Et si la solution exigeait qu'on invente un nouveau modèle de développement?
«Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard, gouverner, c’est prévoir !». Il est difficile de gouverner dans l’urgence et pourtant c’est le modus operandi sur lequel fonctionne ou peut être ont toujours fonctionné la majorité des pays arabes avant et certainement après les révoltes/révolutions.
J’ai perdu mon père, feu Si Taoufik Moalla, assez jeune et chaque fois que je suis passée par une impasse, dans ma vie professionnelle ou personnelle, j’ai toujours essayé de me rappeler tout ce qu’il m’a appris. En fait des milliers de choses qu’il m’a léguées, deux grand blocs se dégagent: 1) Les valeurs humaines tel que le respect de soi et des autres, la dignité, l’estime de soi et des autres…. et 2) Le sens commun.
Plus j’y pense, plus je trouve que pour sortir de l’impasse dans laquelle je me trouve, dans laquelle se trouvent 11 millions de tunisiens, nous avons besoin de nous ancrer dans nos valeurs communes qui nous unissent et de chercher la solution dans le bon sens ou le sens commun. Loin de moi l’idée de vouloir simplifier les choses, bien au contraire. Je crois profondément en la conviction d’Albert Einstein qui nous dit que: “Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau. Nous devrons exiger une nouvelle façon substantielle de penser, si l'humanité veut survivre(1) " .
Nous devons repenser toutes les théories, approches et principes qu’on croyait évidents. Car en fait: «Les analphabètes du futur ne seront pas ceux qui ne sauront pas lire et écrire, mais ceux qui ne pourront pas apprendre, désapprendre et réapprendre(2)» .
N’importe quel gouvernement en place doit comprendre qu’on ne peut pas continuer à vouloir résoudre nos problèmes économiques, politiques et sociaux de la même manière et s’attendre à voir des résultats différents.
La Tunisie doit changer de modèle de développent. Le modèle suivi dans les pays sous-développés dont la Tunisie, a montré sa faillite durant ces 60 dernières années. Non seulement, nous n’avons pas vu de développement économique, social ou politique mais l’état de la pauvreté, du chômage et de l’environnement a empiré d’année en année.
Premièrement, comme nous l’apprend Einstein, nous devons faire le meilleur diagnostic de notre situation géopolitique, géostratégique, et socioéconomique. Explorer nos faiblesses mais surtout nos forces, car c’est seulement en misant sur nos forces que nous pourrons sortir de la crise et avancer vers le développent. Pour m’aider à mieux comprendre la réalité, j’ai souvent recouru à la grille de lecture de ‘l’approche de la spirale dynamique’ qui a été suggérée par les socio-psychologues: ‘Clare Graves’ et ‘Susanne Greuter’ et qui a été par la suite développée et enrichie par le philosophe ‘Ken Wilber’. Plus que jamais, nous avons besoin d’utiliser les meilleurs outils pour comprendre la complexité de notre réalité afin d’apporter les solutions/mettre en place les stratégies dont notre pays a besoin.
Cette grille nous permettra de déterminer à quel niveau de développent se trouve toute la population tunisienne et pas seulement son élite. Une fois ce niveau déterminé, nous pourrons mettre en place la stratégie qui nous permettra d’évoluer vers l’étape suivante. L’important c’est de nous assurer que chaque membre de la société tunisienne s’approprie toutes les composantes de cette étape et qu’il ne sente pas que quoi que ce soit lui ait été imposé de l’extérieur. Par ailleurs, l’élite ne doit plus se permettre de croire pouvoir continuer à faire cavalier seul! Un bon cavalier est celui qui explique a ses passager la destination et la route qu’il compte prendre et ceci au moindre coût et avec le plus grand souci de sécurité pour ses passagers. Il a une obligation de résultat et non de moyens.
Chaque membre de gouvernement doit comprendre qu’accepter une position politique de Ministre ou autre est une très lourde responsabilité car en l’acceptant, il souscrit à une obligation de résultat et non de moyens. Il doit assumer la même responsabilité qu’un chef de famille. Un bon père ou mère de famille ne pourra pas dormir la nuit en sachant qu’un de ses enfants a faim, froid ou peur. Encore mieux, il ne pourra pas dormir s’il sait qu’un de ses voisins a le ventre creux, dort sans couverture et risque, chaque soir, de se faire voler ou tuer.
Le modèle de développement que nous avons suivi a permis qu’une petite frange de la population ait presque tout et une grande frange presque rien et l’écart s’est creusé au fil des années. Aujourd’hui est venu le temps où nous devons tous contribuer au développent en montrant notre gratitude d’avoir eu la chance d’étudier, de travailler, de n’avoir jamais connu la faim, d’avoir été insulté ni d’avoir eu peur. Le temps est venu de commencer à travailler et à rechercher le bonheur de partager ce que nos avons et de vivre en totale solidarité avec chaque membre de notre communauté. Le vrai développement doit assurer que la majorité de la population ait une éducation décente, un travail décent, des soins de santé décents, de l’eau potable, de l’électricité, un environnement propre, bref, une vie digne et décente.
