L'éducation de l'excellence ou la nécessite de repenser l'éducation au Maghreb…
L'éducation, l'apprentissage, la formation, la connaissance, le savoir… autant de thèmes qui n'ont cessé de faire couler beaucoup d'encre et continuent de le faire aujourd'hui.
Pourquoi la question de l'éducation se pose-t-elle encore et toujours? Quid du système éducatif actuel? Répond-il aux exigences des mutations économiques que nous vivons et qui s'inscrivent dans une logique de globalisation et d'internationalisation? Il semblerait que non, car le système éducatif, tunisien du moins, ne semble même pas pouvoir répondre aux exigences du marché du travail domestique. En témoignent les chiffres alarmants du chômage des diplômés. En effet, en 2013, le taux de chômage des diplômés dépasse les 31%...et les 43% pour les femmes! La raison essentielle est liée à l'absence de matching entre les besoins des entreprises et la formation reçue par les nouveaux arrivants sur le marché du travail.
En novembre 2013, l'OCDE publie les résultats de son enquête triennale PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) pour l'année 2012. L'évaluation se fait sur la base d'un critère principal (les mathématiques) et de deux critères accessoires (la compréhension de l'écrit et les sciences) pour 65 pays. Sur la base du premier critère, la Tunisie se classe en 59ème position, en recul par rapport au classement des années précédentes (2009). D'une manière générale, le pourcentage d'élèves très performants en Tunisie est inférieur à la moyenne de l'OCDE. Il y a donc matière à se pencher sérieusement sur la question pas seulement à l'échelle de notre pays mais bien pour toute la région car le problème dépasse les frontières.
Il faut prendre conscience du fait qu'aujourd'hui, le monde est en plein mutation. Les nouvelles technologies prennent de plus en plus d'importance dans notre quotidien, contribuent à démocratiser l'accès au savoir via les sites éducatifs et les cours en ligne des universités les plus prestigieuses, et favorisent l'explosion des "nouveaux emplois" du tertiaire intensifs en capital humain. Alors pouvons-nous continuer d'enseigner de la même manière qu'il y a trente ans?
Aujourd'hui, si nous faisons le bilan du système éducatif tunisien – et c'est le même constat dans les pays voisins – nous constaterons un énorme déficit en matière de maitrise des langues. Or, maîtriser au moins deux langues, en plus de l'arabe, est une condition essentielle pour s'ouvrir sur le monde et saisir les opportunités de l'internationalisation. Par ailleurs, nos étudiants, à l'issue de leur parcours universitaire, n'ont pas vraiment la capacité à comprendre et à résoudre des problèmes, cela étant dû essentiellement à la nature des programmes enseignés où souvent, les mises en situation sont occultées de l'apprentissage. Nous sommes tentés de dire que le système actuel ne permet pas aux étudiants de développer un esprit critique et un esprit de synthèse.
Il est donc évident que nous ne pouvons plus continuer à répondre à une société en évolution, par un système éducatif classique, traditionnel. Plus que cela, et face aux exigences de la globalisation, il faudra repenser le système éducatif et le rôle de l'enseignant, et aller vers un système "out of the box" axé sur l'excellence.
Qu'entendons-nous par "excellence"? Il est difficile de répondre à cette question sans nous sentir obligés de définir l'excellence par rapport à une norme. L'excellence est-elle synonyme de notes exceptionnelles? Car en Tunisie, le taux de réussite au baccalauréat est élevé et les premiers classés ont des moyennes frôlant les 20/20; et pourtant…
L'excellence doit être pensée différemment, non pas par rapport à des normes quantitatives maisplutôt qualitatives. Un système éducatif d'excellence doit pouvoir développer chez les étudiants l'esprit critique et d'initiatives ainsi que la capacité à gérer et résoudre les problèmes, l'esprit d'équipe mais également le leadership, la flexibilité, bref ce que nous appelons aujourd'hui les "soft skills" qui permettent aux étudiants non seulement d'augmenter leurs chances d'insertion dans le marché du travail mais également de développer leurs capacités à monter et à gérer leurs propres projets.
Un système éducatif d'excellence doit aussi reposer sur un enseignement de qualité. L'enseignant doit continuer d'y occuper une place prépondérante, même si nous sommes tentés de penser qu'avec la montée des TIC, l'outil informatique pourrait se substituer à lui. Bien au contraire! C'est en fait la fonction de l'enseignant qui doit être repensée dans le sens où ce dernier doit devenir un accompagnateur de l'étudiant dans l'apprentissage beaucoup plus qu'un transmetteur de savoir (lequel est devenu libre d'accès via internet).
Un système éducatif d'excellence doit enfin se baser sur des programmes de qualité, intégrant les TIC, mais aussi à forte composante linguistique, tournés vers le monde de l'entreprise, axés sur la formation co-construite (en alternance) et favorisant largement la recherche et l'innovation.
Quels serait l'enjeu derrière l'excellence? Les systèmes d'enseignement occidentaux sont devenus inaccessibles de par leur coût financier et les formalités administratives de visa. Il existe par ailleurs une demande régionale certaine de la part des pays voisins et une demande importante à horizon d'à peine cinq ans, en provenance du continent. Les opportunités sont donc là et il faut absolument les saisir dès aujourd'hui, l'enjeu étant alors de nous positionner en offre alternative capable de répondre à la demande continentale – voiremême celle en provenance du Mashreq – et de produire le capital humain nécessaire aux nouvelles exigences socio-économiques.
Tout cela ne peut être l'œuvre de l'Etat seul, mais la réflexion comme le développement de l'infrastructure idoine doit émaner d'une implication aussi bien du public que du privé. Alors, serons-nous capables de relever ce défi de l'éducation de demain?
Asma Bouraoui Khouja
ExecutiveDirector, Maghreb Economic Forum
Cette réflexion est le résultat d'un brainstorming organisé par le Maghreb Economic Forum, le 6 janvier dernier, sur l'éducation d'excellence, et qui a réuni une dizaine d'éminents experts de l'éducation.