Tourisme Tunisien: conduire le changement
Aucun observateur du contexte touristique tunisien ne peut nier, aujourd’hui, la volonté, démontrée à plusieurs reprises, des institutionnels à la conduite du changement. Cette volonté devra être consolidée par des actions et des décisions concrètes afin de surmonter progressivement les impacts de la crise dont souffrait le tourisme tunisien depuis quelques années.
Par quoi faut-il commencer?
Si nous sommes en train de commercialiser une destination touristique, cela revient à assurer, en premier lieu, les normes d’hygiène et de propreté requises. Un touriste, quelle que soit son origine est sensible à ces facteurs qui constituent, entre autre, la première source d’attractivité de la destination. Faire mobiliser les communes mais aussi les organismes s’intéressant à la protection de l’environnement (ANPE, APAL, ANGED) et mettre en place un programme ambitieux pour pallier l’intégralité de ces lacunes est désormais indispensable.
D’autre part, transmettre aux opérateurs étrangers et aux touristes un message rassurant concernant la stabilité politique et sociale dans notre pays est aussi un préalable. Les touristes ne fréquentent pas une destination sanctionnée par des restrictions aux voyages. A ce niveau, la diplomatie Tunisienne est invitée à se mobiliser dans les plus brefs délais afin d’enlever les diverses restrictions affichées pour notre destination (spécialement celles des pays européens émetteurs: France, Suisse, Allemagne…).
Une Stratégie pour le secteur est une priorité
La mise en œuvre d’une stratégie pour le tourisme tunisien constitue une priorité pour restructurer le secteur et conduire le changement. Cette mise en œuvre, ayant commencé depuis l’an dernier, elle se heurte à plusieurs difficultés retardant considérablement l’avancement de ses travaux. Il est essentiel de noter que les recommandations avancées par Roland Berger dans son étude (2009-2010) s’avèrent très pertinentes et parfaitement applicables dans notre contexte actuel.
Il faut le reconnaitre: le tourisme Tunisien fonctionne depuis plus de 60 ans sans stratégie claire. Ceci a été fatal aux perspectives de développement du secteur et à sa prospérité. C’est ainsi qu’on n’a pas réussi à s’aligner au taux de croissance prévu par l’OMT qui est de 4% annuellement pour les pays du Nord de l’Afrique. L’absence de telle stratégie nous a hérité un cycle accéléré de politiques de bradage tarifaire ayant laissé des séquelles graves et durables sur l’image de marque de la destination et son positionnement sur les marchés internationaux. De plus, ceci a contribué largement à renforcer la domination des Tours opérateurs face aux hôteliers Tunisiens et par conséquent, il nous a privé d’importantes marges bénéficiaires en devises ainsi que des économies d’échelles pour un secteur fortement exposé à la saisonnalité.
Arrêter cette hémorragie ne peut se faire en dehors d’une stratégie globale définie en concertation avec toutes les parties impliquées à l’activité touristique que ce soit directement ou indirectement (Ministère du tourisme, ONTT, FTH, FTAV, Compagnies aériennes, compagnie maritime, Ministère de la culture, Ministère de l’enseignement supérieur, APAL…).
La restructuration de l’administration: une composante centrale dans la conduite du changement
La mise en place de nouveaux produits touristiques ou l’adoption de nouveaux modes et outils de communication ou de distribution ne peut se faire sous le patronage d’une administration archaïque et divisée quant aux objectifs et missions. La relation « tendue », souvent larvée, entre l’ONTT et le Ministère a constitué une vraie contrainte pour une meilleure gouvernance du secteur. Conduire le changement commence par réunir tous les institutionnels autour des objectifs communs et définir d’une manière transparente et équitables les missions de chaque administration. La création des synergies et l’amélioration du rendement sont des vecteurs essentiels pour un pilotage intelligent et efficace du secteur.
Nouveaux produits pour un tourisme Plus responsable
Mettre sur le marché des nouveaux produits touristiques peut booster l’activité touristique et permettra aussi d’atteindre plusieurs autres objectifs:
- Amélioration du positionnement de la destination
- Diversification de l’offre touristique et diminution de la saisonnalité
- Réduction des inégalités régionales et de la pauvreté
- Augmentation de la durée de séjour par personne
- Amélioration des effets d’entrainement sur d’autres branches comme l’artisanat, etc.
