Notre diplomatie doit être au service de l'intérêt général du pays
Pour que nous puissions la qualifier d’efficace, une politique étrangère doit se fonder sur trois facteurs essentiels, à savoir le poids du pays, l’environnement régional et l’environnement international et ce, en vue de favoriser le développement du pays. Réussir une politique étrangère suppose le refus des prises de position partisanes qui servent les intérêts d’un parti sans prendre en compte ceux de l’Etat. Une des épreuves diplomatiques post-révolution qui apporte à nos affirmations une illustration pertinente de par le bon sens dont a fait preuve le gouvernement alors en place a été celle de la gestion de la crise libyenne pendant la guerre civile. La Tunisie a agi de sorte à ne pas se mettre à dos ni les forces de la rébellion, ni les forces pro- Kadhafi. Elle a fait de sorte que les protagonistes puissent cohabiter paisiblement sur le sol tunisien, bénéficiant tous des mêmes droits.
Pas plus tard qu’octobre dernier, et en dehors de la Tunisie, le coup d’éclat de l’Arabie Saoudite constitue un autre exemple d’une position, reflet exclusif de l’intérêt général du pays. Rappelons d’abord brièvement cette prise de position qui est d’ailleurs une première dans l’histoire de la politique étrangère saoudienne. Après avoir été élue pour la première fois comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Arabie Saoudite a finalement refusé ce siège. Elle a estimé que la méthode et le mécanisme de travail du Conseil et sa politique de deux poids deux mesures l’empêchent d’assumer convenablement ses responsabilités concernant la paix mondiale.
Cette position aurait été bien comprise par l’opinion publique, notamment arabe, si elle avait été prise dans l’affaire palestinienne. Mais elle demontre qu’actuellement l’intérêt supérieur de l’Arabie Saoudite est, pour elle, la lutte pour empêcher l’Iran d’étendre son leadership sur la région. À la lumière de ces évènements et d’autres encore, une politique étrangère ne doit absolument tenir compte que de l’intérêt supérieur du pays. On a même vu des pays soutenir des causes contre espèces sonnantes et trébuchantes. Toute politique qui n’obéit pas à cette règle fondamentale est défaillante. Nous Tunisiens, dans cette phase transitoire, nous devons plus que jamais mettre en œuvre une politique qui serve le pays. On doit s’entourer du plus grand nombre d’amis possible, ce qui a été la politique de l’ère de l’indépendance. Or nous sommes actuellement dans une situation encore plus critique. Il faudrait donc retourner aux fondamentaux et notamment au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.
Toutefois, sur le plan humain, il est compréhensible que pour répondre aux croyances, qui peuvent êtres sincères, de défense de la légalité, ou des droits de l’homme, ou tout simplement pour satisfaire son ego, l’on peut essayer de corriger certaines situations. Cependant, cela ne peut pas se faire du haut de la tribune des Nations unies comme ce fut le cas dans l’affaire Morsi, mais peut-être par une action de conciliation et de médiation avec les autorités concernées ; ce serait accommoder le droit de non-ingérence sans nullement lui porter atteinte.
Malheureusement, dans l’état actuel des choses, on n’est pas en train d’entourer le pays d’amitiés sûres. Il n’y a pas d’amis en politique, certes, mais des alliés qui se reconnaissent et qui, en nous aidant, s’aident eux-mêmes.
En déclarant au tout début après la révolution, pour marquer un tournant et montrer que la Tunisie a un nouveau visage, qu’il faut mettre en veilleuse la coopération avec l’Europe pour ne se diriger que vers les pays frères arabes, est une erreur grossière. Car ce que l’Europe peut nous apporter ne peut être offert par les frères arabes, avec lesquels d’ailleurs nous avons toujours eu des relations solides. L’Europe nous permet en effet de nous industrialiser, ce qui n’est pas le cas avec les pays arabes. Il serait plus approprié d’instaurer une politique tripartite : Tunisie-Europe- fonds souverains arabes. Ce qui permettrait la réalisation de grands projets bénéfiques pour les trois partenaires.
En ce qui concerne notre contribution au succès de la période de transition, nous avons créé en juin 2011 l’Association tunisienne des anciens ambassadeurs et consuls généraux. Nous n’avons organisé jusque-là qu’un seul séminaire et cela est principalement dû au fait que le pays est focalisé sur les affaires internes. Parallèlement, nous oeuvrons pour favoriser un climat de solidarité et de cohésion sans faille entre tous les diplomates anciens et actifs et nous soutiendrons la formation au sein de l’Institut diplomatique.
Par ailleurs, les anciens ambassadeurs qui ont gardé des réseaux d’amitié dans les pays où ils ont exercé peuvent aider à la relance de la coopération en aidant par exemple des hommes d’affaires à nouer des contacts fructueux avec des partenaires étrangers. Les membres de notre association sont d’ores et déjà à la disposition de l’Utica, l’Utap, Conect, Cepex, Fipa, etc. pour un redémarrage rapide de la coopération au fur et à mesure de la stabilisation interne. Enfin, il me tient à cœur, avant la fin de mon mandat à la tête de l’association, de contribuer, d’une façon ou d’une autre, avec d’autres associations, à la lutte contre le terrorisme.
Ahmed Ben Arfa
Président de l’Association tunisienne
des anciens ambassadeurs et consuls généraux