News - 10.02.2014

Diplomatie: entre improvisation et amateurisme

Après l’incident qui a eu lieu sous la coupole de l’ANC et a provoqué le retrait de la délégation américaine suite aux propos jugés vexatoires du  président du parlement iranien, le gouvernement tunisien s’est confondu en excuses auprès de l’ambassadeur américain Jacob Walles. Fort de son droit, ce dernier n’a pas manqué de le crier sur tous les toits en précisant bien que les propos de l’iranien n’engageaient pas la Tunisie. L’incident est clos.

On attendait une fête pour célébrer la Constitution  tunisienne, on a eu droit à une cérémonie où l’improvisation le disputait  à l’amateurisme. La diplomatie tunisienne dont le professionnalisme n’est pas à mettre en doute ne mérite pas ce qui lui arrive, ni ce qui lui a été imposé à son corps défendant. Le Ministère des affaires étrangères qui aurait dû être le maître d’œuvre de cette cérémonie a été marginalisé au profit de la présidence de la République et celle de l’Assemblée nationale constituante qui voulaient monopoliser la paternité de cette constitution pour en obtenir seules le profit politique et la reconnaissance internationale.

Plusieurs cafouillages ont été observés.

Primo, le choix de la date. Le 7 février, le lendemain du premier anniversaire de l’assassinat de Chokri Belaid et la veille de la célébration des événements de Sakiet Sidi Youssef n’était pas du tout indiqué.

Secundo, comment espérer la participation de Chefs d’Etat et de gouvernement pour marquer d’une exceptionnelle solennité, ce moment historique. En ne  donnant que quelques jours à des pays  étrangers pour prendre une décision concernant le déplacement de leur chef d’Etat quand cela nécessite des mesures spéciales de sécurité et des préparatifs protocolaires méticuleux. Pourquoi ne pas avoir prévu une telle cérémonie en mars en même temps que  la fête de l’indépendance, célébrée en grande pompe comme si l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale est une «seconde indépendance». Cela aurait donné le temps nécessaire pour une meilleure préparation de la fête.

Tertio, sur près de 200 pays dans le monde, seule une cinquantaine d’Etats ont répondu à l’invitation tunisienne. Sont-ils les seuls Etats invités. On ne peut le croire. A-t-on fait un tri pour retenir des pays au détriment d’autres et selon quels critères? L’événement aurait suscité une grande adhésion internationale. La diplomatie tunisienne aurait pu en faire une opportunité pour donner une nouvelle image de la Tunisie, de quoi remplir nos hôtels de touristes et notre économie d’investisseurs.

Quarto, des impairs impardonnables ont été aussi commis. Ce n’est certainement pas la faute de notre diplomatie, car celle-ci comme la politique marche avec le dit mais surtout, le non dit; des gestes qui peuvent être interprétés toujours négativement. Les représentants du Maghreb aurait dû être mieux placés dans la salle. En tant que représentants spéciaux du Roi Mohamed VI et du Président Bouteflika, le prince Moulay Rachid frère du souverain marocain et Abdelmalek Sallel premier ministre algérien auraient dû être placés aux côtés du Président de la République ainsi d’ailleurs que le président mauritanien et le président du Congrès général libyen. Pourquoi avoir placé le président Hollande à la place où il était comme s’il était l’invité d’honneur et lui avoir donné le premier la parole. C’est un impardonnable impair diplomatique. Le protocole veut que les monarques viennent avant les présidents. Ces derniers doivent être placés par ordre d’ancienneté dans la fonction. M. Hollande n’est président que depuis deux ans. Le président tchadien est plus ancien que lui par exemple. Le directeur du protocole présidentiel, lui-même diplomate chevronné le sait bien mais il a dû être empêché de faire professionnellement son travail par l’immixtion du politique dans sa tâche.

Quinto, comment la liste des intervenants  et l’ordre de leur prise de parole a été préparée. Ce qui saute aux yeux c’est l’improvisation car il y avait à boire et à manger. A-t-on imposé «diplomatiquement» une durée pour chaque intervenant et les-a-t-on prévenus de la nécessité  de s’astreindre à l’objet de la cérémonie exclusivement. Si une note dans ce sens avait été adressée aux missions diplomatiques dont relèvent ces hôtes, l’incident de la déclaration intempestive iranienne aurait été évité.

Mais ce qui me paraît relever  de l’amateurisme le plus inacceptable c’est quand cette séance solennelle a été organisée sans présidence censée tenir l’ordre et la discipline dans la salle. On a eu droit à un présentateur alors que le président de l’ANC était là et aurait dû parler lui même de son siège et donner la parole à ses invités, car ils sont les siens, quitte à couper la parole quand il estime que l’on a dépassé le temps imparti ou quand l’intervenant sort de l’esprit de la cérémonie. Que se serait-il passé si un des présents, un député par exemple s’est mis à huer l’un ou l’autre des intervenants. Aurions-nous vu la police intervenir de façon musclée dans l’enceinte de l’Assemblée où le député jouit du droit de dire n’importe quoi, immunité parlementaire oblige. Seul le président avait le droit de le faire taire ou de l’exclure de la salle. On l’a échappé belle. Ce ne serait pas un incident vite clos et nous en aurions supporté les conséquences indéfiniment.

Il faut espérer que de telles défaillances ne se répètent pas.

R.BR