Il est essentiel de souligner que la diversification n’est pas un concept nouveau pour la Tunisie. Ça fait plus que 15 ans que l’on parlait de nouveaux produits (tourisme saharien, tourisme sportif, écotourisme…), cependant, créer un produit nouveau d’une manière assez indépendante du balnéaire a constitué un obstacle majeur à la commercialisation. A titre indicatif, l’offre en matière d’écotourisme est fortement liée à l’infrastructure d’hébergement classique ce qui a laissé ce produit condamné au seul réseau de distribution (circuits intégrés dans les forfaits et non pas des forfaits indépendants). Ceci peut être rendu au concept même du produit. En effet, les circuits existants ne répondent pas aux exigences des TO spécialisés en matière de sécurité des aménagements, du côté labellisation et assurance qualité voire même du côté attractivité et facilités d’accès.
Malheureusement, avec une telle politique de diversification on ne peut pas aller plus loin. La majorité des experts prévoient que le tourisme de demain sera un tourisme durable et responsable. Par conséquent, la diversification doit se faire dans le cadre de cette logique. Une diversification respectueuse de l’environnement, de l’éthique mais aussi impliquant davantage les populations locales.
E-tourisme: Pour un tourisme plus moderne
Les Tunisiens sont hyper connectés. Nous avons des atouts indéniables pour profiter des nouveaux circuits de distribution en ligne offrant une couverture géographique plus étendue, un ciblage plus affiné et une fidélisation plus personnalisée. On parle bien du taux de pénétration d’Internet dans les foyers, le développement du Mobile et des tablettes. Le recours à ces nouvelles TIC ne peut être que favorable pour le tourisme Tunisien.
Plusieurs objectifs à l’affiche allégement de la dominance des TO classiques, diminution des commissions et raccourcissements des circuits d’intermédiaires, maximisation des bénéficies des CRM à des coûts dérisoires voire gratuits dans certains cas, amélioration des ventes directes avec une meilleure configuration des produits, etc.
Profiter du potentiel offert par les médias sociaux, les moteurs de recherche ou encore des plateformes de réservation me paraît une évidence. Aujourd’hui, Facebook par exemple offre la possibilité de paiement en ligne, ce qui est intéressant dans la mesure où ça permet de cibler d’avantage le marché local, (marché fan de ce média social notamment). D’autre part, plusieurs applications «mobile» peuvent s’avérer très rentables surtout celles qui offrent des guides téléchargeables de villes, d’attractions ou encore des prestataires de services à proximité. L’usage de la technologie de la réalité augmentée dans la convivialité des sites historiques via mobile ou tablette est aussi une piste considérable pour promouvoir le tourisme culturel.
Une Veille stratégique pour accompagner le changement
Une fois ce changement mis en marche, il faut assurer un bon suivi des évolutions du marché touristique, de l’environnement national et international, l’avènement de nouvelles technologies et surtout l’anticipation des crises.
Le sort que nous subissons aujourd’hui n’est autre que le résultat d’une absence de politique de gestion des crises et de veille stratégique. La création d’une direction de veille est une pratique utilisée dans la majorité des destinations, dont le tourisme représente un secteur important de l’économie (Canada, France, Espagne…). Cette direction pourra se charger en partie du suivi des évolutions du marché international des voyages, du comportement de nos concurrents et de l’anticipation des crises avec une conception de scénarios préétablis. D’autre part, cette direction pourra prendre en charge la mise en place des nouvelles technologies et la modernisation du secteur (m-tourisme, e-tourisme et i-tourisme).
Visiblement, les défis pour bâtir un secteur touristique répondant aux exigences des professionnels, des institutionnels et même des touristes sont énormes. Ceci est largement tributaire de la volonté des politiciens et hauts responsables mais aussi de l’adhésion des professionnels à cette vision, chacun à son niveau, selon ses propres capacités.
Moez Kacem
Expert International en Tourisme