Réforme de l'enseignement supérieur Tunisien, difficultés et opportunités
Dans tous les pays du monde l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique représente un engagement prioritaire et à fort rendement socio-économique pour l’avenir du pays. Il permet de former les cadres, d’assurer le développement et le transfert de savoir dans l’intérêt et pour les besoins de la société. C’est certainement un facteur de prospérité et de création de richesse (PIB), d’amélioration des services publics et privés, de réduction du chômage mais aussi de stabilité au niveau national et international s’il est bien engagé dans ses différentes missions.
L’obligation de contribuer au développement du pays à travers ses différentes composantes de formation, de recherche et de conseil doivent donc être bien intégrée dans les esprits et les engagements des différents secteurs d’activité du pays.
Au cours des premières décennies de l’indépendance, partie de peu avec l’engagement des premières générations,l’université tunisiennea permis de former des ingénieurs, des médecins, des enseignants, des gestionnaires, des juges et des avocats … la Tunisie s’est construite une réputation de pays émergent dans les divers secteurs comme l’agriculture, les services publics relevant des secteurs de l’énergie, des mines, de la chimie, la distribution, le transport, l’enseignement, la santé, l’administration, la justice, le sport, les arts .…
Nous pouvons dans un premier temps estimer que dans ce cadre, la planification a bien abouti etmême considérer qu’il y avait un manque de cadres freinantle développement de certains domaines oude certaines régions défavorisées qui continuent même à nos jours de se plaindre de ce manque.
Aujourd’hui, et après une augmentation importante des nombres d’étudiants, d’établissements, d’enseignants, de spécialités, de laboratoires de recherche,un inventaire et une nouvelle lecture de nos objectifs futurs s’imposent nécessairement.
C’est une question nationale de première importance, sur laquelle les partis politiques parlentpeu, par négligenceprobablement du fait que la dynamique de l’actualité politique ne s’y intéresse pas. Aujourd’hui, la pyramide doit revenir à l’endroit et la chose politique revienne aussi bien au contribuable qu’aux acteurs et non plus aux leaders et aux ministères uniquement. Il est temps et nous sommes tous en droit de se questionner sur ce secteur qui reste opaque et parfois même aux concernés:
- Les besoins nationauxactuels et d’avenir sont-ils suffisamment bien identifiés? a-t-on une idée sur les tendances sociétales, économiques, sanitaires, environnementales, industrielles …a-t-on identifié nos besoins en centres de recherche pour anticiper et former les nouveaux cadres assurant à notre pays la matière et le personnel nécessairesà la réalisation des projets deson développement.
- Le secteur socio-économique se plaint parfois de la qualité de certains diplômés mais s’est-il inquiété avant de définir ses besoins et de s’impliquer dans la formation afin de la rendre plus efficace.Ce constat n’est-il pas aussi dû en partie au manque de l’accompagnement et de la visibilité des réformes, de la formation des formateurs, de la mise à disposition des moyens et des outils indispensables à la formation, de sa méthodologie et de son évaluation …
- La communauté universitaireattend encore la réforme de la gouvernance par objectifs des universités et des établissements. Elle devrait promouvoir l’excellence, l’efficacité et la responsabilité des acteursdans le contrôle de la qualité et l’évaluation des indicateurs des objectifs engagés. La centralisation des pouvoirs, la limitation des prérogatives et le manque de confiance dans les conseils et responsables élus ne freinent-ils pas cette réforme?
- Le nouveau projet de constitution et les nouvelles priorités post-révolution n’impliqueraient-ils pas le changement du modèle et des besoins de formation vers de nouvelles orientations:
a. les TiC au service de la bonne gouvernance et de la transparence,
b. les nouvelles orientations réglementaires et structurelles des secteurs économiques,
c. laréforme de notre système de sécurité en fonction des nouvelles donnes régionales et internationales,
d. le transportet la logistique, nerfs essentiels permettant de désenclaver les régions défavorisées, et de réduire les couts de production et de déplacement
e. la décentralisation, nouvel outils «constitutionnel» de partage du pouvoir et de responsabilisation des citoyens, des communes et des régions…
f. l’aménagement du territoirecomme une des sources de développement et de proximité des services publics de haut niveau
g. les nouvelles sources d’énergie, son économie, les besoins nationaux et le financement du développement,
h. l’adéquation entre la production agricole, la gestiondes ressources hydriques et les nouvelles réformes de ces secteurs …
Mais bien d’autres priorités sont certainement à définir par un grand débat national!
Comment faire? Que peut-on faire ?Quelles sont les incitations pour mieux développer les compétences, améliorer le rendement, respecter les programmes définis, produire les supports de formation, innover dans les méthodes pédagogiques, combler les lacunes initiales des étudiants, … mais aussi développer efficacement les activités de recherche et s’ouvrir sur l’environnement?
