Ashark El Awsat : La Tunisie… et Rached Ghannouchi, guide et clerc (al-murshid al-faqîh)
Quel sens donner aux mots du président du mouvement tunisien Ennahdha Rached Ghannouchi lorsqu’il déclare que «La Tunisie offrirait le refuge politique si les Frères Musulmans d’Egypte le demandaient»? Nous y identifions avant tout la reconnaissance de la part des Frères, à l’échelle de leur organisation internationale, de leur défaite en Egypte. Nous y voyons aussi qu’ils sont prêts à oeuvrer de l’extérieur pour atteindre L’Egypte. Cette déclaration signifie encore que la Tunisie est gérée par un murshid faqîh ( note du traducteur: le premier mot veut dire «guide», il désigne la fonction suprême de l’organisation des Frères; le deuxième a le sens de «clerc»; il renvoie à la notion inventée par Khomeiny «wilâyat al-faqîh», le gouvernement du clerc» qui donne à la personne qui l’incarne l’autorité suprême; le faqîh est situé au-dessus de l’Etat, il est hors toute institution et toute autre fonction qui passe par l’épreuve des élections jusqu’à celle de président de la République, dépend de son autorité.)
C’est l’unique explication qui se dégage clairement des propos de Ghannouchi, et non pas comme l’a dit un autre dirigeant d’Ennahdha : «Ce n’est au fond qu’une position humanitaire qui ne supporte pas des interprétations politiques plus sophistiquées.» Au contraire, les déclarations de Ghannouchi signifient que les Frères retournent à leur premier carré, celui du militantisme hors de leur pays. Ils reprennent les outils anciens pour harceler l’Etat égyptien, comme ils l’avaient fait après leur confrontation avec feu Gamal Abdel Nasser ainsi qu’après l’assassinat de Sadate. Ce qui veut dire que les Frères n’ont tiré aucune leçon de leurs erreurs passées, non seulement en Egypte mais partout où ils sévissent. Au lieu de s’aviser et de corriger leur démarche, il est évident que les Frères ont décidé de revenir à la clandestinité, à orchestrer leur opposition à partir de l’étranger. Comme aujourd’hui ressemble à hier!
Il va de soi que les déclarations de Ghannouchi signifient aussi que la Tunisie est dirigée par un murshid, un «guide» qui anime la wilâyat al-Faqîh, le «gouvernement du clerc». Sinon quel est l’attribut de Ghannouchi au sein de l’Etat tunisien? D’autant plus que ses déclarations sur la possibilité d’offrir l’asile politique aux Frères d’Egypte va engendrer une rupture réelle avec la nouvelle Egypte. Rupture qui aura bien des conséquences au plan arabe tant l’Egypte pèse, sans négliger les autres positions arabes qui refusent catégoriquement l’hégémonie des Frères. Ces déclarations de Ghannouchi signifient que la Tunisie entre dans une phase aventureuse dont elle payera le prix comme l’ont déjà fait les pays qui ont accueilli les Frères pourchassés par Nasser, que ce soit dans le Golfe, tels l’Arabie Saoudite, les Emirats ou le Koweït comme dans d’autres pays de la région. Ce sera le même prix que sera amené à payer un jour Qatar. Car l’histoire nous apprend que quiconque ouvre ses portes aux Frères le payera à un prix cruel.
Pour ce qui concerne notamment la Tunisie, tous les indicateurs nous disent que les choses ne vont pas bien pour les Frères là-bas, c’est-à-dire pour Ennahdha. La braise reste vive sous les cendres. Il y a là-bas un rejet populaire des Frères. Et si jamais En-Nahdha accueille comme réfugiés leurs Frères d’Egypte, la Tunisie sera à feu et à sang. Ce qui menacera, non seulement les Frères, mais aussi l’Etat tunisien qui connaîtra à l’intérieur de ses frontières un crise aigüe, et à l’extérieur, une rupture avec l’Egypte et des difficultés avec le reste du monde arabe.
Aussi les déclarations de Ghannouchi ne sont-elles que le reflet de l’état des Frères Musulmans en tant que organisation internationale ressentant la défaite qui l’a atteinte depuis le changement en Egypte, surtout après le vote en faveur de la nouvelle constitution. Ces déclarations signifient encore que les Frères n’ont pas fait évoluer leurs outils; ils n’ont rien appris de leurs erreurs. Les Frères des années 1950 sont les mêmes que les Frères de 2014. La seule chose qui a changé c’est que leur murshid, leur «guide» s’appelle maintenant Ghannouchi.
Tariq al-Hamid
(Traduit de l'arabe par Abdelwahab Meddeb)