Les leçons de Jendouba
Vue d’avion, la région de Jendouba rappelle beaucoup la Suisse. C’est une région bénie des dieux, avec ses forêts, ses plaines verdoyantes, l’eau abondante, en plus de sa façade maritime poissonneuse, ses plages, sa station thermale et son patrimoine historique! Pourquoi n’est-elle pas développée? En cherchant à analyser la problématique qui s’avère être la même pour d’autres régions, on découvre l’ampleur des dégâts subis. Un Etat centralisé et peu présent, un système verrouillé sans mécanique, un relâchement total de l’autorité et un staff local démobilisé. Chacun attend l’autre, rien ne bouge. Ce qui se bloque à Tunis plombe tout dans les régions. L’Etat peine à se reprendre, menacé de déliquescence.
L’administration est la première à subir de plein fouet cette forte dégradation. Démobilisée, démunie en ressources humaines nécessaires et moyens adéquats, figée dans des procédures inextricables et laissée sans orientation stratégique, elle ne retrouve pas les ressorts indispensables à sa relance. Quand un nouveau ministre débarque, on le bombarde d’une série de revendications statutaires, de séduisantes présentations colorées, beaucoup plus que de propositions concrètes susceptibles d’être mises en œuvre immédiatement. La moindre anicroche bloque leur exécution. Un simple contentieux foncier interrompt le chantier d’un pont sur la Medjerda pendant trois ans, comme c’est aussi le cas de l’autoroute Sfax-Gabès. Sans parler des projets programmés et budgétisés pour 2014 qui peinent à démarrer. En définitive, ce puissant levier de réalisation, créateur d’emplois et générateur de croissance, est en panne.
La montée du corporatisme et la puissance des barons de la contrebande s’y ajoutent, mettant le pays entier à rude épreuve. De puissants intérêts, de nouveaux réflexes s’installent et des institutions de l’Etat sont sous fortes menaces. La loi est bafouée, l’intérêt national réduit à l’intérêt personnel. Partout les systèmes parallèles tentent de se substituer à l’Etat. Et le terrorisme continue à faire planer sa menace sanglante, malgré de premiers succès enregistrés pour lui faire face.
Tout compte fait, la feuille de route tracée par le Dialogue national n’est pas la plus difficile à tenir. La crise économique et financière, aussi catastrophique soit-elle, peut trouver ne serait-ce qu’un début de solution. Mais, la plus grande surprise que découvre le gouvernement Mehdi Jomaa, une fois aux commandes, ce sont les attaques en règle pour saper les fondements de l’Etat.
Du coup, la restauration de l’autorité de l’Etat s’impose de toute urgence, dans toutes ses dimensions. Un consensus national est nécessaire, avec l’obligation de le convertir en engagement collectif et personnel. Défendre et respecter l’Etat et ses institutions est la grande priorité pour pouvoir renforcer la sécurité, relancer l’économie et faire aboutir la transition démocratique. Une forte impulsion est indispensable pour remobiliser l’administration et la recentrer dans son rôle d’assurer le respect de la loi, mais aussi de se mettre au service du citoyen, de débloquer les projets qui traînent et engager ceux déjà budgétisés. Ministres et gouverneurs doivent s’imprégner davantage de la réalité sur le terrain et décider sans hésitation, dans l’équité et l’intérêt public, quitte à se tromper parfois. L’essentiel est de reprendre l’initiative, d’assumer ses responsabilités, de faire face avec fermeté aux baronnies et au corporatisme et d’incarner le sens de l’Etat. Aussi difficiles que ces défis puissent paraître, ils ne sont pas impossibles à relever. La deuxième République naissante, dotée d’une constitution consensuelle et grosse de la promesse d’une démocratie issue des prochaines urnes, en dépend pleinement.
T.H.