La démocratie ne se résume pas à une constitution
Alors que la démocratie comme régime politique gagne de plus en plus de pays, s’imposant comme le modèle dominant, la démocratie comme société régresse considérablement et notamment auprès des pays qui en furent les pionniers.
Ce sont les révolutions qui agrandissent l’autonomie des femmes et non les crises économiques qui, elles, profitent aux hommes.
Les femmes marchandes, les veuves de tous âges, et Mère Courage, propulsée par Berthold Brecht, est issue de ce monde des femmes qui vivent de la révolution et de la circulation des hommes.
La pauvreté pouvait frapper une immense majorité de la population. Pour l’éviter, de nombreuses stratèges étaient mise en place. La première d’entre elles reposait sur les relations sociales (voir convivialité plus bas)
Cette mise en place de droit et des rôles sociaux montre qu’hommes et femmes sont loin d’être égaux dans la lutte pour minimiser les risques et freiner la dégradation de leurs conditions économiques dans les périodes de révolte, voir de crise.
Les femmes; même Européennes, étant alors, les plus vulnérables et les plus touchées.
Essayer de comprendre comment individus et familles essayent de résister aux crises montre qu’ils développent des stratégies dans diverses directions:
- la construction et l’entretien de filets de sécurité, la diversification des sources de revenus et l’épargne outre l’utilisation des institutions de charité comme l’aumône(Zakat).
- la récession actuelle a replacé sur le devant de la scène les fermetures de sites industriels, que certains cas ont été fortement médiatisés au nom du droit à l’information, pour diaboliser la troïka au gouvernement, sans pour autant montrer aucune histoire de la réussite de quelques tunisiens dans la débrouille et la créativité , ce qui a contribué avec les émissions de poursuite des voyous et des contrebandiers, à la peur et au désespoir des citoyens, des cas de jeunes qui s’immolent en est la triste preuve.
- les restructurations du système productif détruisent surtout des emplois masculins et créent principalement des emplois féminins.
- malgré les inégalités qui traversent la jeunesse, elle semble inventer de nouveaux modes de vie avec des valeurs qui lui sont propres.
La crise suscite toute une gamme de réactions psychologiques:
- La peur, l’angoisse, mais aussi le doute et le ressentiment.
- Mais elle est aussi l’occasion de réexaminer ses valeurs (refuge dans la religion), et sa vision du monde.
La crise inquiète et affecte le moral, assombrit l’horizon et conduit certains au désespoir : ceux qui s’immolent, qui font grève de la faim. Ceux-ci ne sont heureusement qu’un phénomène extrême qui ne touche qu’une part infime de ceux qui sont frappés par la crise.
Moins spectaculaire que les suicides, la baisse générale du moral de la population représente un autre indice. En chute libre depuis la révolution, le moral des ménages, sert aussi d’indicateur économique.
Du désespoir
Suicides ou chute du moral, les indicateurs du «moral» ne nous aide guère à apprécier toute la gamme des réactions négatives : peur, angoisse, colère, ressentiment….mais aussi positives: adaptation, transformation personnelle (malheureusement les exemples des réactions positives sont absentes dans nos médias).
1- La peur du risque de chômage, pauvreté, surendettement, la rue etc.
Cette perspective terrifiante hante l’esprit de beaucoup de tunisiens, qui craignaient pour eux-mêmes ou un de leurs proches.
La peur conduit à se focaliser sur les situations extrêmes : insultes des représentants du peuple à la constituante, du chef de gouvernement et du président qu’on accusait de tous les maux à tel point que son burnous est devenu un habit étranger comme on l’accuse de monopoliser le pois chiche dans son palais, la focalisation des médias sur ces futilités cristallise les phobies et fait oublier l’essentiel: le futur
L’angoisse qui a assombrit l’horizon des tunisiens, les tourmente en silence, et leur provoque des troubles de sommeil. Ce n’est pas la crise économique qui frustre les tunisiens mais l’incertitude du futur et le tableau noir que décrit tous les experts économiques sur les plateaux de TV.
2- Le ressentiment alimenté par la frustration, Friedrich Nietzsche fut le premier à en souligner l’importance dans la psychologie en temps de crise, le ressentiment alimente haines et rancœurs et nourrit le sentiment de vengeance et la recherche de bouc émissaire:les barbus et les mounaqubets font partie du lot sur qui on crache notre xénophobie.
Le ressentiment de la classe populaire se porte sur ceux d’en haut, mais aussi sur ceux d’en bas, suspectés de bénéficier de privilèges auxquels eux n’ont pas droit comme les familles des martyrs et les blessés de la révolution ainsi que les militants surtout islamistes.