Ne faudrait-il pas préparer les bases scientifiques et les études prospectives pour unenouvelle politique de la recherche basée sur les objectifs thématiques et non sur les disciplines? Ne faudrait-il pas impliquer directement l’université, par soucis de transparence et de bonne gouvernance auxplus importants choix politiques ou des projets des grandes entreprises publiques,comme par exemple :les techniques d’extraction de gaz de schiste, la dessalination, les centrales d’énergies fossiles et renouvelables, la gestion des ressources hydriques, le traitement des déchets et des polluants, les nouveaux défis de la carte sanitaire, les nouveaux métiers, l’économie numérique, la réforme du secteur financier, l’étude des nouveaux marchés internationaux, le protocole d’association avecl’UE…?
Quelle réforme des programmes est-elle nécessaire pour offrir à la société de demain la matière grise qualifiée et s’adapteraux changements attendus? Comment renforcer l’auto apprentissage et l’apprentissage au long de la vie, outils nécessaires pour plus démocratiser l’acquisition du savoir,améliorer l’employabilité et la mise à niveau de la population active en général?
Qui gouverne l’enseignement supérieur, le ministère ou les structures élues? que fait le secteurpour se réformer et se mettre à un meilleur niveau international? Ne manquerait-il pas un organisme supérieur de contrôle et de pilotage pour instaurer la politique des orientations nationales de ce secteur ? Ne serait-il pas opportun de créer une Académie des Sciences et des Arts afin de se doter d’un organisme qui se chargera de prospecter, de questionner, de récompenser, d’honorer, d’expertiser et de conseiller.
Enfin, Il faudrait faire une large consultation nationale, un inventaire honnêtebasé sur des indicateurs clairs, proposer les thèmes et les axes de discussion, inviter des comités d’expert àpréparer des feuilles de travail avec l’objectif clair :remettre notre systèmede formation et de recherche aux normes internationales par la certification, la traçabilité et l’évaluation permanente.
Tout ce questionnement nous mène sérieusement à la demande urgente de la tenue de nouvelles «assises de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique» après 6 ans de cellesde 2008 maissereinement et loin des tiraillements politiques et de l’exclusion. Nous devons sortir avec des réponses,des propositions et des solutions à cette inéquation entre la formation et la recherche scientifique d’un côté et le chômage et l’intégration économique du savoir d’un autre côté.
Toutes les générations doivent exiger ce débat,des compétences nationales mais aussi des jeunes aux retraités qui ont participé à la construction de ce patrimoine… ce débat devrait élever le niveau de nos inquiétudes à un plus long terme et en même temps sur des questions urgentes afin de nous faire sortir de notre léthargie et stupéfaction postrévolutionnaire. L’immobilisme, et dans les meilleurs des cas, va nous porter sur une pente plus raide de baisse des niveaux et de perte de nos meilleurs étudiants ainsi que la qualité de nos enseignants. L’université nationale se réduira au service public minimal avec une employabilité de plus en plus mauvaise et probablement elle va laisser la place aux universités privées et étrangères ouvertes aux classes sociales aisées et perdre ainsi définitivement les acquis de l’ascenseur social.
Pour se faire il faudrait innover au niveau des approches et des stratégies. La révolution nous a donné l’opportunité de passer d’une approche Top-down où «les projets présidentiels» et «les décisions» viennent d’en haut et par lesquelles les principales réformes ont été quasi-imposées, à une nouvelle stratégie bottom–up, plus pérenne et plus participative,où les principaux choix se feront par les différents acteurs et seront débattus de manière appropriée par la communauté et par la société. Il est urgent de migrer vers ce mode de gouvernance et le disséminer aux différents secteurs vitaux de la société.
Le Comité National de la Réforme de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (CNR), constitué d’élus des universités, de syndicalistes et de responsables ministériels, a déjà largement ratissé le terrain de l’université depuis sa mise en place il y a 18 mois et ce malgré les deux suspensions relatives aux évènementsd’assassinats politiques.
Il est maintenant temps de passer à une étape plus accélérée, plus méthodique et plus efficace. Le CNR et la famille des universitaires se doivent d’accomplir leur mission de «propositions collectives» des réformes et à définirune nouvelle feuille de route ambitieuse et démarrer la relance de leur secteur vers un meilleur progrès solidaire, adapté aux véritables enjeux du pays avec optimisme et engagement.
Winston Churchill disait qu’un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité alors qu’un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté". Soyons alors optimiste pour l’avenir de notre jeunesse.
Pr Kamel Besbes,
Universitaire, Membre du CNR