Omar S'habou: Lettre à Mehdi Jomaa et Lotfi Ben Jeddou
Une sorte de péché originel chahute les hautes fonctions étatiques qui sont aujourd’hui les vôtres. Il est né de votre mitoyenneté avec Ennahdha.
Vous concernant, Si Lotfi, vos camarades d’université avaient bien noté et suivi dans le temps vos inclinaisons claires envers le Mouvement de la Tendance Islamique ( MTI) devenu en 1989 «Ennahdha», tandis que Rached Gannouchi n’a pas cherché à cacher, dans un discours fait à Tataouine devant les militants nahdhaouis, que vous êtes son ami. Et, s’agissant de votre action à la tête du Ministère de l’Intérieur, elle ne laisse pas de susciter les plus fortes réserves et soupçons qui ont trait à deux faits indiscutables: primo, vous avez gardé la pyramide administrative et sécuritaire inféodée à Ennahdha (selon plus d’une source syndicale) installée par votre prédécesseur au sein du ministère; secundo, vous avez fait preuve de laxisme – le moins qu’on puisse dire – dans la gestion du fait terroriste; ce qui a engendré dans l’esprit de l’opinion publique la tenace et désagréable impression que vous êtes, à tort ou à raison, en connivence. Il est difficile d’oublier aussi, dans le même ordre d’idées, votre incompréhensible et inédite (dans les annales mondiales) carence – pour ne pas dire autre chose – dans la prévoyance de l’assassinat de Mohamed Brahmi. Un télégramme en bonne et due forme de la CIA qui vous prévient de l’identité de la victime et de l’échéance temporelle du crime est tout simplement négligé. L’histoire du pays aurait été autre si l’avertissement avait été pris en compte. Dans d’autres pays, auxquels nous aspirons à ressembler, vous aurez été contraint à la démission ainsi qu’à celle du gouvernement Laaraydh…
Vous concernant Si Mehdi Jomaa votre accession au poste de premier ministre est viciée à la base par trois faits: le premier est relatif à votre première appartenance à un gouvernement nommé par la troïka dont on sait qu’elle est solidement dominée par Ennahdha. Et c’est grâce à la bénédiction de celle-ci que vous devez votre retour en Tunisie et votre «ministrabilité». Et Il est difficile de penser que Ennahdha peut bénir un ennemi. De votre côté, et tel que vous êtes, vous ne semblez pas être de ceux qui conjuguent l’ingratitude à tous les modes.
Le deuxième fait concerne votre désignation au poste de premier ministre par un consensus boiteux dont Ennahdha aura été le moteur silencieux . Et le troisième réside dans le fait que vous avez choisi de garder, contre vents et marées, Lotfi Ben Jeddou alors que vous êtes sans ignorer les très fortes réserves et appréhensions qui entachent son action à la tête du Ministère de l’intérieur, le plus souverain des ministères de souveraineté !
Savez-vous si Mehdi que celui qui s’asseoit sur le fauteuil sur lequel se sont auparavant assis Taieb M’hiri, Beji Caied Essebsi, Ahmed Mestiri, Driss Guigua, Tahar Belkhoja – entre autres – s’habite, sans qu’il s’en aperçoive, d’une sorte de mystique du pouvoir ! Il découvre qu’il lui suffit d’appuyer sur un simple bouton pour que sa volonté couvre tout le pays ! C’est magique ! Il est par conséquent très difficile de croire qu’Ennahdha, après avoir installé sa pyramide – horizontalement et verticalement – puisse l’abandonner, comme si de rien n’était, à quelqu’un qui risque de la défaire…Aussi votre refus de vous séparer de Ben Jéddou d’une part et son propre refus à lui de démissionner d’autre part ne peuvent qu’alimenter outrageusement les doutes quant à votre intelligence avec Ennahdha. D’autant que Ben Jeddou a justifié son refus par une raison à peine recevable ! « J’ai obtempéré à l’insistance des syndicats de police» a-t-il dit ! Est-ce qu’il aurait obtempéré s’ils avaient insisté pour qu’il démissionne?