3- La colère: potentielle ferment de révolte (l’exemple de Mohamed Bouazizi est édifiant)
4- La perte d’estime de soi: pour le chômeur, perdre son travail n’est pas seulement un stress économique mais conduit aussi à un effondrement de l’estime de soi.
Les retraités sont des volontaires pour récupérer leur statut, une masse énorme de travail gratuit est exclue chaque jour et renvoyée dans les cafés.
Tous ces sentiments minent certes le moral
- La résilience: certains subissent et sombrent dans la déprime alors que d’autres font face et décident de se battre (aidons les dans leurs combats, médiatisons leurs réussites).
C’est une question de racines culturelles: fatalistes chez nous, suite à une mauvaise compréhension de notre religion, faisons confiance aux imams pour démontrer comment agir positivement au lieu de se résigner. Alors que les américains, peuple de pionniers, sont moins enclins aux atermoiements et réagissent plus par l’action que par le ressentiment.
La crise disloque certains milieux mais favorise de nouveaux liens de solidarité, tels que ceux observés lors des grandes catastrophes naturelles (neige à Ain Draham), Mais malheureusement le journal de 20h de la Nationale, Au lieu de médiatiser les secours des tunisiens apportés aux démunis dans les montagnes, en défiant la neige, parlait du braquage des camions transportant des matelas.
Il faut montrer dans les émissions TV et dans les films, les témoignages de ceux qui réussissent à construire une nouvelle vie, fondée sur des valeurs entièrement différentes. Malheureusement nos films ne traitent que des sujets des minorités comme l’a confirmé Nouri Bouzid.
En somme, la crise provoque des sanglots, des larmes, de la tristesse et du désespoir. Mais pour certains elle peut être aussi l’occasion de réévaluer leurs priorités et de réenchanter leur vie : nos médias doivent les mettre en évidence au lieu de marteler Les mots «crise et économie», par des experts qui veulent cristalliser toutes nos inquiétudes et nous injecter leur pessimisme en présentant un horizon noir et présagent que la Tunisie va rentrer dans un mur durant les deux dernières années de la gouvernance de la Troïka.
Au lieu de ce sentiment de désastre économique social et d’indignation généralisée, le convivialisme appréhende la crise comme l’occasion de recycler divers modèles et concepts alternatifs.
En effet, l’adhésion à la démocratie a toujours reposé sur la perspective d’un enrichissement matériel, c'est-à-dire sur une croissance continue du PIB.
Quelles règles de vie en société adopter pour permettre aux hommes et femmes de vivre ensemble en s’opposant sans se massacrer.
Le seul moyen de les préserver revient logiquement à les dissocier de l’économie et notamment de la croissance économique.
Cessons de prendre en compte que l’augmentation de la production et de la vente des biens et services en excluant le bien-être des populations hommes et femmes.
Aux Etats Unis en 1970, le sentiment d’être heureux reste stable voire diminue malgré l’accroissement du PIB. D’où l’appel à l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse alternatifs excluant la richesse monétaire comme seul critère de mesure et de développement d’une société.
Que ces experts économiques laissent la place aux psy et sociologues expérimentés, sur les plateaux de TV et aux pauvres modestes mais heureux et satisfaits de leur sort plutôt que des riches qui ne cherchent qu’à devenir plus riches pour le seul plaisir de consommer plus.
La démocratie ne se résume pas à une constitution, elle est avant tout un mode de vie, une organisation de la société, héritée de la révolution. Mais c’est au principe d’égalité, notion qui, au même titre que la liberté, fut le ferment mobilisateur de la révolution. Convaincue que la reconstruction du lien social ne peut que passer par la revalorisation du principe d’égalité et surtout de l’altruisme à travers le wakf et surtout la ZEKET, qui atténue la jalousie des pauvres envers les riches et adoucit les formes d’inégalités sociales croissantes.
C’est tout le sens donné au wakf «esprit du don» caractéristique du commerce social, qui confère une autonomie à la société conviviale ou nul ne serait exclu.
C’est une véritable opportunité de construire ‘une humanité de qualité supérieure’ la révolution devait nous permettre, au sens fort du terme ‘ d’apprendre à aimer’ et non de devenir xénophobe, dans une dialectique de la reconnaissance qui donne un sens à la vie.
Réduire la révolution à son simple aspect économique, à une constitution ou à une course entre femmes et hommes serait passer à coté de sa signification profonde qui est la réconciliation des tunisiens avec leur histoire et avec leur religion: musulmane, juive et chrétienne. Car à travers la religion nous touchons à la question la plus vitale; celle de l’amour, de l’altruisme que nous devons placer au cœur de notre réflexion et de notre stratégie.
La révolution peut mener au pire comme au meilleur mais la pire des attitudes face à elle serait encore de ne rien tenter, que chacun commence par changer la mentalité de ses proches.
Sihem Daher