Tunisie: L'insoutenable légèreté de notre élite
La Tunisie dont la situation s’est beaucoup aggravée pour certains et devient inquiétante pour les plus optimistes, aurait-elle une simple crise politique, économique et sociale ou plus grave encore, une crise de principes et de valeurs?
Le dialogue national a convergé après la «fin du temps règlementaire» mais heureusement qu’il a convergé et nous gagnons à saisir cette nouvelle chance de reconstruction de la Tunisie avec une nouvelle équipe et une nouvelle démarche plutôt que de regretter de nous être livrés à une prolongation de l’anarchie et un saut sans parachute dans l’inconnu.
Le moment est venu pour que nos élites avec toutes leurs composantes jouent un rôle constructif et solidaire, les divisions ayant déjà coûté trop cher à la Tunisie depuis trois ans, mais encore faut-il qu’elles en soit conscientes, qu’elles adoptent la bonne attitude, qu’elles comprennent avant de critiquer et qu’elles aident plutôt que de regarder échouer.
Jusqu’à quand va-t-on imputer nos difficultés à un tiers souvent non identifié?
La Tunisie serait-elle abandonnée, lâchée, trompée ou trahie par les siens comme le pensent certains? Pour d'autres, il y a forcément une main étrangère, un axe du mal qui manipule nos onze millions d’honnêtes citoyens, peuple éduqué et travailleur !!! Mais alors qui serait ce malfaiteur bien caché et quels seraient ses intérêts stratégiques en Tunisie ? Il doit être très fort pour nous promener depuis trois ans sans être découvert !
Impossible, nous ne sommes pas naïfs, notre élite est l’une des meilleures si ce n’est la meilleure diraient certains, dans le public comme dans le privé, dans la politique comme dans la justice, dans l’administration comme dans l’industrie, dans l’éducation comme dans la santé, dans la finance comme dans l’agriculture, le tourisme ou le reste de l’économie ! Si un tel malfaiteur existait, la Tunisie étant au plus bas depuis 3 ans, il aurait pu prendre ce qu’il avait à prendre ! Qu’attendrait-il? A moins de découvrir rapidement ce malfaiteur étranger, cette hypothèse reste peu crédible!
Y aurait-il - Dieu nous préserve - une malédiction divine qui s’abattrait lentement mais surement sur toute une nation sans discernement: jeunes et moins jeunes, athées et croyants, dictateurs et démocrates, ignorants et éduqués, pauvres et riches, à l’intérieur et sur la côte… ? Auquel cas nous serions tous dans l’erreur, avec nos bons musulmans, nos moins bons musulmans et les autres ! Nous ferions objectivement mieux de mettre un peu plus de menthe dans notre thé et d’arrêter cette arrogance déplacée qui en anime plus d’un!
Serait-ce le combat contre d’autres musulmans en Syrie, le jihad du nikah, tout le mal et les complots et/ou injustices que nous commettons les uns envers les autres qui nous valent cette colère divine ? Si malgré tous les efforts nous continuons à tourner en rond à côté de la plaque et à aggraver notre cas, cette hypothèse deviendrait de plus en plus crédible, du moins chez certains, Dieu nous préserve.
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Personne dans l’histoire de l’humanité n’ayant gagné un combat contre le tout puissant, la seule voie honorable serait alors celle de la soumission collective et sincère à Dieu. Autrement, perte sèche sur terre et dans l’au-delà!
Cette convergence bénite du dialogue national après épuisement de toutes les pistes et au moment où peu continuaient à y croire n’est pas moins la preuve de la supériorité d’un camp par rapport aux autres qu’un signal que Dieu ne veut pas laisser cette nation aller à sa perte, welhamdou lellah.
Cette idée que « nous subissons des malheurs causés par d’autres» console probablement certains parmi nous mais elle est trompeuse et surtout elle nous discrédite totalement aux yeux du reste du monde.
Nous sommes responsables de ce qui nous arrive
Arrêtons nos délires, réveillons-nous, nous sommes les principaux responsables de ce qui nous arrive, nous croyons nos propres rumeurs, délires et mensonges prétendant que les malheurs de la Tunisie sont le fait des colons pour certains, de Bourguiba et de Benali pour d’autres ou de ceux qui leur auront succédé voire d’autres !
Il ne s’agit pas de blanchir quiconque mais
- celui qui assiste passivement à l’évolution de la Tunisie depuis 3 ans est au moins responsable de sa passivité
- et celui qui est actif en faisant du mal par sa parole ou par ses actes ou ses décisions est responsable du mal qu’il a généré que son intention était bonne ou mauvaise.
