Première médicale en Tunisie: reconstruire en un seul temps la hanche et le genou après résection
En un mois seulement, un cancer du fémur, très rare, résistant à la radiothérapie et à la chimiothérapie d’une telle ampleur qu’il ne laisse comme unique choix que l’amputation, vient d’être vaincu. Il s’agit d’une intervention chirurgicale pratiquée pour la première fois en Tunisie, à savoir reconstruire en un seul temps la hanche et le genou après résection d’un chondrosarcome. Le mérite en revient à une équipe médicale tunisienne, spécialisée dans le traitement des maladies ostéoarticulaires, soutenue par des radiologues, des paramédicaux, le concours efficace et immédiat de la CNAM et la pro-activité d’un grand confectionneur de prothèse en Grande Bretagne. L’opération qui a duré 10 heures d’affilée, dans une clinique de Tunis, sous la conduite du Dr Mohamed Hichem Boulila, a été suivie de près par le ministre de la Santé, M. Mondher Zenaidi qui en a vivement félicité tous les intervenants. Récit.
Tout a commencé début octobre dernier lorsqu’un directeur d’école retraité (64 ans) apprend qu’il est atteint d’un cancer du fémur gauche. Son rhumatologue, le Dr Manel Ben Chihaoui le confie immédiatement au Dr Boulila, chirurgien orthopédiste, pour prise en charge appropriée. Le diagnostic avait confirmé un cancer très étendu qui avait envahi la quasi-totalité de l’os fémoral. La biopsie osseuse pour déterminer avec certitude le type de la tumeur, a révélé, à travers l’étude anatomopathologique, un chondrosarcome. C’est l’un des rares cancers résistants qui ne laisse que l’obligation de l’amputation. Mais, pour un patient de 64 ans, il fallait s’efforcer d’explorer d’autres alternatives, par une chirurgie conservatrice, bravant le risque vital encouru.
«Le chondrosarcome, explique à Leaders, le Pr Mondher Mbarek, membre du Collège d’Orthopédie et Chef de Service d’Orthopédie au Centre de Traumatismes et de grandes Brûlures de Tunis-Ben Arous, est une tumeur osseuse maligne dont le traitement est exclusivement chirurgical car elle est chimio et radio résistante. Elle est néanmoins de meilleur pronostic que l’ostéosarcome ou le sarcome d’Ewing ».
« L’objectif du traitement est triple, poursuit-il : sauver la vie, sauver le membre, sauver la fonction de la hanche et du genou. Il s’agit d’abord de pratiquer une résection tumorale carcinologique car la moindre cellule qui reste peut entrainer la récidive. La chirurgie tumorale de résection et reconstruction est pratiquée par la plupart des équipes universitaires tunisiennes et aussi par bon nombre de chirurgiens qualifiés du secteur privé. Ainsi, la décision d’amputation est devenue exceptionnelle sauf en cas d’envahissement vasculaire ou surtout nerveux et ce, d’autant qu’avec les moyens d’imagerie moderne, le diagnostic est de plus en plus fait à un stade précoce de la maladie».
Voilà donc le cadre général bien posé. Pour ce cas précis, « l’originalité de cette observation, affirme le Pr Mbarek, réside dans l’étendue de la tumeur à toute la diaphyse fémorale nécessitant une chirurgie de résection extensive suivie dans le même temps opératoire de la reconstruction de la hanche et du genou par une prothèse fabriquée sur mesure ».
C’est dans ce défi que l’équipe s’est lancée pour le relever, en conjuguant les moyens et les compétences.
Une chaîne d’excellence en parfaite synergie
Tout s’est alors rapidement enchaîné. Radiologues et spécialistes concernés ont été mobilisés (IRM par Riadh Jribi et scanogramme par Sami Chehata ainsi que plans par Chiheb Belhadj) pour permettre au Dr Boulila et à son équipe d’établir avec précision les plans de la prothèse et les calques. La CNAM, contactée pour la prise en charge de la prothèse qui à elle seule coûte 26 500 D, a répondu en un temps record (24 heures) en procédant à un contrôle médical approfondi effectué par le Dr Kechrid. Un grand spécialiste international de fabrication d’implants, basé en Grande Bretagne, a été également sollicité pour une production ultra-rapide. Et tout s’est parfaitement synchronisé.
La prothèse est bien arrivée à Tunis, toutes les vérifications ont été effectuées pour s’assurer de la conformité technique et le patient a été préparé pour subir l’intervention chirurgicale, mardi 10 novembre. La montée de l’adrénaline était bien forte chez les membres de l’équipe médicale et paramédicale qui devaient assurer l’opération.
10 heures sans relâche en bloc opératoire
Pour les spécialistes, on saura que l’intervention qui a duré 10 heures sans relâche, a porté sur une résection en bloc sans voir la tumeur de tout le fémur, des muscles, des vaisseaux et des nerfs envahis. La reconstruction à été faite par une prothèse qui part du bassin et arrive à la moitié de la jambe. Cette prothèse comprend deux articulations, l’articulation de la hanche et l’articulation du genou.
Transpirants, livides et exténués par tant de concentration, les membres de l’équipe étaient cependant portés, en quittant le bloc opératoire après avoir retirer leurs masques et gants chirurgicaux, par un sentiment de fierté et de satisfaction suite à la réussite à la réussite de l'opération.
Interrogé par Leaders, le Pr Mbarek a relevé trois aspects positifs qu’il a souhaité souligner, en félicitant toute l’équipe médicochirurgicale qui a pris en charge ce patient pour cette première :
- La participation multidisciplinaire : anesthésie réanimation, imagerie médicale, chirurgie orthopédique, anatomie pathologique…
- L’apport à la fois précieux et incontournable de la CNAM pour l’acquisition d’une prothèse de reconstruction couteuse sur mesure : en réalité la CNAM est bénéficiaire car ce type de pathologie était autrefois adressé pour soins à l’étranger et le coût était multiplié par 10.
- L’équipe chirurgicale est tunisienne formée dans nos hôpitaux universitaires ce qui prouve encore une fois le bon niveau de formation en orthopédie dans notre pays.
Une grande première vient de s’ajouter au prestigieux palmarès de la médecine tunisienne… qui mérite hommage. Comme celui que le ministre de la Santé publique vient de rendre à l’équipe, les incitant à persévérer, sans oublier que ce malade, comme tous les autres, a le droit de bénéficier, grâce aux compétences tunisiennes, au système de santé et à la couverture de la CNAM, d’une médecine de pointe.
Le staff médical et paramédical
- Dr Boulila Mohamed Hichem : Chirurgien, coordinateur et premier responsable
- Anesthésistes réanimateurs : Dr Chaoua Taoufik, Dr Charfi Moez et Dr Bounatirou Tarek
- Anatomopathologiste : Dr Hichem Ben Rhouma
- Rhumatologue : Dr Manel Ben Chihaoui
- Radiologue : Dr Jribi Riadh et Dr Sami Chehata
- Aide opératoire : Leila Jouini
- Instrumentiste : Basma El Briki
- Technicien prothétique (Recta Médica): Mohamed Tayari.