Avant d'être maghrébine, la Tunisie est méditerranéenne !
Le degré d'aberration de nos idéologues au pouvoir dépasse actuellement la mesure, se donnant en piètre spectacle à l'Assemblée constituante à l'occasion du vote de la constitution.
Nous ne détaillerons pas leurs inconséquences à la fois éthiques et politiques dans l'interprétation de nos valeurs islamiques caricaturées; nous prendrons juste un exemple historique pour montrer le comble de l'aberration qu'ils ont atteint dans une démagogie d'un autre temps.
Dans le cadre du préambule de la constitution, et à juste titre, on a insisté sur l'appartenance de la Tunisie à son aire géographique naturelle actuelle qu'est le Maghreb. Mais, la bêtise a fait qu'on a tenu d'ignorer — et même de vouloir renier, pour certains — sa dimension méditerranéenne. Cette énorme bêtise a été confirmée solennellement en écartant l'amendement destiné à rappeler une telle vérité première.
Une Tunisie d'abord méditerranéenne
La Tunisie ne serait-elle plus méditerranéenne ? Quelle ineptie ! Elle est d'abord et avant tout méditerranéenne, et ce même avant d'être maghrébine, n'en déplaise aux religieux ayant leurs yeux tournés vers un Orient mythique.
En effet, le Maghreb, lui-même, n'est qu'une composante de cette méditerranéité inévitable.
Que nos politiciens dogmatiques l'acceptent ou non, la Tunisie est — et a toujours été — une composante intrinsèque de l'espace méditerranéen avant de se découvrir maghrébine. Prétendre le contraire, c'est essayer de voiler le soleil à l'aide d'un tamis, comme dirait notre proverbe populaire. C'est bien plus que puéril c'est criminel; car cela encourage les dérives terroristes voulant arrimer la Tunisie à une prétendue aire originelle qui l'est bien moins que la Méditerranée, véritable matrice de la Tunisie et de tout le Maghreb.
Les calculs politiciens n'y changeront rien: la Tunisie arabe musulmane est aussi et d'abord, historiquement parlant, berbère et méditerranéenne. Prétendre le contraire, c'est essayer en vain de rayer d'un trait l'histoire, dont le glorieux passé d'une Carthage dont la Tunisie ne peut que se glorifier.
Alors, un peu de dignité, Mesdames et Messieurs les députés ! Ce n'est pas en refusant de reconnaître un pan important de l'identité tunisienne que vous mettrez en valeur l'autre, aussi important certes, mais nullement unique ni exclusif. C'est en essayant d'éliminer une part de soi que l'on finit par se détruire au lieu de s'assumer et assumer son être et son identité vraie.
Mesdames et Messieurs les députés, cessez d'agir par dépit idéologique et partisan; réveillez-vous enfin à la réalité! Vous agissez sous le regard de l'histoire et elle ne vous pardonnera pas vos galéjades. Arrêtez de vous montrer ce que vous n'êtes pas, des dépités ! Vous représentez un peuple qui écrit l'histoire; aucune déception n'est permise pour ce qu'il a réalisé, car cela augure de bien plus grandes réalisations. Soyez-en à la hauteur, c'est tout ce qu'il vous demande à la veille du troisième anniversaire de sa révolution postmoderne. Reconnaissez donc la vérité de cette méditerranéité inévitable de la Tunisie.
Vous avez encore la possibilité de le faire en usant du mécanisme prévu par l'article 93 de votre règlement intérieur autorisant le vote de rectification. Rattrapez donc votre bévue et enlevez ce bonnet d'âne que vous arborez; sinon, il sera le vôtre à jamais.
Ce faisant, vous ne ferez rien d'autre que démontrer être des gens sensés; car que vous le reconnaissiez ou pas, la Tunisie est méditerranéenne et le demeurera. Et demain, son peuple revendiquera, au nom de sa révolution et de sa pérennité, la création d'un espace méditerranéen de démocratie. Alors, soyez dans le sens de l'histoire si vous entendez y laisser une trace qui ne soit pas honteuse !
Vers un espace de démocratie méditerranéenne
Le sens de l'histoire est en effet dans l'interdépendance croissante entre les différentes parties d'un monde devenu un immeuble planétaire, bien plus qu'un simple village. Le paradigme ancien de la solidarité par affinités religieuses et culturelles est périmé. Aujourd'hui, le paradigme nouveau en construction est basé sur la communion émotionnelle en des valeurs de solidarités variées, des affinités électives, tribales presque dans le patchwoork de leur diversité. Au plan politique, celle-ci se manifeste dans une sorte de tribu postmoderne qu'est la démocratie, et qui sera une postdémocratie.
Et la démocratie de demain n'a que faire des racines ethniques et religieuses classiques; elle est d'abord un enracinement, à la fois dynamique et radical, en des valeurs humanitaires universelles. Ces dernières transcendent l'humus humain, dérivé d'un communautarisme restreint aux pulsions d'origine, tout en étant immanentes, reflétant une propension irrépressible à l'assomption des droits de l'homme dans un vivre-ensemble paisible, dans le cadre d'un espace de droit. Or, un tel espace ne peut plus se limiter aux frontières géographiques habituelles, devenues étriquées, ni à plus forte raison aux dimensions de l'État-nation désormais périmé. C'est l'espace de communion démocratique qui importe aujourd'hui; et pour notre pays, cet espace est méditerranéen. Car la démocratie véritable est à nos portes, de l'autre côté de la Méditerranée, et non encore dans notre voisinage ni chez nos frères d'Orient.
Aussi, que nous politiques se réveillent: la démocratie tunisienne ne peut durer en étant basée sur leur conception politique et idéologique, toutes deux saturées; elle doit être articulée à un système ayant fait ses preuves dans son aire géostratégique naturelle à laquelle les visées purement politiciennes, y compris les vœux pieux, ne sauraient la soustraire.
Farhat Othman