elles restent cantonnées néanmoins au domaine du quantitatif, ce qui est insuffisant ou arbitraire pour juger des performances globales d’un système éducatif. Toutefois, il y a unanimité pour convenir que la mesure de la qualité d’un système éducatif passe nécessairement par l’évaluation des performances individuelles des élèves (à un certain âge ou à un certain niveau scolaire) en lecture, sciences et mathématiques. Selon ce critère, la baisse de la qualité de l’enseignement en Tunisie est incontestable, même si elle a cohabité avec le développement d’une forme d’élitisme profitant essentiellement aux classes favorisées (voir le rapport PISA de 2009 publié en 2010. PISA : acronyme pour «Program for International Student Assessment» en anglais, et pour «Programme international pour le suivi des acquis des élèves» en français). En fait, nous avons d’un côté des écoles de base et des lycées implantés dans des régions, des localités et des quartiers favorisés qui fournissent le contingent des «gagnants» du système et le quota le plus important aux facultés de médecine, aux écoles d’ingénieurs et aux écoles de gestion et de commerce les plus huppées; de l’autre des écoles de base et des lycées implantés dans des régions, des localités et des quartiers moins favorisés qui fournissent le contingent des «perdants» du système et le quota le plus important aux maîtrises (on dit LM désormais) et aux filières courtes, filières à l’origine de près de 90% du chômage des diplômés du supérieur. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce sont les mêmes gouvernorats qui se classent constamment aux cinq dernières places aux résultats du bac et les mêmes gouvernorats qui occupent régulièrement les cinq premières.
La corrélation entre le milieu socioéconomique des élèves et leur performance scolaire en Tunisie n’a pas fait l’objet d’un suivi particulier de la part des services officiels, non pas parce qu’elle est niée, mais parce qu’elle est mal connue, sous-estimée ou crainte. Elle est pourtant d’une importance capitale. Signe des temps, même après la révolution, l’origine sociale des élèves inscrits dans les lycées pilotes est restée un secret mieux gardé que l’effectif de nos forces armées ou la composition du panel des devises étrangères servant à calculer la valeur de notre dinar. Toutefois, des indications recueillies dans un lycée pilote bien connu permettent de constater que les élèves ayant des parents ouvriers ne dépassent pas 1% du total en moyenne alors que les enfants de cadres et de professions libérales supérieurs accaparent près de 80% des places au même lycée.
En tout état de cause, toutes les études menées dans le monde ont démontré la solidité de la corrélation entre le milieu socioéconomique des élèves et leurs performances scolaires individuelles. Plus on s’élève dans la hiérarchie socioéconomique, meilleures sont les performances des élèves, mieux assuré est leur avenir. La Tunisie n’échappe pas à cette règle. Bien sûr, une minorité d’enfants de milieux défavorisés ou moyennement favorisés arrivent à contourner l’obstacle, mais leur nombre se réduit peu à peu, réduisant du même coup le flux de la circulation sociale. Or sans circulation sociale, il n’y a point de régénérescence pour une société et pas davantage de paix civile. Au fil du temps, notre système éducatif est devenu moins performant. La première université tunisienne n’arrive qu’à la 73ème position au top 100 des meilleures universités africaines. Aucune ne se classe au top 1000 des meilleures universités mondiales. La première se classe au-delà du 6900ème rang mondial. Parallèlement, une grande partie des meilleurs bacheliers continue à émigrer massivement pour alimenter la recherche, l’enseignement et la production des pays développés. C’est dire que l’école tunisienne a perdu sur les deux tableaux. Certes l’équilibre entre l’élitisme à l’indienne et la massification à la tunisienne est difficile à trouver. N’empêche, cet équilibre doit être trouvé puisque les dommages collatéraux inhérents à son absence sont nombreux et rédhibitoires: affaiblissement du potentiel scientifique et technique, gaspillage des ressources humaines et des deniers publics, reproduction sociale, iniquité sociale et régionale, chômage galopant des diplômés du supérieur, inadéquation civique et professionnelle des sortants du système éducatif. Se pose alors la question de savoir comment peut-on réduire ce gaspillage et pallier ces insuffisances sans que l’on ne procède à une refonte complète de l’éducation nationale, de la formation universitaire et de la recherche scientifique?
