Somptuosités de la crise en Tunisie et fermeture dogmatique en Occident
Décidément, nos élites politiques nagent en plein délire! Elles nous disent que le pays est en grave crise, que les caisses sont vides; et les voilà qui fêtent à grands frais l'adoption d'une constitution dont il reste à mettre en œuvre les principes. Hier, le palais de Carthage offrait la fête avec un feu d'artifice; et aujourd'hui, il remet cela en invitant des personnalités étrangères à une manifestation fort dispendieuse.
La nouvelle devise du Panem et circences(1)
On disait du temps de Rome que pour gouverner en paix, il fallait donner du pain et des jeux du cirque au peuple afin de l'occuper, le détourner du pouvoir. En Tunisie, on n'offre rien au peuple, les jeux du cirque étant ceux de ses élites occupées à s'exhiber, osant offrir du biscuit au peuple manquant de pain comme le fit une reine coupée des réalités de son peuple révolté contre ses faux seigneurs; ce qui lui valut d'avoir la tête coupée.
L'histoire ne se répète-t-elle pas? On nous dit que l'État a besoin de moyens, qu'il est au bout de la faillite. Pour cela, on l'endette encore plus et on parle de gel des augmentations de salaire. Mais que voit-on dans le même temps? L'État ne fait rien pour limiter ses somptuosités en dépenses d’apparat. On l'a déjà vu le soir de l'adoption de la constitution; et voilà qu'on nous prépare des réjouissances encore plus dispendieuses avec l'invitation de personnalités mondiales dont celles ayant snobé la fête sobre du jour d'adoption.
Encore si l'aréopage des grands de ce monde apportait quelque chose de concret pour le pays! Car la démocratie en Tunisie a bien plus besoin de réalisations concrètes que de dépenses somptuaires et de mesures consolidant sa dépendance à l'égard de l'étranger.
Je ne reviendrai pas ici sur les exigencesqu'impose le sens de l'histoire, que manifesterait une intégration digne de la Tunisie — donc en bonne et due forme — au système économique et politique de l'Occident, et de l'Europe en particulier. Je dirais juste aux amis d'Occident : que n'effaciez-vous la dette tunisienne? Que n'encouragiez-vous les jeunes tunisiens à circuler librement, ces jeunes dont la tête est pleine de projets économiques à cheval entre les deux rives de la Méditerranée,maisqu'ils ne peuvent réaliser faute de liberté de mouvement ? Du coup, vous effaceriez une clandestinité qui ne fait qu'obérer l'économie occidentale par le travail au noir outre les malheurs quotidiens qu'elle entraîne en Méditerranée.
Mais est-ce bien ce que veulent les gourous de l'économie occidentale? N'ont-ils pas besoin de trous d'illégalité dans tout système démocratique pour continuer à faire survivre le système économique actuel plein de contradictions? Au fait, ce système sous perfusion d'illégalités, jusqu'à quand survivra-t-il aux changements dans le monde?
Il est temps que l'on comprenne que le peuple de Tunisie ne peut se contenter de la destinée qu'on veut lui imposer : celle d'un marché ouvert à tous les vents en étant un terrain réservé aux purs intérêts de l'Occident. Ce peuple rêve d'une démocratie véritable, et non à la mesure des intérêts des capitalistes nationaux et internationaux qui se satisfont d'une démocratie au rabais propice à la souplesse qu'impose un marché où se pratique encore le capitalisme sauvage qu'on croyait avoir enterré.
Comme pour les services externalisés de plus en plus hors des pays de droit, l'économie occidentale cherche des zones de non-droit, formellement démocratiques, mais juste ce qu'il faut pour continuer à donner l'illusion de la vie à un système moribond. Dans le même temps, tout en prétendant vouloir la réussite de la démocratie dans les pays du Sud, elle entend garder sous son influence, au service de ses seuls intérêts, ce Sud qu'on prend soin d'écarter du système démocratique mondial, pourtant condition sine qua non pour sa viabilité. Car aucune démocratie ne peut naître aujourd'hui dans une réserve.
La fermeture dogmatique occidentale
Une fermeture dogmatique est bien sûr là pour justifier l'injustifiable et faire taire les justes exigences taxées d'utopies. Elle a pour nom la crise économique internationale. Pourtant, si crise il y a, elle n'est que dans les têtes, les peuples continuant toujours à survivre avec les moyens du bord comme avant, et les riches, ces financiers multinationaux, ne cessant de s'enrichir de plus en plus malgré — ou grâce — à cette supposée crise.
Il est aberrant et catastrophique qu'au moment même où la fameuse fermeture dogmatique islamique est en train de disparaître à la faveur de la révolution en Tunisie, elle se déplace ainsi en Occident. N'est-ce pas le fond inconscient judéo-chrétien qui se manifeste de la sorte, amenant les dirigeants d'Occident à préférer un islam plutôt ennemi qu'ami, car commode à gérer pour ses propres penchants belliqueux— ne seraient-ils qu'inconscients — et pour les intérêts de ses marchands d'armes?
Si l'Occident veut vraiment la Tunisie en pays démocratique, que ne fait-il ce qui tombe sous le sens : son intégration à un espace de démocratie? Si l'Occident veut d'une Tunisie qui soit plus qu'un marché, partageant toutes ses valeurs, non seulement économiques, il doit lui proposer d'intégrer une aire de civilisation à construire de concert, où se côtoie le meilleur des valeurs occidentales et orientales.
C'est ce que commandent la raison et la logique, et c'est ce qui se fera tôt ou tard. Ainsi, l'Occident, s'il n'a pasla moindre arrière-pensée comme il le prétend, sait ce qui l'attend en assurant vouloir la réussite de la démocratie en Tunisie. Et qu'il n'excipe pas de sa classique ritournelle de la crise qui n'est que dans les têtes, se nourrissant de ses propres contradictions ! La première de ces contradictions restant, bien évidemment, la fermeture des frontières qui n'est que la concrétisation d'une fermeture dogmatique occidentale aux réalités nouvelles dans le monde qu'incarne la Tunisie.
Et que le gouvernement de M. Jomaa, la présidence provisoire, quitte à faire des dépenses pour honorer leurs hôtes, en profitent pour rappeler à leurs amis d'Occident d'être logiques avec eux-mêmes! Qu'ils demandent,au moins,à nos créanciers l'effacement immédiat et total de la dette tunisienne, une dette remontant pour l'essentiel à l'ancien régime, et donc une dette scélérate! Qu'ils fassent ce geste minimal si, de part et d'autre, on n'ose encore proposer et demander l'adhésion de la Tunisie au système occidental avec une entrée par la grande porte à l'Union européenne!
Et qu'on me permette de conclure en précisant que je n'ai vocation ni de jouer à Cassandre ni de parler dans le vide; et je m'adresse à la conscience des plus objectifs de nos politiques, les plus honnêtes, dont notamment les amis d'Occident, Pour ces derniers, ce qu'ils ont ici, c'est une parole d'un ami intime, mais exigeant.
Farhat Othman
(1) du pain et des jeux