Rénovation de la gauche: encore un effort, camarades!
Entre Nidaa Tounès et le Front Populaire, c'est désormais l'entente cordiale: «Ceux qui veulent enfoncer un coin entre les deux partis en seront pour leurs frais. "Nous nous entendons bien et tenons toujours à travailler en commun», a averti Hamma Hammami, porte-parole du Front. En écho, Mongi Rahoui, l'un des dirigeants d'El Watad, commentant les résultats d'un récent sondage, donnant Nidaa, largement vainqueur aux élections législatives devant son meillleur ennemi, Ennahdha, a affirmé que ce sondage ne le surprenait pas, ayant personnellement constaté «la très forte implantation de ce parti dans les régions».
Ces propos des deux dirigeants les plus en vue du FP auraient été impensables il y a un an. Dans le conflit qui oppose Béji Caïd Essebsi et l’ancien compagnon de lutte pendant les années de braise, Ahmed Nejib Chebbi, ils ont pris parti, sans hésitation, pour le premier. Plus, «El Joumhoury est rétrogradé en deuxième division» comme l'a constaté non sans amertume, Chebbi. Il n'aura plus le droit de siéger au sein de l'instance politique du Front du Salut. Mieux que les exégèses les plus pénétrantes, ces réactions sont révélatrices de l’évolution de l’extrême gauche tunisienne (*).
Ce rapprochement porte de toute évidence l’empreinte de Chokri Belaïd. Il en avait été l’inspirateur. Alors que Nidaa venait à peine d’être créée, l’ancien secrétaire général du Watad avait pressenti très vite le rôle qu’allait jouer la formation de Béji Caïd Essebsi dans le rééquilibrage du paysage politique et le profit que le FP et le camp démocratique pouvaient en tirer. Lors des manifestations organisées par le Front populaire au cours de 2012, on l’avait entendu tancer à plusieurs reprises les militants lorsqu’ils s’en prenaient à Nidaa, considérée alors comme une émanation de l’ex-RCD, de même qu’il avait condamné vivement le lynchage de Lotfi Nagdh, et le harcèlement dont faisait l’objet Nidaa lors de ses réunions dans les régions. Le mérite de Hamma Hammami a été d’avoir persévéré dans la même voie. Si bien qu’au lendemain de l’assassinat de Mohamed Brahmi, le FP et Nidaa se sont retrouvés tout naturellement, sans que personne n’y ait trouvé à redire, côte à côte au sein du Front du salut.
Ces liens se sont raffermis à travers les actions communes qui ont marqué l’été 2013 dans le cadre de la campagne Irhel. Béji Caïd Essebsi et Hamma Hammami, que tout séparait, se sont découvert des affinités et ce n’est pas un hasard si le dirigeant du Font populaire a été le premier à être informé par BCE de sa rencontre avec Ghannouchi à Paris. A vrai dire, les deux hommes se complètent: la générosité qui s’appuie sur l’expérience. Le torrent tumultueux dompté et canalisé. Cette alliance est un partenariat gagnant-gagnant.: Nidaa est sortie de son isolement, mais en contrepartie, le Front populaire y a gagné en respectabilité et en crédibilité. En définitive, c’est le camp démocratique qui en a été le plus grand bénéficiaire. Jamais, cet été-là, l’opposition n’avait mobilisé autant de monde sur une période aussi longue (plus de deux mois). Les «zéros pointés» étaient devenus une force à déplacer les montagnes. C’était à la fois un pied de nez à l’arrogance d’Ennahdha et un signal très fort à l’adresse de millions de Tunisiens qui, depuis longtemps, appelaient de leurs voeux cette alliance entre toutes les forces démocratiques.
L’extrême gauche sort ainsi du carcan dans lequel elle s’était complu pendant des années. Un choix qui ne doit rien au hasard, ni ne relève de la tactique. Bien au contraire, il est mûrement réfléchi et constitue le résultat d'un long cheminement politique et intellectuel.
Pour autant, l’extrême gauche n'est pas encore sortie de l’adolescence politique. Certes, on serait malvenu de faire la fine bouche face à ses efforts de se mettre dans l'air du temps, notamment en reléguant au magasin des vieilles lunes, la thèse de la lutte des c lasses. Sur le plan économique, on sent même une certaine volonté d’écouter le monde des affaires. A preuve, pour la deuxième année consécutive, Hamma Hammami a pris part aux Journées de l’entreprise où il a longuement discuté avec les hommes d’affaires. Mais elle doit aller jusqu'au bout de sa logique, avoir le courage de renoncer à ses maladies infantiles et procéder à un dépoussiérage de la vulgate marxiste à laquelle elle était restée jusque-là, globalement attachée. Beaucoup de Tunisiens ne se reconnaissent pas dans ses thèses maximalistes et dans sa vision manichéenne du monde. Son recours à la rue à tout propos et même souvent hors de propos leur répugne car ils ont tout autant besoin de justice que d’ordre. On continue à diaboliser l'économie de marché, alors que la "la patrie du socialisme" s'y adonne avec le zèle du nouveau converti. Son discours, parfois trop agressif, est frappé d'obsolescence par les mutations que le monde a connues depuis la chute du Mur de Berlin. Persister dans cette voie, c'est mettre les Tunisiens devant un choix impossible : l'intégrisme islamiste ou l'anachronisme du socialisme révolutionnaire, autant dire, la peste ou le choléra. C'est enfin, se condamner à rester, éternellement,, un parti de mécontents.
Encore un effort, camarades !
H.B.