M. Ghannouchi, commençons à réaliser le modèle scandinave en abolissant la peine de mort !
Il n'est un secret pour personne que la politique dans sa pratique antique suppose d'user simultanément ou alternativement de la force et de la ruse, surtout de celle-ci. Même les politiciens qui se prétendent agir en politique au nom de l'éthique et des valeurs morales admettent cette conception pourtant surannée en se justifiant par les nécessités de l'art de la guerre que serait justement la politique; or, la ruse es une arme efficace en temps de guerre.
C'est ce qui semble être la règle de conduite de nos islamistes depuis leur arrivée au pouvoir. S'efforçant de se montrer conciliants, montrant un visage lisse, ils n'agissent pas moins en coulisse selon une vision rigide des choses, bien trop manichéenne pour être démocratique, ou délèguent à des parties tierces satellisées le rôle du méchant.
Cela ne trompe guère; pourtant, Nahdha n'en a cure. Comme on dit pour la calomnie, il suffit de persévérer dans le mensonge pour en faire vérité. Ce qui, effectivement, marchait bien en temps de modernité, mais ne marche plus en notre époque postmoderne. Tant qu'il ne s'agit que de pérorer, on peut tout dire, tout faire croire, en faisant prendre les illusions pour une réalité en puissance; mais quand il s'agit de faire réalité concrète de cette illusion, on découvre que la parole était pur mensonge, que le roi était nu dans ses atours trompeurs.
On en jugera concrètement par le sort qui sera réservé par nos islamistes à cette adresse au cheikh Ghannouchi!
Dans un entretien donné à Gérard Haddad, écrivain psychanalyste, récemment publiée sur Rue 89, site associé au Nouvel Observateur , le guide spirituel et politique de Nahdha ose soutenir ceci : « le modèle pour la Tunisie ? Les pays scandinaves ».
Commençant par noter le plus raisonnablement du monde que « tout changement politique repose sur une mutation idéologique, voire théologique », il affirme ce qui est une certitude pour moi et bien d'autres, à savoir qu'il a enfin pris conscience « qu’il n’y a rien d’antagonique entre l’islam et la démocratie, qu’islam et démocratie vont de pair.»
Et dans la foulée de ce que nous souhaitons être véritablement une prise de conscience démocratique, un éveil à la démocratie telle que consacrée de par le monde, le gourou de Nahdha déclare « Nous voulons faire de la Tunisie un modèle de démocratie musulmane. Notre parti veut être comparé aux partis chrétiens-démocrates qui existent en Europe.»
Et à la question de son interlocuteur sur le modèle de pays démocratique dont il pense que la Tunisie pourrait s'inspirer, Monsieur Ghannouchi, tenez-vous bien, nous affirme le plus clairement du monde que pour lui « la meilleure référence, le meilleur exemple de sociétés alliant démocratie et justice sociale, ce sont les pays scandinaves, et nous comptons nous en inspirer. ».
Il dit bien que c'est « pour moi », cette opinion n'engageant que lui, puisqu'il prend la précaution de revenir sur cette clause de style habituelle défaisant aussitôt ce qu'il noue. En effet, il ne manque pas de soutenir que Nahdha est « un parti démocratique, et comme tout parti démocratique, il comporte différents courants. Mais en dernier ressort, ce sont nos instances dirigeantes qui statuent à la majorité. Toute autre position que celle de nos instances doit être considérée comme opinion personnelle. »
Mais après avoir lu les savoureux souvenirs de Ghannouchi enfant avec la communauté juive d'El Hamma et du saint local, un juif vénéré même par les musulmans, sans oublier ses propos conciliants et très amicaux à l'égard des juifs, on ne peut que vouloir de nouveau le prendre au mot. Testons donc encore une fois sa sincérité sur une question bien précise qui a une portée symbolique capitale, aussi bien en politique qu'en religion !
M. Ghannouchi, si vous voulez réellement le modèle scandinave pour la Tunisie, conformez vos actes à vos paroles en saisissant l'occasion qui se présente pour insérer dans la constitution le principe de l'abolition de la peine de mort. Pour éviter votre ritournelle sur le mécanisme démocratique de votre parti, commencez par prendre position en vous déclarant personnellement abolitionniste. Ainsi, vous serez en harmonie avec vos propos sur le modèle des pays nordiques qui sont tous abolitionnistes.
Jugeons-en : La peine de mort a été abolie en Islande en 1928 et l'arrêt des exécutions y était effectif dès 1830. En Suède et en Finlande, l'abolition a été décidée en 1972 et la dernière exécution y remonte à 1910 pour le premier et à 1944 pour le second. Au Danemark, la peine de mort est hors la loi depuis 1978 et on n'y exécute plus depuis 1950. En Norvège, c'est depuis 1979, pour l'abolition, et 1948, pour l'exécution que l'on ne s'est plus permis de se substituer à Dieu. Enfin, même l'Estonie qui s'identifie comme étant un pays nordique est abolitionniste depuis 1998 et a arrêté les exécutions capitales en 1991.
Certes la Tunisie n'a plus exécuté de condamnés à partir de 1991, mais est-ce suffisant pour garantir que l'on n'y aura pas recours demain ? Ceux qui y tiennent disent qu'elle est réservée aux crimes atroces, mais un crime politique peut aussi, sous une dictature, relever de l'atrocité absolue. Puis, la plus terrible punition pour un criminel n'est-elle pas dans le remords auquel l'exécution capitale le soustrait ?
Alors, M. Ghannouchi, si vous êtes mis en minorité dans votre parti après avoir pris position pour le modèle abolitionniste scandinave, cela importe peu; ce qui compte, c'est de donner la bonne direction; c'est le rôle du vrai politicien ! Et je dis bien la bonne direction, car l'abolition de la peine de mort est fortement conseillée par l'islam. La loi du talion n'y a été consacrée que pour tenir compte des mœurs de l'époque de la révélation, car l'esprit de notre religion et ses visées sont pour la miséricorde et le droit à la vie, seul Dieu ayant le privilège d'ôter la vie.
De plus, quel bel emploi de la religion on aura l'occasion d'avoir grâce à l'abolition, puisqu'on pourrait prévoir que les couloirs de la mort se transforment en couloirs de spiritualité où les anciens condamnés à mort, condamnés à finir leur vie en prison, auraient dans la religion le meilleur réconfort !
Enfin, ne serait-il pas juste que les islamistes pensent un seul instant que durant leur combat pour leurs valeurs ils auraient pu tous être mis à mort sous le régime de la peine de mort en vigueur en Tunisie ? Cette seule pensée devrait les inciter à faire moins montre d'un pareil Alzheimer politique en devenant les premiers abolitionnistes du pays.
Pour une fois, M. Ghannouchi, conformez donc vos actes à vos paroles, vous en sortirez grandi; sinon, vous ne serez pas différent des autres politiciens ! Comme eux, auprès du peuple, vous risquez de reproduire l'exemple du jeune berger qui criait au loup. Comme déjà rapporté par le sage Esope, le peuple pas si bête qu'on le croit, finira par dire : « Encore une vieille farce ! ... S’il y a un vrai loup, eh bien ! Qu’il mange ce menteur de berger ! » Et c’est exactement ce que fit le loup ! conclut le sage Esope.
Que M. Ghannouchi et tous les adeptes de la langue de bois méditent leurs humanités, si du moins ils s'en souviennent encore !
Farhat Othman