Si nous acceptons de mettre notre génie collectif, une volonté commune à faire marcher notre pays, des milliers d’heures de travail, nous pouvons arriver à résorber le 1 million de tunisiens sans emplois et ne plus voir, ainsi, nos enfants risquer leur vie pour aller chercher ailleurs leur gagne pain. Le 1 million de personnes à la recherche d’un emploi est une force vive capable de remettre le pays en marche. Nos retraités sont une source inestimable de connaissances, d’expérience et de sagesse. Notre communauté tunisienne à l’étranger est un trésor précieux qui est capable de faire la différence. Ces trois acteurs, et d’autres encore, sont nos atouts, parmi tant d’autres, sur lesquels nous devons compter. Car en fait : “Ce ne sont pas nos ressources qui limitent nos décisions, mais bien nos décisions qui limitent nos ressources(3)”. En effet, pour moi, plus dangereux que le terrorisme est notre bureaucratie tentaculaire qui étouffe l’économie et représente un des grands freins au développent.
Durant ces dix dernières années où j’ai été presque chaque semaine dans un pays arabe différent, j’ai pu observer, comprendre et apprendre les initiatives qui ont réussi dans chaque pays. Par exemple le réseau de plus de 500.000 volontaires en Egypte a la recherche d’un emploi, ou les coopératives d’achat au Koweït et tant d’autres programmes contribuant à apporter des solutions réelles et possible à appliquer chez nous. Si chaque Tunisien proposait une idée qui contribuerait au développent, nous pourrons accumuler un trésor de savoir faire capable de nous mettre sur la vraie voie du développent.
Un nouveau modèle de développent basé sur notre solidarité est nécessaire car la vrai valeur de tout être humain tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir. Il est de notre devoir de rendre à la Tunisie au moins autant que ce que nous avons reçu.
Commençons donc par inventer notre propre définition du ‘Développement’. Un développement qui nous ai propre et à notre mesure, basé sur notre solidarité collective et notre capacité à donner. Désormais, «Il n’y a aucune autoroute à l'avenir. Aucune route pavée d'ici à demain. Il n'y a qu'un désert, seulement à terrain incertain. Il n'y a pas de feuille de route. Pas de panneaux. Donc, les dirigeants doivent compter sur une boussole et un rêve(4)» .
Je conclurai par une autre citation d’Einstein sur laquelle nous pouvons baser notre nouveau modèle de développent: «Un être humain fait partie d’un tout que nous appelons l'univers, une partie limitée dans le temps et l'espace. Il s'expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose de séparé du reste, une sorte d'illusion d'optique de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l'affection pour quelques personnes proches de nous. Notre tâche doit être de nous libérer nous-mêmes de cette prison en élargissant notre cercle de compassion pour embrasser toutes les créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté(5)» .
Elargir notre cercle de compassion’ est la tache à laquelle nous devons nous atteler, les 15 prochaines années, pour mettre la Tunisie sur la voie du développent basé sur un nouveau modèle, notre modèle. Comme Margaret Mead: «Ne doutez jamais qu’un petit group de gens réfléchis et engagés peuvent changer le monde. En fait, c’est la seule chose qui l'ait jamais fait»(6) .
Khadija T. Moalla, PhD.
Consultante Internationale auprès des Nations Unies
(1) “The world we have made as a result of the level of thinking we have done thus far creates problems that we cannot solve at the same level at which we have created them... We shall require a substantially new manner of thinking if humankind is to survive”.
(2) Alvin Toffler: “The illiterate of the future are not those who cannot read and write, but those that cannot learn, unlearn, and re-learn”.
(3) U. Thant: “It is no longer our resources that limit our decisions; it’s our decisions that limit our resources”.
(4)Kouzes Posner: “There is no freeway to the future. No paved highway from here to tomorrow. There is only wilderness. Only uncertain terrain. There are no roadmaps. No signposts. So leaders rely on a compass and a dream”.
(5) Albert Einstein: “A human being is part of the whole called by us the universe, a part limited in time and space. He experiences himself, his thoughts and feelings as something separated from the rest, a kind of optical delusion of his consciousness. This delusion is a kind of prison for us, restricting us to our personal desires and to affection for a few persons nearest to us. Our task must be to free ourselves from this prison by widening our circle of compassion to embrace all living creatures and the whole of nature in its beauty.”
(6) Margaret Mead: “Never doubt that a small group of thoughtful, committed people can change the world. Indeed it is the only thing that ever has”.