Mes respects Madame la Ministre, Amel Karboul
Ce qui s'est passé à l'assemblée sous la coupole du Bardo le 29 janvier, lors de la présentation par M. Mehdi Jômaa, nouveau premier ministre, de son gouvernement,est inadmissible et très peu glorieux pour certains élus de la nation.
On ne peut malheureusement pas prétendre que les députés élus par le peuple à l'assemblée nationale constituante ont tous été, au sein de ce prestigieux hémicycle, ce jour là en particulier, à la hauteur des attentes des Tunisiens.
On aurait espéré , après les scènes de liesse suscitées par le vote final de la constitution,en finir avec les comportements indécents et irresponsables des uns et des autres.
En effet, on aura tout vu et tout vécu avec nos représentants; et si certains sont honorables et ont bien mérité notre respect ainsi que notre reconnaissance, quelque soit le parti auquel ils adhèrent, d'autres par contre ont souvent transformé cette salle, où le destin d'un pays se joue, en cour des miracles, ou en enceinte de fous furieux où tous les dérapages sont permis.
En ce jour du 29 janvier, c'est un véritable lynchage verbal qu'a subi Mme Amel Karboul, nommée récemment, ministre du tourisme, par des députés dont la mauvaise foi et l'ignorance n'est plus à prouver.
Cette femme d'honneur, cette citoyenne tunisienne citée en exemple partout où elle est passée a l'étranger, est rentrée pour mettre son savoir-faire et ses compétences au service de son pays. Mais il est déplorable de constater à quel point la haine de l'excellence peut en étouffer certains et ternir leur âme.
On reproche injustement à Mme Karboul d'avoir transité pendant quelques heures par Israël pour atteindre les territoires occupées palestiniens. Un passage obligé pour ceux qui veulent aller en Palestine. Une bien piètre critique, bien peu convaincante. Rappelons que meherzia Labidi a fait pire. Lisez donc le livre qu'elle a écrit avec deux juifs qui ne cachent pas leur appartenance sioniste. Pourtant, elle a été élue vice présidente de l'assemblée constituante sans que personne ne le lui rappelle. L'opposition moderniste aurait pu le faire, mais elle n'a jamais cherché à maitriser l'art du lynchage ni à le pratiquer. Quelle ironie du sort.
Manifestement, des femmes qui partagent le pouvoir est un choc pour les ignorants et incultes, qui n'arrivent pas encore à digérer l'égalité entre les hommes et les femmes dictée dans la constitution.Trois femmes nommées ministres, c'en est trop pour certains. Et des femmes d'une si grande dimension humaine et intellectuelle sont difficiles a atteindre. Le seul recours possible pour y arriver, c'est de dénigrer l'une d'elles par la diffamation intolérable en pleine assemblée. Un haut lieu où la dignité humaine est censé être protégée par ceux là même qui la violent sans aucun état d'âme, espérant ainsi atteindre par ricochet beaucoup d'autres.
Cette férocité à l'encontre de la ministre du tourisme est tout simplement un sentiment refoulé que certains n'ont pas pu exprimer à temps contre toutes les tunisiennes qui se sont mobilisées pendant des mois et des semaines pour dire non à l'obscurantisme, non à la discrimination des femmes, non à la violence faite aux femmes. Une victoire que beaucoup n'admettent toujours pas et qui demeure un couperet en travers de leur gorge.
Dans cette même assemblée qui était hier si fière d'avoir achevé dans la difficulté une constitution garante des droits fondamentaux et des libertés, protectrice de toutes sortes de violence contre les citoyens et citoyennes, voilà que l'on assiste désormais à un acharnement honteux contre Amel Karboul qui a tout simplement le "défaut" d'être une femme et ministre de surcroît. Cette femme vaut pourtant bien plus que tout ceux qui l'ont lapidé de leur fiel, à défaut de le faire avec des pierres.
Il est vrai que cette brillante association d'intelligence, d'indépendance et de classe ne s'adapte pas à l'image qu'ils se font de la femme idéale: cachée et soumise à leur diktat.
La plupart des écarts de conduite et de langage commis au sein de cette assemblée et dont nous avons été bien souvent les amers spectateurs sont venus de comportements masculins dont les dérives et la paranoïa sont devenus légende.
Aujourd'hui, les fous qui délirent ont remplacé les loups qui dansent. Comme si le glas avait sonné la fin de leur gloire éphémère.
Madame Karboul, votre tort n'est pas tant ce que vous avez fait mais ce que vous êtes. Une Femme de grande poigne avec une tête bien pensante.
Vous êtes ,avec Mmes Harrouch et Chaabane, les plus belles des images de la femme tunisienne, faites donc en sorte de la grandir davantage .
En politique, disait Margaret Tatcher, si vous voulez des discours demandez à un homme. Si vous voulez des actes, demandez à une femme. Le coq chante et la poule pond des œufs.
Latifa Moussa