Gagnons en maturité, réveillons notre morale, notre éthique et nos valeurs. Que nos valeurs soient musulmanes ou universelles, nous les affichons et nous en parlons bien plus que nous ne les appliquons au quotidien ou que nous ne les faisons vivre. Le moment est venu pour que nos vraies valeurs nous sauvent de la décadence qui continue à nous menacer.
Nos élites doivent mûrir ou elles perdront leur statut
D’une part, nos politiciens et en particulier nos gouvernants feraient bien d’arrêter de croire qu’il faut faire (ce qu’ils veulent y compris n’importe quoi, à tout prix, avec n’importe qui et dans n’importe quel délai…) et qu’ils se disent plutôt qu’il faut faire vite et bien sinon s’abstenir et laisser faire celui qui sait selon les règles de l’art et plus jamais selon l’improvisation de l’ignare!
Oui, l’ignorance est notre premier malheur devant la surestimation de soi et/ou le manque de respect de l’autre, ce qui se traduit pour certains irresponsables par «je fais ce que je veux comme je veux quand je veux sinon je ne fais rien de plus qu’empêcher l’autre de réussir» ! Ces querelles politiciennes de perdant/perdant sont loin de la guerre que doit gagner la Tunisie, elles peuvent faire sa ruine et l’échec de sa classe politique.
Avec la convergence bénite du dialogue national, nos politiques et leurs partenaires auront redonné espoir et par la même sauvé la face, l’espace de quelques jours et nous espérons cette convergence durable plus qu’éphémère ; en effet bien plus qu’un chef du gouvernement à choisir, nous avons un pays à reconstruire.
Nos politiques seraient les premiers responsables de la faillite de notre démocratie balbutiante s’ils se présentent aux élections de 2014 pour casser les islamistes ou les destouriens et gagner tout ou partie du pouvoir avec seulement des vœux irréalistes et des promesses intenables, sans un programme économique et social chiffré, finançable et réalisable, comme ça a été le cas en 2011!
Ces attitudes constitueraient cette fois-ci une faute grave, un gros manque de respect aux Citoyens et une insulte délibérée à leurs intelligences. Ces 3 dernières années nous aurons au moins appris que les plus dangereux de nos politiciens sont ceux incompétents qui veulent le pouvoir alors qu’ils sont incapables de comprendre ou de présenter clairement un projet et encore moins un programme économique et social.
La logique aurait voulu que nos politiciens aient les compétences nécessaires et qu’ils contribuent eux-mêmes à l’élaboration de tels projets ou d’un tel programme pour en débattre avec conviction pendant la campagne électorale et en réussir l’exécution avec efficacité une fois au pouvoir.
D’autre part, et si nos journalistes étendaient leur mission d’information à la sensibilisation de l’opinion publique notamment à ce qui est bon pour le pays et pour sa reconstruction (ce qui certes suppose une instruction plus avancée des médias).
Ce serait vraiment utile de minimiser les heures que nous prenons à des millions de téléspectateurs tous les jours pour partager une analyse détaillée de non-évènements ou de querelles intestines & partisanes (faisant passer le temps tout en alimentant l’anxiété et la détresse des téléspectateurs) alternées avec des messages publicitaires (encourageant une consommation grandissante aux dépens d’une productivité en déclin).
Nos médias post-révolution étaient jeunes en 2011 pour imposer à nos partis politiques de vrais débats autour de vrais programmes plutôt qu’autour de personnes. Nous voilà à l’aube des élections de 2014 et nos partis politiques n’ont toujours pas établi ni partagé des programmes économiques et sociaux chiffrés (de vrais projets utiles, bien instruits et finançables selon les critères internationaux) avec des risques maîtrisés.
Quels rôles nos meilleurs médias peuvent-ils jouer pour introduire un peu de profondeur, de rationalité et de pertinence dans les débats et éviter à la nation des élections purement émotionnelles comme en 2011 ? Ce serait dommage que l’opinion publique se retrouve de nouveau trompée à la fois par une classe politique qui apprend encore le métier et par les médias qui les auront promu sans challenger leur cohérence, leur maturité et leur fiabilité?
Par ailleurs, nos juristes et nos magistrats ne seraient-ils pas les mieux placés pour engager eux-mêmes le nettoyage de nos institutions judiciaires, rétablissant en marche la justice de façon efficace, sans corruption aucune… ? Sans mettre tout le monde dans le même sac:
- si les mauvais l’emportent sur les bons, nous ne sommes pas sortis de l’auberge, la justice est tellement stratégique que notre système qui était déjà douteux depuis 2011 ne pourra plus être crédible ni permettre le redressement du pays,
- sinon si les bons peuvent l’emporter sur les mauvais et qu’ils ne les combattent pas ils auront été par leur passivité leurs meilleurs complices, pour une Tunisie injuste, décadente et donc également peu crédible aux yeux du monde.
