Carnet de voyage: Rabat, la ville-jardin
Rabat, la capitale administrative du Maroc, est une ville peu connue. Les visiteurs du pays du «Couchant» arabe qui fait pendant au «Levant», le Machreq, connaissent Casablanca, la «maison blanche», la capitale économique et la plus grande agglomération du Maroc, mais peu se rendent à Rabat, distante seulement d’une centaine de kilomètres. La ville mérite pourtant d’être connue.
Située sur l’Atlantique, à l’ouest de l’oued Bouregreg, à l’est duquel se trouve Salé, sa ville jumelle, la capitale du Royaume alaouite est caractérisée par la multiplicité des zones de verdure qui font le plaisir des promeneurs. On l’appelle pour cette raison la Ville-jardin. Son monument phare est la Kasbah d’El Oudaya, une forteresse située sur l’Atlantique, encore imposante de nos jours avec ses ruelles étroites et son urbanisme arabo-andalou. C’est probablement cette forteresse «Ribat» en arabe qui serait à l’origine de la dénomination de la cité. Fondée en 1155 de l’ère chrétienne par les Almohades qui furent les unificateurs du Maghreb, ils en firent leur capitale pendant plus d’un siècle. Après une période de déclin, elle connut son essor à l’arrivée des Arabes d’Espagne, les fameux Morisques, expulsés en masse au début du 17ème siècle.
Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux débarquèrent à Rabat et l’enrichirent de leur savoir et de leur savoir-faire. Je ne sais si cela date de cette époque ou si c’est plus récent, devant l’Oudaya se trouve, en effet, la rue des Consuls où se situent les échoppes des artisans offrant une large gamme de produits de qualité: tapis, maroquinerie, articles en argent, poterie. Cette rue fait partie intégrante de la médina de Rabat, dite aussi «Souika», avec ses ruelles en labyrinthe et ses échoppes colorées où on trouve de tout à des prix défiant toute concurrence. Ici le marchandage est roi. Ce n’est pas une simple pratique, c’est un véritable art. Comme dans toutes les médinas arabes, des souks offrant les mêmes produits se suivent, permettant ainsi de faire son choix tout en comparant les prix. Les marchands de chaussures, depuis les babouches multicolores jusqu’aux chaussures de cuir de qualité certaine, fabriquées pour l’étranger, sont légion.
Le thé, une institution
Des souks sont dédiés aux ustensiles de cuisine, offrant théières en alliage ou mieux en argent avec des verres à thé bariolés et plateaux pour le même usage. C’est que le thé au Maroc est une véritable institution et un art consommé. Chaque maison dispose de l’ensemble des ustensiles pour la cuisson du breuvage national. Le thé vert et la menthe fraîche indispensables sont vendus partout. Le thé est préparé à toute heure de la journée.
C’est la boisson consommée le matin avec le petit déjeuner. Elle suit tous les repas. On le boit aussi avant de dormir pour jouir du sommeil du juste. Sa préparation est un véritable rituel. Une fois les ustensiles prêts et apportés dans le plateau idoine, on lave une grande quantité de menthe fraîche achetée à la botte, puis on chauffe l’eau dans laquelle on place d’abord le sucre, beaucoup de sucre. Pour ce faire, on casse le gros morceau de sucre vendu sous forme de cône. Le thé est ensuite versé en petite quantité dans cette eau sucrée portée à ébullition pour quelques secondes. Le tout est ensuite versé dans la théière où on aura déjà placé la menthe fraîche bien lavée. Avant de servir, il faudra faire ce geste ample qui consiste à verser le thé dans la tasse plusieurs fois en prenant bien soin à ce que l’écume apparaisse. Le thé marocain est très léger. C’est plutôt une infusion de menthe sucrée avec goût du thé. Les pauvres se contentent d’une tasse de thé et d’un bout de pain. Pour les riches, le thé est pris avec les pâtisseries marocaines, les célèbres cornes de gazelle ou autre chabakia.
