Révolutionner nos services publics…et les mener à l'excellence!
Sujet déjà évoqué dans ces mêmes colonnes. Avouons-le volontiers, le titre est cette fois-ci quelque peu déclamatoire, aux limites du volontarisme utopique. Beaucoup estimeront, -les attendus allusifs de ce titre-, tout à fait hors d’atteinte tant le secteur public est en déliquescence avancée. Des champions nationaux vous n’y pensez pas ! N’ayons pas peur des mots : révolutionner veut simplement dire transformer (les finalités, les structures, l’organisation du travail) en vue d’un cap audacieux en lieu et place de réformettes qui usent le « petit peuple au travail » et épargnent les « puissants».
Rappelons brièvement la situation des entreprises productrices de biens ou de services régulés et ou gérés directement par l’Etat. De fait et quelque soit l’espace dans lequel elles interviennent (concurrentiel, ou protégé), elles connaissent toutes, -à des degrés divers-, d’énormes difficultés de gestion: Pertes de chiffre d’affaires, croissance des impayées, gonflement des charges d’exploitation, recul des marges, faiblesse manifeste de l’autofinancement, endettement proche de l’insolvabilité. Mais comme souvent, ces difficultés économiques et financières sont redoublées par celles plus fonctionnelles et organisationnelles: faible implication, apathie collective toutes choses que les psycho-sociologues de l’organisation ont beaucoup de mal à conceptualiser. Une perception de dysfonctionnements que l’on décèle (ou mesure indirectement) dans l’atonie endémique de la productivité collective, aggravée et en chute libre, ces derniers temps.
Bien d’autres signes témoignent aussi de cette « fuite » des agents du secteur public devant les missions qui sont les leurs : inertie hiérarchique, lenteur ou négligence délibérées, absences et arrêts de travail à répétition. Conjonction qui relève d’une crise profonde de « la culture d’entreprise publique ». Une culture pourtant lentement construite dés les premières décennies d’indépendance autour de notions simples communément admises : l’intérêt général, le service à l’usager ; devenu depuis client. L’espace imparti ne nous permet pas de décortiquer ce glissement sémantique. Mais nos élites intellectuelles seraient bien inspirés de réétudier les dommages causés par la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de management, (mode inaugurée dans les années 90), dans la foulée de l’adoption d’une politique économique générale bien plus libérale. Méthodes ayant pour Maître-mots : la rationalisation par la gestion des coûts. Un nouveau modèle d’organisation qui va s’articuler autour du recentrage sur le cœur de métier (sic) et l’externalisation, la sous-traitance de fonctions jugées non essentielles, non stratégiques (re-sic) ; le travail intérimaire n’en étant que la partie émergée.
Toutes les entreprises publiques du pays vont suivre le mouvement. Elles vont filialiser, sous-traiter, externaliser, à tout va ; jusqu’à la caricature. Le catering pour Tunisair, la maintenance pour la CPG-GCT....Au nom de cette sacro-sainte efficacité. Il y aurait beaucoup à dire sur toutes les techniques utilisées qui avaient aussi et subséquemment pour objet de contourner les collectifs de travail et les résistances salariales, déroger au droit du travail, dont l’UGTT ne se fait pas suffisamment l’écho. Mais admettons, avec elle et à sa décharge, que l’analyse s’est avérée bien plus difficile et complexe, quand sont venus se sur-rajouter les dimensions de favoritisme et de clientélisme. Une réflexion plus poussée resterait à faire. Mais d’évidence les salariés du public en ont fait l’amère expérience ! Pouvoir d’achat érodé, parcours professionnel laissés au pouvoir discrétionnaire des dirigeants, multiplication de sous traitants extérieurs qui foulent aux pieds le droit social et les conventions collectives de branches. Mais aussi, dépéréquation tarifaire pour les usagers, abandon des obligations de service public dit aussi «service universel ». La liste est longue des déconvenues d’un secteur passablement malmené depuis deux ou trois décennies….mais au bout un travailleur collectif démantelé, éreinté, désabusé…qui n’est plus mu que par le sauve-qui-peut !
Parallèlement, et sans pouvoir pousser jusqu’au bout l’homologie avec le secteur public non marchand et administratif que constituent la santé et l’éducation, les similitudes sont nombreuses. Désindexation salariale, impéritie déficiente d’investissements des années durant, se traduisant par un sous-équipement chronique jusqu’aux limites du supportable (petits matériels) provoquant stress et surcharges de travail. Une kyrielle de conséquences qui nous explosent à la face aujourd’hui (100.000 abandons scolaires, surgissement de pandémies). Des personnels, des professionnels qui perçoivent la lente mais inexorable dégradation de la qualité de leurs services et cela d’autant plus intensément qu’ont fleuri de superbes cliniques privées suréquipées et de prestigieux établissements également privés d’enseignement général et universitaires.
Au final, un secteur public qui tente de gérer la pénurie, sans conviction, sans espoir. Une désaffection que l’on peut aussi et incidemment mesurer au nombre de démissions.
Des méthodes « cost-driven » qui ont fait bien plus de dévastations sociales, et produit plus de contre-performances économiques aussi bien quantitatives que qualitatives que toutes les exactions commises depuis la révolution. Mais voilà, le regard de l’opinion est ailleurs ! Exécrable technocratisme, principal instigateur de cette dissolution multiforme du lien social, bien plus surement que les turpitudes cumulées du régime déchu.
Alors une vraie question se pose: Est-il possible et souhaitable d’inverser la vapeur ? Mieux, peut-on mener ces entreprises vers l’excellence ? Un challenge prométhéen, mais qui aurait l’immense avantage de soulever et fédérer les énergies, tant nos concitoyens sont attachés aux mythes fondateurs de la République.
Chers politiques un peu d’imagination…Cessez de mettre la charrue avant les bœufs : de nommer un nouveau PDG, puis de désigner une commission d’experts, puis d’appointer à prix d’or un grand cabinet de consultance internationale, pour finir par proposer la plus mauvaise des solutions : la restructuration par la privatisation
Commencer par inverser la vapeur suppose de tenir les deux bouts de la chaine: fixer un cap ambitieux de long terme, un projet triptyque stratégique, humain, financier.
Il y a fort à parier que ce soit dans cette direction qu’il faille chercher : Rebâtir un bien commun partagé égalitairement. Donc, pas simplement un slogan politique, mais un formidable ressort pour reconstruire un nouveau « vivre ensemble ».
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement