Hommage à ... - 20.03.2014

Le destin tragique du boxeur tunisien Young Perez

Les Tunisiens ignorent dans leur grande majorité que le stade olympique d’El Menzah a été construit en lieu et place du stade Young Perez ; ils ignorent encore la vraie histoire de ce champion précoce.

Le livre paru en novembre 2013 sous la plume d’un Juif tunisien, André Nahum(*), lève le voile sur la biographie invraisemblable d’un sportif de haut niveau promis à la gloire puis sacrifié au nom d’une idéologie barbare qui s’appelle le nazisme.

L’auteur a un mérite évident, celui de réhabiliter un grand champion tunisien et d’avoir procédé à une investigation qui doit remonter très loin tout en recourant à l’art de romancer les péripéties avec une ingéniosité remarquable. Cette prouesse est à mettre en exergue même si cet effort d’imagination est de nature à hypothéquer la réalité. Même Wikipédia reprit la version de Nahum pour la valider à son tour.

Mêlant le réel à l’émotionnel, André Nahum a rendu le récit pathétique tant la biographie de ce champion se prête à cet exercice d’autant que des événements ont été des plus insolites. Au passage, Nahum imprègne le lecteur des circonstances de la mort de la grande chanteuse Habiba Msika, comme pour régler une fois pour toutes une histoire demeurée jusque-là équivoque.

La genèse de la gloire

Le livre commence par restituer la vie de la communauté juive dans la Hara, aujourd’hui plus connue par quartier El Hafsia, ainsi que ses conflits et ses complicités avec la communauté musulmane. L’auteur décrit la famille Younki et les carences scolaires de Viktor qui le propulsent rapidement au marché de l’emploi quoique dans la précarité. Il découvre une passion: la boxe et bénéficie d’une providence: le concours d’un avocat introduit dans les milieux pugilistiques. Une épopée est alors engagée. De son vrai nom Victor Younki, il commence alors à conquérir le surnom Young Perez au forceps puisqu’il a eu un rival pour ce sobriquet, un combat ayant départagé les deux aspirants. Le besoin de s’affirmer et de réussir créant la volonté de se surpasser, Young Perez entama alors son ascension sous la protection de ses parrains qui décelaient chez lui les graines d’un futur champion. Il progresse à une vitesse surprenante et comprend que son avenir se trouve en France malgré les réticences de sa mère soucieuse de son intégration dans un univers contraignant pour son âge. En 1927, il déguise la traversée Tunis-Marseille en un pèlerinage  à Testour, jurant de compenser sa dérobade par un exploit sportif.

La gloire, côté face

Pris en charge par des Juifs tunisiens installés à Paris au nom de Gabison. Ils lui procurent un travail alors que son frère Kid l’introduit dans les milieux de la boxe où il rencontre le grand Georges Carpentier. C’est Léon Bellières, l’un  des managers les plus cotés de la place, qui le remarque et veille sur ses destinées. Il le met alors sur la rampe de lancement et lui dispense les secrets de la réussite dont une hygiène de vie fondée notamment sur l’abstinence. Les premiers combats sont prometteurs et le jeune boxeur respecte le protocole arrêté par le coach. Peu à peu, le boxeur prend de l’assurance puis de l’épaisseur. Le 11 juin 1931, il a un premier rendez-vous avec la gloire: il devient champion de France au terme d’une préparation studieuse. Le combat à la salle Wagram face à Valentin Angelman est remporté aux points en quinze rounds (onze gagnés et quatre nuls). La presse française tire sa révérence à ce nouveau champion et lui taille un habit à la mesure de sa performance. Elle le juge même capable d’aller plus loin. Et elle a vu juste. Le 24 octobre, elle ira même plus loin en le présentant comme un boxeur français, sans qu’il ait encore la nationalité, le jour où il dispute son premier titre mondial face au détenteur, l’Américain Frankie Genaro. Au Palais des Sports à Paris, 16 mille spectateurs assistent à une démonstration d’agilité et de puissance: en cinq minutes, le Tunisien plie le combat et plonge la salle dans le délire. A Tunis c’est la liesse générale, du jamais vu. Une preuve concrète des rapports conviviaux entre les confessions qui cohabitaient en bonne intelligence. Quelque temps plus tard, Young Perez arrive à Tunis escorté de son manager et de deux compères pour vivre un accueil à La Goulette qui dépasse celui réservé auparavant au Président Doumergue. Le champion du monde fait démonstration de sa disponibilité et de sa générosité, la frime en prime puisqu’il ramène avec lui son cabriolet offert par Peugeot aussitôt auréolé de son titre mondial. Ce ne pouvait être autrement pour un garçon parti quatre ans plus tôt démuni de tout, sauf d’ambition, et qui est en droit de connaître à son âge le vertige. Il se retrouve sollicité de toutes parts et vivant une tranche de vie qui dépasse ses rêves.

La gloire, côté pile

Le retour en France le renvoie au travail dur mais une idylle avec une starlette de son âge le perturbe quelque peu. L’abstinence laisse place alors à un autre régime de vie. Résultat des courses: le 31 octobre 1932 à Manchester, le champion du monde des poids mouche cède son titre, battu par K.-O. au 13ème round par l’Anglais Jackie Brown. Il en souffrira au point de ne plus le récupérer. A l’évidence, rien dans son entourage ne plaidait pour la reconquête, l’homme vivant sans repères affectifs et sociaux mais continuant à boxer pour gagner sa vie; même les affaires qu’il a montées à Tunis périclitent et son amante s’éloigne de lui à mesure qu’elle découvre le succès dans le cinéma. La guerre n’améliore pas sa situation d’autant que la chasse aux Juifs le met en grande difficulté. Il se protège autant qu’il le peut ou se l’accorde sous-estimant la délation et les lâchetés. Malgré une semi- clandestinité à Paris, il est surpris par la visite de trois miliciens qui le réveillent pour le déporter à son tour. C’est alors l’infernale descente aux enfers qui lui fait vivre toutes les souffrance et les horreurs. Affecté à la cuisine, il est surpris de privilégier certains déportés de son entourage, s’exposant ainsi à des remontrances très lourdes. Comble du sadisme, on lui organise un simulacre de combat au  camp d’Auschwitz face à un soldat allemand sanctionné par le nul comme pour démystifier le résultat. C’est ce même soldat qui l’achèvera, le 17 janvier 1945, par une rafale alors qu’il se cachait dans une tranchée couverte de neige.

A trente quatre ans s’arrête alors la vie du plus jeune champion des poids plume de tous les temps. Mais contrairement à son exploit sportif d’octobre 1931, la nouvelle ne parviendra pas à Tunis avec la même rapidité, le même éclat ou la même précision dans les détails. Il est vrai que la première victime de la guerre s’appelle la vérité.

(*) André Nahum est un ancien médecin qui est reconnu comme l’un des gardiens de la mémoire juive tunisienne. Il est auteur de plusieurs ouvrages qui renvoient à son ancrage tunisien: Le Médecin de Kairouan (1995), Humours et sagesses judéo-arabes (1998). Son admiration pour Young Perez l’a motivé pour le rappeler à la mémoire de ses contemporains à travers ce livre dont l’utilité est incontestable.

Mohamed Kilani

Tags : Andr   Tunisie  
Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
james-tk - 22-03-2014 03:48

Sa disparition reste malgré tout mystérieuse,car,pour certain la version de la déportation est bancale,elle se base sur des indices ténus,de sources vagues,pas vraiment convaincante! À la limite,peu importe la véracité de certains faits,l'essentiel est que,ce grand champion a bel et bien existé,et le mythe est né!

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.