«Hassen», le cœur de la ville
Le cœur historique de Rabat est bien évidemment la médina, la Kasbah d’El Oudaya ainsi que le quartier «Hassen». Ce quartier, le plus ancien, renferme les vestiges du passé mais aussi les bâtiments administratifs et officiels, parmi lesquels trône le Parlement, lieu vivant où se rassemblent à longueur de journée tous les protestataires individuels ou en groupes. Les sièges des ministères, des banques, des partis politiques mais aussi les ambassades se trouvent dans ce quartier animé de jour comme de nuit. Un marché aux fleurs est situé au bon milieu de ce lieu de vie. C’est que les Marocains aiment se faire offrir des bouquets de roses, d’œillets… Le marché central à la lisière de «Hassen» et de Souika est un plaisir des sens, des yeux et de l’odorat. On y trouve légumes frais, fruits, produits laitiers, fromages, viande et poisson. Les Marocains préfèrent la viande ovine. Mais le poisson est de plus en plus consommé car il est généralement bon marché. La côte atlantique est connue pour être poissonneuse. Cependant, le poisson de la Méditerranée a meilleur goût et est plus cher. Si vous voulez faire une cure de soles énormes de taille et de crevettes royales, il n’y a pas mieux que le Maroc. Les sardines pêchées dans le port proche de Mahdiyya (eh oui l’homonyme de la capitale des Fatimides) sont un véritable régal. Les plaisirs du ventre cohabitent ici avec le plaisir de l’esprit. En effet, on y trouve le plus grand théâtre de la ville et le plus fameux du Maroc, le Théâtre Mohamed-V, où sont tenus représentations théâtrales, concerts et autres spectacles. Chaque année y est organisé aussi le Bazar diplomatique. Les épouses des ambassadeurs et des diplomates y exposent plats traditionnels, produits d’artisanat et habits traditionnels destinés à la vente. Le produit de celle-ci est offert à des œuvres caritatives locales. Une des sœurs du Roi préside généralement cette manifestation
Le «Méchouar», la cité royale
Au bout de ce quartier et avant d’arriver au Bab Rouah (Porte de la Sortie), se trouve le Méchouar qui renferme le palais royal, la mosquée où le souverain assiste à la prière du vendredi et la grand-place où sont organisées les cérémonies royales. C’est là qu’ont été dressées les tentes pour le mariage du Roi Mohamed VI avec Lella Selma en 2002. C’était le premier mariage royal célébré en public et la première fois que l’épouse du Roi (ici elle n’a pas droit au titre de Reine, elle est simple princesse) fut connue. C’est au Méchouar que se déroule tous les ans la cérémonie de l’Allégeance. Juché sur un fier destrier généralement de couleur noire, le souverain, tout de blanc vêtu, reçoit l’allégeance de ses sujets tous à pied. Le Méchouar n’est pas un lieu fermé où la circulation est interdite. On peut y circuler en voiture à condition de respecter les lieux et de le traverser à une vitesse très réduite, presque aux pas. Le «Méchouar» se trouve dans toutes les grandes villes marocaines où le Roi dispose d’un palais d’où il exerce ses fonctions. La cérémonie d’allégeance organisée à l’occasion de la fête du Trône qui correspond à l’anniversaire de l’intronisation du souverain peut avoir lieu dans toutes les villes où le souverain élit résidence. Rabat est la capitale administrative du Maroc mais la capitale royale se trouve là où réside le souverain. Ne dit-on pas que «le Trône des Alaouites se trouve sur la selle de leurs chevaux».
Les Marocains vouent un véritable culte à leur souverain «Sidna», et ce n’est pas feint. Si le père de Mohamed VI, Hassan II, tenait à un cérémonial lourd où la symbolique de son pouvoir absolu était visible et immuable, le souverain actuel se veut modeste, humble et proche du peuple. On risque de le rencontrer au volant de sa voiture, s’arrêtant aux feux rouges comme le commun de ses sujets.
Il a essayé d’alléger le protocole en prohibant le baisemain, mais il en a été dissuadé par ses courtisans. Ses sujets, y compris ses ministres, sont donc libres de respecter ou pas cette pratique. Seuls les militaires dont il est le chef suprême y sont astreints. Descendant du Prophète selon la généalogie officielle, Prince des Croyants (Amir el-Mouminine), le Roi Mohamed VI s’attache à moderniser l’institution monarchique.
Autant les Marocains avaient peur de son père, autant ils ont peur pour lui, car il n’aime pas beaucoup le protocole et ne manque pas d’effectuer des visites impromptues pour observer de visu l’état des lieux dans le but de les changer. Au sein de l’enceinte de ce quartier royal se trouve la «Medersa Maoulaouyia» (mot à mot l’Ecole princière), le Collège Royal. Cet établissement d’enseignement primaire et secondaire a été créé pour dispenser l’enseignement adéquat aux princes et princesses de la famille royale. Outre ces derniers, les meilleurs élèves du Royaume sont recrutés pour servir de copains ou copines aux princes et princesses de sang. Ainsi au cours des premières années de son règne, avons-nous vu les camarades de classe du Roi Mohamed VI, Fouad Ali Himma, Hassen Aourid, Rochdi Chraibi, Mohamed Yassin Mansouri, venus pour certains du Maroc profond, occuper des postes de premier plan. Les enfants de Mohamed VI, Moulay Hassan l’héritier du Trône (11 ans) et Lella Khadija (4 ans) sont élèves au Collège Royal.
Les quartiers des classes aisées
Après une suite de quartiers populaires, on trouve Agdal, Hay Riadh et Souissi. Le premier est un quartier vivant d’immeubles et de commerces de qualité. C’est, paraît-il, le Roi défunt Hassan II qui en a été l’architecte et l’urbaniste. Toutes les maisons individuelles qui s’y trouvaient ont été rasées et à la place ont été construits des immeubles ne dépassant guère quatre étages avec obligatoirement un sous-sol destiné aux voitures. Tous ces immeubles sont dotés d’un gardien pour assurer la sécurité des habitants et pour leur fournir de menus services. Sur le grand boulevard, qui divise ce quartier en deux, se trouvent commerces, cafés et restaurants. C’est surtout le soir que ce quartier s’anime et ce jusqu’à une heure tardive de la nuit. Au bout se trouve le Lycée français baptisé Lycée Descartes, un des meilleurs lycées français au monde. Les quartiers Hay Riadh et Souissi sont constitués de villas de maître, de petits palais et de résidences d’ambassadeurs où logent les familles très aisées et aristocratiques. Ces villas de maître, généralement d’un seul niveau, sont très grandes. Elles sont dotées de magnifiques jardins et souvent de piscines. Construites dans des matériaux nobles, elles disposent d’immenses salons, les célèbres salons marocains. Ces salons servent à accueillir les invités, à y dresser les tables à manger et à y faire dormir si nécessaire les hôtes. Pour ceux qui ne le savent pas, les Marocains mangent avec les doigts, les trois doigts de la main droite, la main gauche ne servant à rien. Pour connaître le nombre de plats offerts, il faut compter le nombre de nappes placées sur la table. Car à la fin de chaque plat, toute la nappe est enlevée. Les repas marocains sont gargantuesques; on doit y trouver un plat de viande ovine, un couscous par exemple, un plat de poulet, comme des olives au poulet. Des «tajines» sont aussi offerts, entendez des plats de sauces. La «Bastillia» est un plat roi sur la table marocaine. C’est un tajine à la tunisienne avec des feuilles superposées comparables aux feuilles de brick farcies avec du salé et du sucré. La caractéristique de la cuisine marocaine est de mêler les deux comme par exemple le tajine au coing, aux poires, aux pruneaux et autres fruits. Les Marocains ne mangent pas épicé, ils ne connaissent ni n’aiment notre harissa. Ils consomment très peu de pâtes, une tradition que nous ont transmise nos voisins italiens.
Les villes impériales
Rabat est relié aux grandes villes du Royaume par un réseau autoroutier dense. Un train à grande vitesse, baptisé «Aouita», du nom du coureur marocain vainqueur du 5000 mètres aux Jeux Olympiques de 1984 à Los Angeles, rallie Rabat à Casablanca en une heure tapante. Les Rbatis, comme les Casablancais, préfèrent utiliser ce moyen de transport que de prendre la voiture pour se déplacer entre les deux villes, car on met moins de temps puis les transports sont faciles dans les deux agglomérations grâce aux petits taxis ; et depuis quelques années, des tramways flambant neufs circulent dans les deux villes. Rabat figure parmi les villes dites «impériales» du Maroc, c’est-à-dire celles qui ont été à un moment ou un autre capitale du «Couchant». Il s’agit, avec Rabat, de Fès, Marrakech et Meknès.
La capitale actuelle abrite le mausolée Mohamed V où sont enterrés le père de l’indépendance et ses deux fils, son successeur Hassan II et le frère cadet de celui-ci Moulay Abdallah. Ce mausolée est ouvert aux visiteurs qui se pressent à venir y réciter la Fatiha pour le repos des âmes des deux anciens monarques. Un «récitateur» du Coran y déclame les versets du Saint Livre nuit et jour.
Les Tunisiens du Maroc
Les Tunisiens installés au Maroc peuvent se compter par centaines. Ils sont au plus quelque cinq mille âmes. Pour la plupart, ils résident dans la mégapole de Casablanca. Ils sont pour la plupart de hauts cadres de banque et dans certaines multinationales.
Le directeur général de l’Arab Bank était à un certain moment tunisien. A Rabat, ce sont généralement de hauts fonctionnaires internationaux. Depuis l’installation de l’Union du Maghreb Arabe à Rabat, le secrétaire général et plusieurs hauts cadres de cette institution sont tunisiens. L’actuel patron de l’UMA est Habib Ben Yahia, ancien ministre des Affaires étrangères. Ses prédécesseurs étaient Mohamed Amamou et Habib Boularès. A un moment, le représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) , celui de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et celui de la Banque mondiale (BIRD) étaient tous trois tunisiens. Les Tunisiens du Maroc sont aussi médecins, pharmaciens, médecins dentistes. Les facultés de médecine, de médecine dentaire et de pharmacie de Tunisie sont fameuses au Maroc. Les docteurs marocains dans ces disciplines exhibent fièrement leurs titres et les facultés tunisiennes où ils ont obtenu leurs diplômes. La majorité de nos compatriotes sont mariés à des Marocaines.
De nouvelles dispositions de la loi marocaine donnent droit à leur progéniture d’obtenir la nationalité marocaine aux côtés de la nationalité tunisienne du père obtenue d’office. Les Tunisiens ont bonne presse au Maroc connus pour être travailleurs, paisibles et très bien intégrés dans leur pays d’adoption. Il faut dire que le Tunisien ne se sent pas étranger au Maroc. Il y est comme un poisson dans l’eau. Car en plus des paysages et du climat qui sont très proches, Tunisiens et Marocains partagent la même mentalité héritée des mêmes racines berbères et arabo-musulmanes ainsi que de l’apport de la culture française cartésienne à souhait.
Raouf Ben Rejeb