Etre diplomate tunisien: Pas rose tous les jours
Etre diplomate en poste à l’étranger est indéniablement un privilège. Un sentiment de fierté l’habite car il n’est plus lui-même. Il est plus que cela. Il est la Tunisie. Là où il va, c’est son pays que l’on voit. Il fait corps avec lui. Dans sa vie publique comme dans sa vie privée.
C’est qu’à ce privilège que vient renforcer l’immunité qui lui est octroyée à lui, à sa famille et même à son domicile, qui tous deviennent inviolables, s’attachent des obligations dont en premier lieu celle de représenter dignement son pays et le peuple auquel il appartient. Certes, il est d’abord un fonctionnaire qui doit obéir à sa hiérarchie, en premier lieu à son ambassadeur et à son ministère, mais beaucoup plus que cela. Son rôle c’est de raffermir les relations entre son pays et celui où il est accrédité. Avec le souci que cela serve en premier lieu son propre pays. Certes, il y a une division du travail au sein de la chancellerie. Il y a le chef de poste, ambassadeur, chargé d’affaires chef de mission, consul général ou consul. Celui- ci dirige la mission et par cette qualité il est le premier responsable aux yeux de sa hiérarchie, de son ministre que du chef de l’Etat, la diplomatie étant son domaine réservé. Un adjoint, appelé «le second», est le plus proche collaborateur du chef de poste, généralement chargé des questions politiques avec le titre de ministre-conseiller dans les ambassades et des relations avec les autorités régionales du poste consulaire pour les consulats généraux et consulats. Ensuite, il y a les responsables des dossiers (affaires économiques, sociales, culturelles, de presse) avec les titres de conseillers ou d’attachés.
La diplomatie, une compétition
Néanmoins, le travail des uns et des autres converge vers un but unique, celui de servir sa nation. En développant la coopération, en approfondissant la connaissance du pays d’accréditation, et en observant la qualité des rapports du pays d’accréditation avec les autres pays, notamment les plus proches du sien. Car la diplomatie c’est, à n’en pas douter, une compétition, chacun voulant faire valoir les atouts de son pays. Ses atouts comparatifs comme on dit. Mais dans cette compétition, on ne part pas avec des armes égales. Certains pays y mettent le prix en donnant à leurs diplomates les moyens de faire valoir ces atouts. Au niveau des rémunérations servies à leurs diplomates d’abord.
Car d’elles dépendent beaucoup de choses. La diplomatie étant un métier de représentation, on vous juge à partir du quartier où vous habitez, des gens que vous fréquentez, de l’école ou de l’université où vous placez vos enfants et des cafés et restaurants où vous avez vos habitudes. Sur tous ces plans, le diplomate tunisien est desservi. Les rémunérations servies aux diplomates tunisiens sont parmi les plus basses au monde. Et à l’exception du chef de poste, à qui on affecte une résidence de fonction et des frais de représentation, même minimes, tous les autres reçoivent un forfait mensuel où tout est inclus, l’indemnité de logement comme celle de représentation. Dans certains pays, les diplomates tunisiens sont relégués dans des quartiers moins huppés que ceux où leurs homologues habitent. Dans de grandes capitales où le coût de la vie est élevée, ils peinent parfois à joindre les deux bouts. Peu d’entre eux peuvent se prévaloir d’un logement avec une salle à manger en mesure d’accueillir leurs homologues comme leurs vis-à-vis dans le pays d’accréditation. Etant dépourvus de moyens, nos diplomates sont des fonctionnaires à l’étranger.
Un ambassadeur qui fut un ancien ministre se plaignait que ses diplomates rentraient se coucher, alors que leurs homologues commençaient à travailler. Entendez par là, qu’alors que nos diplomates rentraient chez eux, les autres invitaient ou se faisaient inviter (avec obligation de rendre l’invitation) pour échanger des informations, essayer de faire du lobbying pour leur pays, chercher à conclure des affaires en suspens, que sais-je encore. L’ancien président n’aimait guère la diplomatie pour des raisons subjectives, c’est pourquoi aucune amélioration notable n’a été apportée aux appointements des diplomates pendant son règne.
Une grille des rémunérations a été décidée en 1988 avec une révision annuelle selon l’augmentation du coût de la vie. Mais devant le glissement du dinar, il n’a été question les années suivantes que de la préservation de la valeur nominale de la rémunération dans la devise locale, ce qui se traduisait par une augmentation en dinars tunisiens sans incidence sur le pouvoir d’achat en monnaie locale. En raison de la hausse vertigineuse des loyers dans certains postes (qui parfois dépassaient le salaire servi), décision a été prise de faire prendre par l’Etat les loyers dans certains pays en défalquant l’indemnité du logement qui varie de 25 à 50% de la rémunération brute selon les postes.
