Quand «un bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil»
Ce mot d’Abraham Lincoln convient parfaitement pour décrire les dernières élections françaises qui recèlent plus d’une leçon pour notre pays et pour qui veut «comprendre» et «ne pas être seulement au courant».
Nos partis - qui ne pensent qu’aux prochaines élections - auront sûrement noté que «la communication» seule n’est pas en mesure d’assurer le succès. Les élections municipales françaises prouvent aussi qu’il ne faut pas rédiger les constitutions et les tailler pour un homme donné ou une situation historique déterminée. La Constitution de la Cinquième République a été taillée à façon pour Charles de Gaulle par Michel Debré. A l’époque, François Mitterrand l’a terriblement critiquée – ainsi que le régime qui en est issu - dans un livre acerbe «Le coup d’Etat permanent»… mais il s’est empressé de se l’approprier sitôt élu ! Le Premier Ministre est, en fait, pour ce texte, le fusible du Président. C’est ainsi que M. Jean-Marc Ayrault a été rendu responsable du résultat désastreux de ces élections municipales et promptement rendu à ses chères études germaniques. En fait, 171 villes de plus de 9000 habitants, comme Toulouse, sont passées à la droite. Mais n’est pas de Gaulle qui veut ! On a vu le cirque et les fanfaronnades que faisait Sarkozy, président imbu de lui-même, à la limite du comique. Il n’hésitait pas à proférer les pires expressions en public («descends si tu es un homme!», «nettoyage au karcher» etc…). Ses infâmes discours de Dakar (2007) et de Grenoble (2010) ont fait sauter la bonde nauséabonde de la parole raciste, essentiellement à l’encontre des musulmans et des Roms - sur les conseils de Patrick Buisson, ex-directeur du journal raciste Minute…. Sarkozy a aussi écarté l’idée que la Turquie, pays musulman, puisse faire partie de l’UE et a humilié ce grand pays qu’il a gratifié d’une visite de seulement cinq heures en 2008. S’agissant de la présidence actuelle, on peut lire sur le blog de M. Jean-Luc Mélenchon: «Hollande est un homme d’embrouilles», «Hollande est responsable du chaos qui s’avance», «Le premier pourvoyeur de voix de l’extrême droite est à l’Elysée»…
Actuellement, «35% des Français se disent racistes [+2 points par rapport à 2012]… Roms et musulmans pâtissent d’une image de plus en plus négative.» selon le rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) remis le 1er avril au Premier Ministre. «Le temps des ratonnades est révolu», commente Christine Lazerges, la présidente du CNCDH, mais «le racisme qui se développe aujourd’hui est plus sournois et n’est plus réservé aux franges extrêmes. Il pénètre toutes les couches de la société.»
Le nouveau Premier Ministre, M. Manuel Valls, y mettra-t-il bon ordre? A Evry - dont il a été le maire -, on lui a attribué, en 2009, ces mots à l’occasion de la visite d’un marché de la cité: «Il y a trop de noirs et d’arabes, pas assez de white, de blancs, de blancos ; mettez-moi des blancs et des blancos .» Pour Edwy Plenel, directeur de Médiapart, Valls – ministre de l’Intérieur - aurait ainsi aidé le Front National par sa stigmatisation des roms et offert un dérivatif aux Français accablés par le chômage et la désindustrialisation. Il écrit: «Xénophobie et racisme… sont des poupées gigognes où chaque bouc émissaire en appelle un autre dans une perdition sans fin… Tandis que Manuel Valls mettait la question rom en haut de l’agenda politique national - les Roms, et non pas le chômage, et non pas l’emploi, et non pas le pouvoir d’achat, et non pas l’égalité des droits et des chances, et non pas l’éducation, et non pas la jeunesse, etc.-, Le Pen père glissait insidieusement que «ce ne sera pas l’immigration la plus redoutable, mais la plus visible et la plus odorante». Traduite en langage explicite par la une de l’hebdomadaire Minute [organe du Front National] qui, le 2 octobre 2013, titrait «L’arbre rom cache la forêt arabe», cette traque infernale du bouc émissaire fut déjà à l’œuvre dans la foulée de transgression sarkozyste de Grenoble en 2010.» ( E. Plenel, «Dire non», Don Quichotte Editions, Paris, 2014, p. 109). Dans cet ouvrage publié avant les élections municipales, Edwy Plenel, visionnaire, conclut: «Quand un jour ou l’autre, les socialistes s’étonneront des voix qui leur auront manqué, quand ils constateront l’ampleur de l’abstention à gauche, quand ils s’inquiéteront de ne pas avoir été secourus face à la menace de l’extrême droite, ils feront bien de demander des comptes à Manuel Valls. Mais alors, il sera peut-être trop tard.»
Pour l’heure, Ies actes antimusulmans augmentent selon le rapport du CNCDH et certains affirment que «la trop grande visibilité des foulards et des prières de rue» y est pour beaucoup. Pour le site Al Modon de Beyrouth, Marine Le Pen se pose en effet comme le rempart d’une république laïque menacée par les Arabes venus occuper les rues de France et les membres de son parti continuent d’exprimer les pires expressions de l’ère coloniale et considèrent qu’il s’agit de reprendre la bataille de Charles Martel qui avait arrêté la progression des Arabes à Poitiers.
D’où l’élection d’un maire tel M. David Rachline à Fréjus (53 000 habitants et une des cinq communes les plus endettées de France), secrétaire national du FN et tout dévoué à M. Le Pen et à sa fille. Rachline «explique qu’il n’est pas juif selon les codes» et il a proposé, lors d’une réunion dans le cadre de sa campagne électorale, d’organiser un référendum pour savoir s’il faut autoriser la construction d’une mosquée dans le quartier de la Gabelle à majorité musulmane, «la salle s’est levée pour l’ovationner » écrit le Canard Enchaîné» (2 avril 2014, p.7).
Ces élections ont enfin montré que les musulmans et les Maghrébins ayant la nationalité française sont très peu représentés à l’échelon municipal, régional et national, comparativement à d’autres pays européens et étant donné leur nombre.
Il n’en demeure pas moins que les menées salafistes (niqab, esclandres dans les hôpitaux, prières de rue, appel au jihad en Syrie… ) ne font rien, à cet égard, pour améliorer les choses. Certains sautent alors sur ces épiphénomènes pour les exploiter, les monter en épingle et pénaliser tous les musulmans afin de noircir l’image de la culture arabo-musulmane et stigmatiser l’Islam. Les considérations géostratégiques et les manœuvres de basse politique (et de basse police) ne sont jamais loin cependant dans le tour que prennent les choses en France dans ce type d’affaire (lire notamment l’excellent ouvrage de Pascal Boniface «La France malade du conflit israélo-palestinien», Salvator, Paris, 2014).
La présidente du CNCDH déclare que, s’agissant du racisme et de la xénophobie, «dans un gouvernement de gauche, on attend un discours clair, net sur ces questions et pas ambigu…»
Le gouvernement de M. Manuel Valls voudra-t-il faire cet effort de clarification après la Bérézina des élections du 31 mars 2014? Cet effort pourrait contribuer à empêcher Marine Le Pen d’atteindre le Palais de l’Elysée d’autant que, affirme le CNCHD, «plus le Français est cultivé, moins il est raciste.»
Ce Français- là connaît la valeur de notre culture et de notre civilisation comme il connaît la valeur de son bulletin de vote, plus puissant que les balles de fusil.
Mohamed Larbi Bouguerra