La revanche de la jeunesse
La Révolution tunisienne a été l’œuvre incontestable de la jeunesse: étudiants, diplômés sans emploi, chômeurs de longue durée, jeunes paysans et ouvriers. Elle a été, cependant, dominée par les vieux qui directement ou indirectement se l’ont appropriée. Il est vrai que la jeunesse, désorientée par la multitude des partis et leurs slogans tapageurs, n’a pas, en partie, participé massivement au scrutin du 23 octobre 2011. Cette erreur de jugement, la jeunesse la paiera durement pendant les deux dernières années en voyant son rêve révolutionnaire d’emploi, de développement socialement et régionalement équilibré, de revenu décent, s’effondrer.
Heureusement, le 14 décembre 2013, la jeunesse est revenue sur le tapis. Il a fallu attendre les dernières heures de la dernière journée du dialogue national pour voir les partis politiques, dans un élan de clairvoyance rare, choisir un cinquantenaire pour diriger le prochain gouvernement. Auparavant, les partis étaient figés sur les noms d’octogénaires et même de nonagénaires qui auraient dû se contenter des services qu’ils ont déjà rendus à la République et se replier poliment chez eux. On a évité de justesse une nouvelle gérontocratie, après celle des Beys et de Bourguiba lui-même. En effet, comment peut-on oublier les dernières années de celui-ci pendant lesquelles, ruiné par la maladie, il laissait le pouvoir à un entourage pernicieux qui avait mené le pays au bord de la catastrophe? Il ne reconnaissait même plus les ministres qu’il venait de nommer.
Avec Mahdi Jomaa, on devrait s’attendre à un gouvernement de jeunes, en tout cas ne dépassant pas la cinquantaine. On a véritablement besoin de l’énergie, de l’esprit novateur et du courage de ces jeunes, face aux défis auxquels le pays fait face actuellement: une économie exsangue, un terrorisme menaçant, une crise sociale sans pareil.
La tâche du prochain gouvernement est définie par la feuille de route du dialogue national. Etre neutre vis-à-vis de tous les partis et assurer la transition transparente vers de nouvelles élections. Mais il doit surmonter les problèmes que vivent les tunisiens au quotidien.
Sur le plan économique il est impératif de concevoir un plan de redressement global à faire approuver par une conférence nationale dans laquelle les syndicats ouvriers (UGTT) et patronaux (UTICA) joueraient un rôle primordial. Ce plan ne devrait pas être difficile à préparer car il devrait s’inspirer de la Lettre d’intention signée par les responsables tunisiens, en appui à l’accord stand by du Fonds monétaire international. Elle contient l’essentiel des réformes économiques destinées à résoudre les problèmes urgents de l’économie tunisienne: croissance anémique, inflation, déséquilibres budgétaire et extérieur, secteur bancaire fragile. Sans la réussite de cet accord, aucun financement extérieur n’est possible. Sans financement extérieur conséquent, les investissements nécessaires à la croissance ne sont pas possibles. C’est pourquoi, au vu de ce plan de redressement, un nouveau budget 2014 devrait être mis en place dès les premiers mois de l’année prochaine. Dans ce budget, l’accent devra être mis sur l’investissement et non, comme jusqu’ici, sur la consommation publique et la consommation privée subventionnée par les deniers publics.
De nouvelles ressources devraient être dégagées pour lutter contre le terrorisme (moyens humains et matériels renforcés). Mais cela ne devrait pas être au détriment des secteurs sociaux (enseignement, recherche et santé). Ces ressources devraient être dégagées des économies réalisées sur le train de vie de l’administration et des subventions aux hydrocarbures et autres produits. En Tunisie, les jeunes trouveront les solutions adéquates aux mécanismes obsolescents mis en place des décades passées.
La réforme du secteur bancaire est une urgence. Le refinancement des banques par la Banque centrale est en train de croître au lieu de se stabiliser ou même de baisser. En même temps, les crédits à l’économie sont en train de se réduire. Que font les banques avec ces liquidités injectées par la Banque centrale ? Ces liquidités sont source d’inflation, qu’on le veuille ou non.
Sur le plan social, le gouvernement devrait bénéficier de l’appui des organisations nationales pour entamer des réformes tendant à favoriser l’emploi des jeunes surtout en milieu rural et dans les régions défavorisées ainsi que le rééquilibrage des Caisses de sécurité sociale.
Le dialogue national -et le pays- ont été sauvés à la dernière minute. Il faut s’assurer que ce dialogue se poursuivra pour parachever la feuille de route sur les plans constitutionnel et électoral. C’est pourquoi les partis qui se sont retirés de ce dialogue devraient le réintégrer le plus tôt possible. On ne peut pas abandonner le bateau quand il est si proche du port du salut. Les dirigeants de ces partis sont suffisamment mûrs pour le comprendre.
Dr.Moncef Guen