Qatar: périple de la dernière chance pour contrer l'hégémonisme wahhabite
Le Qatar, le petit Etat aux ambitions planétaires devenu paria dans le Golfe, cherche manifestement à sortir de l’isolement auquel l’a condamné le royaume hégémonique pour ses accointances avec la confrérie des «Frères musulmans», listée parmi les organisations terroristes par Le Caire, Ryad, Abou Dhabi et forcément Manama.
Pour Ryad en effet, la montée en flèche de la confrérie dont l’islam ‘modéré’ tranche avec le wahhabisme rigoriste en vigueur dans cette monarchie ultraconservatrice, est devenue une menace réelle pour «la Gardienne des lieux saints de l’Islam», la seule formation sunnite en mesure de concurrencer le wahhabisme dont le régime saoudien tire sa légitimité islamo-politique.
Naguère encore prudente, mesurée et lente à réagir, l’Arabie a joué cette fois la dramatisation et la médiatisation: rappel par les trois Etats «anti-fréristes » de leurs ambassadeurs en poste à Doha, sommation de fermer la chaîne Al-Jazzera et de faire taire son télé-coraniste Youssef Al-Qardhawi, menace de fermeture de l’unique débouché terrestre devant les voyageurs en provenance de l’émirat-paria, et de l’espace aérien saoudien aux avions du Qatar…
«Notre politique étrangère n’est pas négociable !», devait répondre le chef de la diplomatie qatariote, Khaled Al-Attiya.
Cheikh Tamim, le sapeur-pompier
Or, la confrérie des «Frères musulmans» --qui n'a jamais représenté un danger sérieux pour le leadership saoudien du monde musulman-- n’est pas plus «terroriste» que les groupes jihadistes formatés par le wahhabisme, financés et armés par Ryad pour égorger et exécuter massivement et sommairement en Syrie et ailleurs. On n’est pas à un paradoxe près Sommet arabe du Koweït : les pétromonarchies divisées par l’«islamo-frérisme».
Le Koweït et le sultanat d’Oman ont jeté l’éponge, selon des sources bien informées : une médiation n’est plus possible entre des protagonistes, décidément fermes sur leurs positions.
L’émir du Qatar, cheikh Tamim Al-Thani, a donc pris son bâton de pèlerin pour aller chercher en Jordanie, au Soudan, en Algérie et en Tunisie une sortie de la crise. Le jeune émir n’a pas inclus dans sa tournée le Maroc, pays allié de l'Arabie Saoudite, en encore moins la chaotique Libye.
Mais la crise actuelle au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ne connaîtra vraisemblablement pas l’issue de celles qui l’ont traversé depuis plus de trois décennies et qui se terminaient par des réconciliations spectaculaires et des accolades médiatisées.
Si Doha ne cède pas à la pression, Ryad n’aura d’autre alternative que d’appliquer les sanctions, ce qui équivaudra à une déclaration de guerre. Un blocus sera désastreux non seulement pour le Qatar dont tous les vols aériens vers l’Occident transitent par l’espace aérien saoudien et dont près de 70% des besoins alimentaires proviennent ou passent par l’Arabie saoudite. Il sera également ruineux pour les Emirats qui dépendent ombilicalement du gaz du Qatar.
En outre, une implosion du CCG bénéficiera, à l’évidence, à l’Iran, le principal ennemi de Ryad.
Cheikh Qardhawi, le détonateur
La crise risque même de s’envenimer au cours des prochaines 24 heures, puisque cheikh Qardhaoui, l’éminence grise des « Frères» menace maintenant de reprendre son prêche hebdomadaire ce vendredi, après une interdiction officielle de plusieurs semaines, signe que le torchon continuera plus que jamais de brûler.
En février dernier, un prêche-réquisitoire contre les Emirats, accusés de réprimer leurs « Frères », avait été à l’origine d’un premier rappel par Abou Dhabi de son ambassadeur à Doha.
Et ce ne sont pas les « tweets » du vice-président de la police et de la sécurité générale de Dubaï, le lieutenant-général Dahi Khalfan Tamim, criant au «complot frériste», qui éteindraient le feu qui couve sous les cendres.
Contre-offensive de charme
L’émir Tamim est attendu jeudi à Tunisie, probablement dernière étape d’un périple qui semble être une réplique à une offensive de charme menée par Ryad qui avait dépêché des émissaires dans plusieurs pays arabo-musulmans pour expliquer « le bien-fondé» de sa guerre contre les «Frères».
Il semble cependant que l’inclusion des «Frères musulmans» sur la liste des organisations terroristes a été vivement condamnée par des organisations islamiques. En Inde, par exemple, où cette décision a été qualifiée d’«injuste et non-islamique » par un groupe d’ONG ne reflétant pas le point de vue du gouvernement indien qui vient de créer avec son homologue saoudien un fonds d’investissement de 750 millions de dollars, rapportait récemment The Times of India.
Le régime saoudien, déjà rudement éprouvé par la chute en janvier 2011 de son plus fidèle allié régional, le président égyptien Hosni Moubarak, au profit du Frère musulman Mohamed Morsi, s’est alors employé à jouer la «contre-révolution».
Et lorsque l’organisation des «Frères musulmans» a été interdite en Egypte, à la faveur du coup des militaires du 3 juillet 2013 et de la destitution du président Morsi, Ryad s’est empressé d’emboîter le pas au Caire, en accord avec les Emirats arabes unis et Bahreïn, à la remorque de la «grande sœur» saoudienne.
Ghannouchi à «Leaders»: «c’est le régime putschiste en Égypte…»
En Tunisie, toute la classe politique a certes dénoncé la décision du tribunal égyptien de condamner à mort 529 islamistes parmi les partisans de Morsi et appelé les autorités égyptiennes à revenir sur ce verdict, considéré par le mouvement Ennahdha comme «un précédent sans pareil même dans les pires périodes de répression et d’oppression en Egypte et l’ensemble de la région».
Mais rien d’officiel n’a été dit sur le listage des «Frères Musulmans» parmi les groupes terroristes, à l’exception d’une phrase sibylline du chef du gouvernement provisoire, Mehdi Jomâa, déclarant au journal saoudien Al Riyadh être favorable à la classification des «Frères», ainsi que d’autres organisations comme groupes terroristes et soulignant qu’«il n’y a pas de place pour le terrorisme» en Tunisie Une conférence monocolore dédiée à l’islam et à la démocratie.
Pressé récemment par « Leaders », lors d’une conférence internationale dédiée à l’islam et à la démocratie, de commenter cette classification, le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, s’est borné à réitérer, en des termes sévères, la condamnation du «crime ignoble perpétré par le régime putschiste en Égypte».
« Le crime a été commis en Égypte, les autres (NDLR : l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn) l’ont soutenu, mais le véritable criminel c’est le régime égyptien », a ajouté le leader d’Ennahdha dont les liens historiques avec les Frères musulmans égyptiens existent depuis la création de ce parti islamiste.
Ce parti semble toutefois en train de faire peau neuve et d’offrir un new look vestimentaire : des hommes en costume et cravate, et un visage imberbe, des femmes en jean moulant ou en ensemble de haute couture française ou italienne, et l’inséparable hijab ou niqab L'Islam politique en Tunisie au stade de la normalisation?.
Habib Trabelsi