Certains jugeront incongru ou fantaisiste l’appel à repositionner la réforme de l’école comme la priorité absolue, la «mère des batailles» pour ainsi dire, à l’heure où le pays affronte des problèmes plus «urgents». Rien n’est plus faux. Un pays qui se respecte doit pouvoir affronter l’urgence sans sacrifier à la préparation de l’avenir. Il se peut même que le recentrage du débat politique et public autour des problèmes essentiels, dont l’éducation et la formation, puisse contribuer finalement à élever le niveau de ce débat, à faire taire la horde des vociférants et des hystériques, et à initier la classe politique aux véritables compromis.n
H.T.
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Analyse pertinente, mais academique. Car les causes de tout disfonctionnement dans une société se situent au niveau des orientations politiques. Et si Bourguiba a su adopter les recettes les plus positives du capitalisme, Ben Ali à tout abandonné au techniques libérales sauvages. Quand aux Islamistes, ils veulent assujettir notre système d'enseignement aux elucubration passéistes et figés du wahabisme.Si donc le constat de la faillite du système d'enseignement, le plus important et le plus urgent c'est de concevoir un système d'enseignement nouveau. Or si les Islamistes ont déjà commencé la mise en place d'un système d'enseignement nouveaux, à travers les centaines d'écoles coraniques, les séminaires wahabistes, les prêches des mosqués et les fatwas des malades mentaux, nos centaines d'associations laiques restent contonnés encore dans les actions de charité et les activités marginales
Je suis d'accord sur le fait que l'éducation est la principale priorité mais je pense ce texte néanmoins utopique car ce problème ne peut être réglé avant que soit tranché la question essentielle, première a savoir la place que l'on veut donner dans le pays aux partis qui instrumentalisent la religion. Tant que les islamistes seront au pouvoir ou lié d'une manière ou d'une autre au pouvoir une éducation comme l'entend l'auteur ne pourra être développée.
Vous avez raison de souligner que l 'origine sociale est un marqueur;il y a un enseignement à 3vitesses ;les plus favorisés ont un capital social comme dirait BOURDIEU;il y l 'argent ;des parents instruits bien informés des bonnes filieres;ils possedent un réseau social international ou leur proginéture peut s 'y inserer aisément.L 'école est devenue une marchandise comme la santé il y a d'excellentes écoles privés d 'excellentes cliniques performantes le public est en déshérence les choix sont d 'abord politiques.on peut négocier avec les écoles privées un quota pour les classes défavorisées pour favoriser la mixité sociale aussi .lLL 'enseignement vous avez encore doublement raison est capital;et ce n 'est pas les creches pseudo coraniques qui nous donnent une raison d 'esperer;on allait au kotab avant.
Refonte complète de l'éducation nationale, de la formation universitaire et de la recherche scientifique ? Si Habib semble ignorer l'Action de Grande Envergure menée par le Ministère concerné. Une Grande Réforme, réclamée par la Révolution et mise en oeuvre à savoir l'introduction de nouveaux programmes en rapport avec la Finance Islamique et la Conception Islamique de la Gestion Economique qui risquerait de révolutionner l'économie de la Tunisie et offrir des débouchés extraordinaires en faveur de nos jeunes diplômés dans ces nouvelles disciplines aussi bien en Tunisie et à l'étranger. Des Débouchés plus importants que ceux offerts par les NTIC. Vous voyez Si Habib la réponse à vos soucis.
C'est une manie chez nous de délapider tout ce que nous avons construit de bon! ainsi le système éducatif tunisien, après avoir été une sorte de "fer de lance" des systèmes des pays arabes et africains, il devient champion de la médiocrité, aussi injuste qu'inéfficace. Pouvions nous nous attendre à mieux après le passage entre les mains de Ben Ali et sa clique. Devons nous avoir peur de ceux qui lui succèdent (provisoirement, je l'espère)qui n'ont en tête que la division et le retour vers le moyen-âge et qui pourraient précipiter une refonte du système éducatif inspirée par leurs aspirations politico-religieuse. Avec un certain recul pourrait on considérer que le système éducatif tunisien s'est calqué sur le système français créant avec les années une certaine "dictature" du diplôme. cette voie inadaptée eu égard aux véritables besoins de notre société, tant sur le plan économique que social. Refondre le système éducatif demande à s'appuyer sur les têtes pesantes qui ont déjà abordé la question dans sa globalité du plus haut diplôme jusqu'à la formation professionnelle, pour proposer des modèles adaptés et efficaces, prions qu'ils soient aussi justes. l'élitisme n'est pas une mauvaise chose s'il est ouvert à toutes les couches sociales. je partage entièrement l'analyse qui veut faire de l'enseignement "la mère des batailles" pour un pays qui mérite mieux que ce que lui imposent l'ignoerance et l'obscurantisme détenteur actuel du pouvoir.
