Mehdi Jomaa - un mois de gouvernement: Des raisons d'espérer
A un mois de son investiture, peut-on faire un premier bilan du gouvernement Mehdi Jomaa. Généralement c’est à cent jours qu’une première évaluation est faite de l’action de toute équipe gouvernementale dans la mesure que c’est le délai de grâce au-delà duquel elle devient comptable plus de ce qui est négatif moins de ce qui est positif. Mais d’ores et déjà on peut dire que parce qu’il est inconnu, qu’il est venu à un moment où on l’attendait de pied ferme après deux ans de déceptions avec les deux gouvernements d’Ennahdha, le nouveau chef de gouvernement a eu dès le départ un préjugé favorable non de la classe politique mais du commun des Tunisiens.
Bonne bouille, un sourire au coin avenant, bien mis sans ostentation, il a attiré les regards sur lui. En s’entourant d’une équipe d’hommes et de femmes, même si celles-ci sont peu nombreuses au goût des Tunisiens, tous ou presque avec un cv impressionnant et des diplômes dans les universités les plus prestigieuses du monde, il a fini par acquérir l’adhésion de la population habitée par le succès dans les études. Puis n’oublions pas que ses premiers pas ont été bien accueillis par la destinée et un Bon Dieu bienveillant. Le premier succès sur le terrorisme dans l’affaire de Rouad c’est lui qui l’a cueilli. Même l’attentat de Bulla Reggia dans les environs de Jendouba n’a pas eu les effets négatifs redoutés. Une bonne gestion de l’affaire, sa prise en main du dossier, ses déclarations après la réunion du conseil de sécurité et ses propos tout aussi fermes que rassurants ont donné de lui l’image d’homme sérieux, à la peine, conscient des insuffisances et déterminé à leur trouver des solutions. En un mot un homme qui sait parler aux Tunisiens le langage de la vérité et de l’effort.
Relancer l'économie et combattre le terrorisme
Sur le plan diplomatique, ses premières actions ont été marquées du sceau du volontarisme, du sens de l’Etat et de la détermination de tirer profit des amitiés de la Tunisie de par le monde pour les mettre au service de la nation dans cette période sensible où la situation catastrophique des finances publiques nécessite la conjugaison de tous les efforts, intérieurs comme extérieurs. Ce n’est pas de l’empiètement sur les prérogatives du président de la république provisoire mais bien une prise de conscience que la dimension extérieure est un affluant déterminant de la politique intérieure dans sa double priorité impartie au gouvernement à savoir remettre l’économie sur les rails et combattre le terrorisme.
Les «messages forts» envoyés au pourtour immédiat et à l’environnement naturel de notre pays, notamment les visites du chef de gouvernement en Algérie et au Maroc, les deux pays frères et voisins ainsi que les gestes esquissés en direction des Emirats et de l’Arabie Saoudite, deux partenaires majeurs ont été bien accueillis et fort bien compris. Nos alliés traditionnels n’ont pas manqué d’affirmer haut et fort leur soutien à l’achèvement de la transition démocratique de la Tunisie. La visite du Secrétaire d’Etat américain qui est venu confirmer l’invitation adressée au téléphone par le Président Barack Obama à M. Mehdi Jomaa et mettre en place un «partenariat stratégique» entre Tunis et Washington est une indication sérieuse d’un soutien sans faille de la plus grande puissance du monde au succès du «modèle tunisien». La visite de Mehdi Jomaa le 4 avril prochain à Washington ne sera pas une occasion pour la célébration des relations tuniso-américaines mais permettre aussi au chef du gouvernement de prendre contact avec les dirigeants des institutions financières internationales, la Banque Mondiale et le FMI qui sont les plus sérieux soutiens de notre pays.
Le déplacement à Tunis de François Hollande, chef de l’Etat de la France, autre puissance alliée de notre pays pour la fête de la Constitution tunisienne est un indice de l’appui de Paris et derrière elle l’Europe à l’expérience démocratique de la Tunisie. La visite que ne manquera pas de faire prochainement Mehdi Ben Jomaa à Bruxelles et à Paris donnera le ton d’une étape nouvelle dans les relations entre notre pays et son plus grand partenaire dans le monde en termes d’échanges commerciaux et d’investissements extérieurs.
Des élections libres et transparentes
Mais il ne fait pas de doute que le Chef du gouvernement est attendu aux entournures de la scène intérieure. Mettre tous les moyens nécessaires à la disposition de l’ISIE et fixer la ou les dates des élections présidentielle et législative sont parmi les actes majeurs attendus. Mais il se trouve qu’ils ne sont pas uniquement de son ressort puisqu’ils dépendent surtout de la loi électorale dont l’examen s’éternise à l’Assemblée Constituante.
Sur les autres sujets prioritaires inscrits sur la feuille de route du Quartet, qu’il est chargé d’appliquer, et qui sont la révision des nominations partisanes et l’abolition des « ligues de protection de la révolution» considérées comme des milices, M. Jomaa semble avoir avancé même si cela s’est fait dans la discrétion et sans tapage médiatique. Sur d’autres sujets non moins brulants comme la réhabilitation de la valeur du travail, la lutte contre le crime transfrontalier organisé, essentiellement la contrebande et le gain facile, l’affermissement du prestige de l’Etat à travers la considération de ses représentants, beaucoup de chemin reste à faire quand bien la volonté affichée soit réelle.
D’autres pas sont souhaités si on veut aller vers des élections libres, loyales et transparentes comme s’y est engagé le nouveau gouvernement. Il s’agit essentiellement d’assurer la neutralité des lieux de culte des interférences partisanes et de faire respecter l’indépendance et l’objectivité des médias de service publics audiovisuels et écrits. Pour les mosquées, les efforts doivent être menés de concert entre le Ministère de l’intérieur et le ministère des affaires religieuses à cette fin. L’appel à candidatures lancé pour le choix des présidents des établissements de la Radio et de la Télévision nationale est une avancée certaine. Il serait judicieux d’appliquer le même principe à l’Agence nationale TAP et à la SNIPE, la société éditrice des journaux la Presse et Assahafa et d’aller plus loin en fixant un mandat à délai déterminé de 3 ou 4 ans pour les nouveaux dirigeants des médias publics, de quoi les mettre à l’abri des humeurs changeants des hommes politiques.
Il est certain, et les Tunisiens partagent cet avis, que le gouvernement Mehdi Jomaa ne pourra pas affronter tous les problèmes et l’ensemble des difficultés que connaît le pays et qui sont devenus plus complexes avec le temps comme le déséquilibre du développement entre les régions ou la détérioration du pouvoir d’achat des Tunisiens, mais il doit donner des assurances que le pays va dans la bonne direction.
En accordant leur préjugé favorable à son gouvernement, les Tunisiens n’ont pas donné à Mehdi Jomaa un «chèque en blanc». Il doit tous les jours mériter leur confiance en leur fournissant des «raisons d’espérer». A cet égard, une «communication gouvernementale» efficiente c'est-à-dire qui ne parle ni trop ni trop peu, mais qui évite la «langue de bois» doit être mise en place à charge pour le Chef de gouvernement de la mener avec droiture et dextérité.
R.B.R.