Un métier mobile
En plus de ce handicap d’ordre matériel, être diplomate n’est pas rose tous les jours. En effet, on est parfois affecté à des postes lointains où les us et coutumes ainsi que la langue sont très différents des nôtres. Dans certains pays, il est difficile de circuler car les noms des rues et les panneaux sont dans la langue locale sans traduction dans les langues qui nous sont familières. Trouver des écoles pour ses enfants, même si la Mission française est présente dans plusieurs pays, n’est pas toujours chose aisée. C’est pourquoi les échecs scolaires des enfants de diplomates sont fréquents. Dans certains postes, on est obligé pour certaines matières de recourir aux services du Centre national de l’enseignement à distance(CNED), ce qui est différent de l’enseignement direct.
Dans certains pays, à Pékin par exemple, il est indispensable de se faire accompagner d’un interprète pour tout, y compris pour aller consulter un médecin, ce qui peut être ressenti comme une intrusion étrangère dans la sphère très privée sans être sûr que l’interprète ait traduit fidèlement ce que vous avez dit et ce que le médecin a prescrit. Puis n’oublions pas que le métier de diplomate est par nature mobile.
Affecté à l’étranger pour quelques années (4 ou 5 généralement), l’on est obligé de regagner l’administration centrale pour une période déterminée (3ans) avant d’être affecté de nouveau. Les postes sont évidemment différents. On peut passer de l’Europe à l’Afrique et du monde arabe à l’Asie ou l’Amérique latine. Etre «trimballé» de poste en poste, c’est sa vocation mains le conjoint et les enfants supportent parfois difficilement ce «nomadisme» vécu parfois comme un déracinement avec obligation de camarades nouveaux et nécessité d’adaptation tout le temps à un environnement différent.
Une source d’enrichissement
Etre diplomate est un sacerdoce. Voire. Ce n’est certainement pas une sinécure comme on le croit. Ce n’est pas non plus un calvaire. Loin de là. Pour peu qu’on y mette de la volonté, cela est un enrichissement tous les jours, car on est installé en plein dans une culture étrangère parfois très différente de la sienne Il ne faut rien exagérer, c’est un métier à part entière quoiqu’on puisse en dire. Il suffit d’une dose de curiosité pour s’ouvrir à des gens différents et des coutumes particulières. Ainsi a-t-on vu des diplomates apprendre les langues locales et devenir comme poisson dans l’eau dans leur pays d’affectation. En tout, être diplomate est un vrai métier. C’est ainsi que tous les pays se dotent d’instituts ou d’académies diplomatiques pour parfaire la formation de leurs diplomates. Des séances sont même dispensées aux conjoints, hommes ou femmes, de diplomates qui ont un rôle à jouer. Dans certains pays, ces conjoints reçoivent une dotation mensuelle ou annuelle selon le cas pour les aider à améliorer leur garde-robes et contribuer aux frais des réceptions qu’ils ou elles offrent à leurs homologues. Cela reste un rêve pour les diplomates tunisiens.
Un chiffre pour conclure et qui résume la situation de notre diplomatie. Le budget alloué au ministère des Affaires étrangères avec son administration centrale et ses services annexes ainsi que ses quatre-vingt-cinq postes diplomatiques et consulaires et leurs fonctionnaires diplomates ou personnel administratif et technique (autour de 600) et les centaines d’agents locaux recrutés sur place, ne représente que 0,6% du budget de l’Etat ; ce qui est indéniablement peu. Au moment de la mondialisation et de l’interdépendance des intérêts, la diplomatie joue un rôle majeur pour améliorer l’image d’un pays et lui attirer des amitiés qui peuvent se traduire par des investissements plus volumineux, des touristes plus nombreux ou des aides publiques conséquentes, il est indispensable d’augmenter la part de notre diplomatie dans le budget général de l’Etat. Pour pouvoir améliorer les rémunérations de nos diplomates qui le méritent bien. Et leur donner plus de chances pour gagner la bataille de la compétition qui fait rage ici comme ailleurs. En tout cas, leur éviter le sentiment de frustration qui les taraude.
Raouf Ben Rejeb
Légende photo: L'ancien secrétaire général de l'ONU, M. U Thant (Birmanie) prêtant serment devant le tunisien Mongi Slim, président de l'Assemblée générale de l'ONU.