Vous êtes par conséquent tous les deux sujets à de fortes présomptions d’entente voire de complicité avec Ennahdha. Et vous ne pouvez pas l’ignorer…Mais il se trouve, pour votre bonheur, que les tunisiens, désireux ardemment de voir une autre équipe et d’autres visages à la tête de l’Etat, semblent avoir choisi collectivement d’ignorer ces présomptions et ces appréhensions et de vous accorder le préjugé favorable ! Et c’est tant mieux !
Le choix devient alors, pour vous deux, clair, simple et, en même temps, historique!
Il importe, d’abord et surtout, de ne pas oublier que vous êtes politiquement nés de la matrice du triptyque : dialogue national, feuille de route et quartet. Toute traitrise vis-à-vis de cette matrice non seulement vous dépouillera de la légitimité qui en est issue mais vous frappera de malédiction. C’est le cas classique du fils qui renie sa mère. Toute félonie par rapport à l’esprit et à la lettre de cette matrice vous fera perdre votre raison d’être. Tout simplement. La feuille de route et ses implications et rien que la feuille de route ! En d’autres termes : la dissolution des comités de protection de la révolution ; la révision des nominations partisanes ; la lumière sur les assassins des martyrs (Nagedh, Belaid et Brahmi) et la préparation d’élections trans- pa-ren-tes ! Comme celles sur la régularité desquelles à veillé avec succès le gouvernement Caied Essebsi. Je vous prie d’ailleurs de vous pondérer sur ces élections du 23 octobre et à bien prendre note de l’ineffaçable reconnaissance et inaliénable légitimité qu’en a gagnées Caied Essebsi. Même le viscéral haineux Ghanouchi (vis-à-vis des bourguibiens) a reconnu que «Caied Essebsi est entré, ce faisant, par la grande porte de l’Histoire!» C’est tout dire!
Caied Essebsi, en tant que premier ministre et Habib Essid, en tant que ministre de l’intérieur (tous deux issus soit dit en passant de l’école destourienne pure) ont fait faire au peuple tunisien un bond décisif vers l’exemplarité électorale ! A vous deux d’en faire définitivement une culture politique nationale ! Vous en conserverez intactes la légitimité et la primauté qui vous autoriseront demain à revendiquer, à juste titre, les plus hautes charges de l’Etat.
Peut-être que vous êtes tiraillés d’une part par un sincère désir de servir la patrie et d’en faire le modèle souhaité et, d’autre part, par l’antinomique désir de rendre service aussi à celui qui vous a fait Rois : Ennahdha et son Ghannouchi. C’est humain! Mais sachez, je vous prie, que le plus noble et le plus élégant service que vous puissiez rendre à Ennahdha, c’est de l’aider à s’affranchir de ses dogmes « fréristes », de son obsession du pouvoir et de sa peur de le perdre de crainte de quelque représailles et règlements de compte, c’est de contribuer à lui apprendre à se libérer de sa culture absolutiste et de s’imprégner de celle qui fait du laïc un tunisien, de l’alternance une liberté et du modernisme un complément de l’islam ! Aidez les patriotes que compte Ennahdha à transformer leur parti en mouvements d’«islamsites démocartes» à l’exemple des chrétiens démocrates européens! Et c’est possible ! J’en connais personnellement qui caressent ce rêve!
Soyez en tout cas certains que les tunisiennes et les tunisiens vous soutiendront de toute leur énergie des qu’ils constateront que vous êtes déterminés à transcender vos compréhensibles penchants humains et à vous élever vers ce que l’histoire vous demande d’accomplir au service de notre pays ! Un pays qui a vocation historique à être et à rester un exemple et un phare ! Mais si, par malheur, il en est autrement: un engagement illicite, serpentueux et finalement «criminel» de votre part au service d’un agenda politique autre que national, ce sera, je vous le dis sans ambages, la guerre civile ! Nous y avons été proches au lendemain de l’assassinat des deux martyrs ; nous y serons en plein si trahison est constatée ! Parce que les tunisiennes et les tunisiens ne voudront plus jamais – et à aucun prix – que leur liberté et leur dignité de peuple mûr et responsable soient à nouveau assujettis à quelques perversion, imposture, mystification ou tromperie que ce soit !
A vous de jouer et que le Ciel vous vienne en aide!
Omar S’habou