le système d'éducation en Tunisie souffre , a mon avis, d'une absence de planification qui nécessite une prévision sur le moyen et le long terme et une meilleure intégration du problème de l’éducation et de l'enseignement supérieur au niveau du plan économique et social de notre pays. le planificateur doit tenir compte de besoin du marché d'emploi, il doit établir les prévision nécessaire relative à la demande de main d’œuvre 10 à 12 ans avant la création d'un établissement d'enseignement, chose qui n'était pas prise en compte en Tunisie; en outre la mise en œuvre d'une telle reforme au niveau de l'éducation doit être programmée sans aucune considération politique ou populiste ou même sous le prétexte d'alignement sur le contexte externe tel est le cas de la mise en œuvre du système LMD, ou le fameux 25 % de baccalauréat; qui ont débouchés aujourd'hui à " une spirale de diplômes".Concernant le classement mondiale de l'Université tunisienne; elle atteste bien , malgré les critiques adressées aux critères adoptés dans ce classements, de l'absence d'une stratégie claire d'internationalisation de l'université Tunisienne qui nécessite un processus fiable au niveau de l’utilisation de l'Anglais comme langue d'enseignement, une diversification de la coopération vers les Universités anglophones prestigieuses et une meilleure organisation mais également encouragement de la recherche scientifique tout en se concentrant sur le volet technique en relation avec la meilleure visibilité des Universités tunisiennes et des travaux de recherches qui en relèvent sur l'internet.
La didactique des disciplines scolaires en Tunisie, dont on ne peut faire l’économie aujourd’hui, s’est focalisée sur la réalité de l’enseignement de la discipline, sur le message disciplinaire à l’adresse de la classe et sur l’appropriation de la connaissance par les élèves en relation avec les processus d’enseignement apprentissage des savoirs spécifiques en jeu. Il en a résulté l’étude de plusieurs thèmes et concepts didactiques et la proposition de nombreuses démarches, en l'occurrence la modélisation et l'approche systémique. Certaines recherches ont abouti à des recommandations sérieuses: la formation des enseignants et des inspecteurs à la didactique est fondamentale si l’on veut asseoir les bases d’une conception renouvelée de la géographie scolaire en Tunisie. Les enseignants sont invités à tenir compte des conceptions des élèves avant tout nouvel apprentissage. Cela nécessite des stratégies didactiques faisant des conceptions, une fois, émergées, des leviers, des points d’appui et des points d’ancrage dans la construction de nouveaux savoirs. Malgré le nombre réduit des recherches didactiques en Tunisie, les conclusions sont probantes concernant les programmes, la formation des enseignants et les démarches d’enseignement de la discipline. Mais, l’on remarque quand même une réticence au niveau des enseignants du supérieur : en effet, la didactique n’est pas enseignée dans les facultés ; elle n’est enseignée qu’à l’institut supérieur de l’éducation et de la formation continue à Tunis. Les enseignants tunisiens n’ont pas, jusqu’ici, vu les plus-values et les retombées positives de la didactique sur le processus d’enseignement apprentissage. Alors que la mise à niveau de l’enseignement en Tunisie en ce début de siècle doit passer par l’introduction et l’affirmation de la didactique dans les facultés. Que nos enseignants réticents soient rassurés que cela ne sera pas une nouvelle coupe dans de vieux habits ! Enfin, pour promouvoir la didactique de la en Tunisie et l’optimisation de l’enseignement apprentissage, il faudrait, d'une part, s’attacher à une meilleure diffusion des travaux de recherches didactiques car il n'y a, jusqu'à présent, aucune revue de nature didactique en Tunisie. D’autre part, c’est le rôle des formateurs, des enseignants chercheurs de montrer concrètement aux autres enseignants de la discipline comment les acquis des recherches didactiques peuvent être mis en œuvre dans le cadre de leçons respectant dans leurs grandes lignes les programmes en vigueur et les règles minimales d’une bonne gestion des classes; de montrer comment ces recherches donnent une nouvelle dynamique, une pertinence plus grande aux procédures d’enseignement apprentissage. Il faudrait aussi élaborer et publier largement un premier bilan bien articulé et pondéré des acquis des recherches didactiques déjà réalisées, en montrant concrètement comment elles peuvent permettre de construire des séquences d’apprentissage pertinentes et réalistes en partant d'exemples précis. Des changements stratégiques s’avèrent, donc, urgents à faire si l’on veut que l’enseignement ne s’écarte pas des finalités et des objectifs prescrits dans les programmes officiels.