L'islam politique ne réussira jamais à effacer l'Histoire d'un pays
Les courants divers de l'islam politique ont la certitude de pouvoir changer en un temps record, le visage de la société tunisienne. Pensent-ils vraiment, depuis maintenant plus de trois ans, qu'en raison du rejet d'un régime despotique et corrompu, que les tunisiens sont prêts à rejeter leur tunisianité? Nous sommes tentés de répondre oui, sans grand risque de nous tromper.
Les islamistes se sont jetés sur le pouvoir en octobre 2011, de manière irréfléchie et presque animale, d'abord par peur, mais aussi par esprit de revanche sur le sort, l'Histoire des trente dernières années et cette société qui a assisté à leurs souffrances sans réagir. Ont-ils pensé être capables, sous couverture de religion, d'effacer l'Histoire d'un pays, de gommer le parcours millénaire d'un peuple multiculturel et d'envoyer en quelques mois aux oubliettes toutes les composantes socio-culturelles qui ont façonné ce peuple. Et dans leur ignorance, ils n'ont pas tenu compte de certaines données à la fois historiques, sociales et même religieuses.
Les nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C'est un ensemble d'évènements qui se créent successivement aujourd'hui pour qu'on ait à le nommer Histoire. Ce qui fait l'Histoire, c'est la mémoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l'éspèce humaine serait tel un amas de poussières dans le tourbillon intemporel du cosmos.
L'Homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s'amarrer à des référentiels, et de se coller sans équivoque à son histoire, se confondre à un passé, à une ancestralité.
Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l'amnésie et les affres de l'oubli. Se contenir dans un souvenir, c'est renaître un peu. L'intérioriser, c'est le revivre; d'où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant ses gloires, ses notoriétés.
En tant que mouvement dynamique qui ne s'arrête pas à un fait, l'Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est un espace pour s'affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminences et de luttes.
Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d'antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs sociales et le leg éternel de la culture d'un peuple.
Dans le contexte particulier que traverse la Tunisie depuis plus de trois ans, les tunisiens doivent être conscients de la nécessité de l'interaction et de la complémentarité entre les générations. Ils doivent réaffirmer leur engagement dans le soutien à un processus historique tendant à éterniser et sacraliser l'esprit novateur et moderniste. Ceci doit être pour nous un devoir noble envers les générations futures. Pour cela, le salut de la postérité doit passer par la nécessité impérieuse d'immortaliser les témoignages, les récits, les vécus des uns et des autres. Car, à chaque enterrement, on y ensevelit en quelque sorte une part de la source testimoniale.
Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de celles et de ceux qui ont eu à acter l'évènement.
Raviver la mémoire et la conserver doit être une détermination citoyenne, un rempart infranchissable pour les fossoyeurs.
Toute structure dépouillée d'Histoire est une structure sans soubassement. Toute nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d'intégration dans le processus de développement.
De tout cela, l'islam politique n'en a cure.
Mustapha Kamel Metahni