Que notre élite avec toutes ses franges sorte dans son ensemble de son isolement, de son silence, de son égoïsme, de son opportunisme et de son petit confort pour réincarner les valeurs qui ont fait la grandeur de la Tunisie à travers son histoire, avec un sens de la solidarité plus développé.
Que notre élite arrête de s’attacher à ses acquis périssables pour relever les vrais défis de la Tunisie et contribuer à sa nouvelle construction (la Tunisie réelle, pas celle virtuelle dans leur imaginaire) avec ses atouts limités et ses difficultés nombreuses.
Au-delà du ‘Quoi’ il importe aussi qu’on soigne le ‘Comment’
Les retards successifs de notre dialogue national depuis des mois et les retards des travaux de l’ANC depuis deux ans ne laissent aucun doute sur nos défauts d’approche, de démarche, de méthode… Bref nous avons du mal avec le ‘Comment’.
Comment gérons-nous nos relations avec les autres? Comment établissons-nous la confiance? Comment travaillons-nous ensemble? Comment innovons-nous?
Comment créons-nous une nouvelle culture de gouvernance et de gestion des affaires du pays qui inspire nos collaborateurs et nos concitoyens, lesquels retrouvant la confiance et la sérénité s’impliqueront davantage chacun dans son travail avec une envie de faire bien mieux que les attentes ou le minimum syndical?
Comment recréer la Solidarité au-delà des slogans dans notre vie de tous les jours, que cela ne soit plus un sujet de débat médiatique mais une façon d’être pour chacun de nous ? Donnons-nous une chance exceptionnelle mais accessible de revivre le 23 octobre 2011 tous les jours dès maintenant et jusqu’aux prochaines élections. Soyons solidaires et soutenons de toutes nos forces la Tunisie et à la tête de son exécutif Mehdi Jomaa, soyons vigilants pour éviter les nouveaux pièges, maîtrisons nos peurs et jugeons sur résultats.
Quels sens voulons-nous donner à la Vérité, à la Liberté, à la Justice, à l’Ordre, au Travail, à la Famille, à l’Entreprise, à la Nation, à la Loyauté, à la Bravoure, à l’Espoir, à l’Humilité, à la Qualité, à l’Intégrité, au Respect, à la Dignité Humaine… ?
Si on avait pris le temps de répondre à ces questions en 2011, on ne se serait pas trompé de révolution ni de transition et on ne se serait pas retrouvé à tourner en rond en 2013.
Toutes ces valeurs sont essentielles pour le redressement de la Tunisie mais il y en a deux que nous avons ignoré et qui sont à rétablir en priorité : la solidarité et le travail qui sont des ingrédients essentiels à la sécurité et au développement.
Ce sont encore les individualismes conscients ou inconscients et le manque de solidarité qui auront freiné toute sortie de crise de la Tunisie et c’est le déficit de travail productif au niveau national qui a fait que notre économie s’est enfoncée depuis des mois sur fond de crise politique et d’insécurité et qu’elle continuera à s’enfoncer demain si on ne remet pas la valeur travail à sa place (comme disait un grand père de la nation ????? ?? ????? ???????? ?? ?????).
Nos chantiers structurants ne peuvent plus attendre
Le prochain gouvernement devra certes organiser des élections et rétablir la sécurité mais pour relancer l’économie il faudra:
- du développement et des créations d’emplois sans oublier de remettre les tunisiens qui ont déjà un emploi au travail productif à plein régime (il fut un temps où la Tunisie était le bon élève de la banque mondiale et le pays le plus compétitif d’Afrique et il nous appartient de mériter notre retour dans le classement et par le haut !)
- et lancer les chantiers structurants de l’état et de l’économie qui ont malheureusement trop attendu et sans lesquels nous perdront encore bêtement deux années supplémentaires.
Malheureusement si elle manquait encore de sagesse, l’intelligence politique tunisienne du moment peut encore nous conduire à nommer un gouvernement pour accélérer les élections en 2014 quitte à ramener au pouvoir une nouvelle équipe d’incompétents en 2015 et pour 5 ans!
Pour l’instant, l’heure est à l’espoir, à l’optimisme, à la construction, soyons tous solidaires et suivons Mehdi Jomaa dans sa trajectoire pour une Tunisie qui se redresse et suivons nos politiques dans leur préparation des élections avec de vrais programmes qu’ils devront présenter et défendre devant des médias alertes.
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Mounir Beltaifa