Opinions - 06.04.2014

Clientélisme, atavisme et dégénérescence politique

Le clientélisme politique et non ethnologique, tel que nous l’avons connu dans notre histoire lointaine sous la forme de «mouwalât» (d’où le terme «mâwalî»), désigne le mécanisme sociopolitique par lequel on obtient une faveur injustifiée, en échange d’un soutien politique et électoral. Quand il s’agit d’un soutien financier, cela a un nom: la corruption.  

Aussi, le clientélisme et la corruption constituent-ils des phénomènes jumeaux avec tout ce que cela implique comme dépendance, mimétisme et complémentarité. Ce «marché» d’échange de biens et services existe et il intéresse aussi bien les individus que les groupes, ce qui induit la concussion, l’arbitraire et la domestication de l’Etat. En effet, dès que l’arbitraire prévaut sur toutes les règles «normatives», les décisions touchant aux individus ne peuvent plus résulter d’un ordre préétabli ou d’une raison qui s’impose à tous, mais du fait du prince et d’un certain rapport de force. C’est ainsi que le fonctionnement du système démocratique se dégrade peu à peu et que l’Etat lui-même devient inique et corrompu, générant encore plus de passe-droits et de clientélisme.

D’aucuns pensent que les pratiques clientélistes sont quasiment inévitables dans des sociétés encore «paysannes» ou «tribales» n’ayant pas atteint un stade avancé de l’évolution politique et sociale. Ils escomptent donc que le développement de l’urbanisation serait à même de libérer les individus de certains réflexes communautaires le favorisant. Tel n’est pourtant pas le cas en Tunisie. A l’observation, on constate que le parti destourien a plus succombé du clientélisme que du temps et de l’usure du pouvoir, que le RCD en a fait un principe de base et que le parti Ennahdha n’a pas hésité à y recourir lui aussi. Toujours est-il que le clientélisme politique perdure en Tunisie, malgré l’urbanisation, comme on l’a constaté lors des élections d’octobre 2011. La raison est que nous gardons, pour la plupart, une forme de réflexe conditionné, qui nous empêche de prétendre pleinement à l’urbanité bien que nous soyons devenus majoritairement urbains. Peut-être s’agit-il en fin de compte de cette difficulté d’adaptation face à la vitesse avec laquelle la société a évolué dans certains domaines tout en gardant des comportements sociaux et des attitudes mentales ataviques.  

Point donc d’illusion ! Si l’on veut asseoir la pratique démocratique, il faut nécessairement s’attaquer à l’origine même du clientélisme. Certains appellent à la «neutralité» politique et électorale de l’Etat, d’autres exigent un contrôle strict de l’argent politique, d’autres encore souhaitent que les médias ne soient plus à la solde des intérêts financiers ou partisans. Tout cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant. Dans la mesure où le marché d’échange de biens et services existe et qu’il constitue l’origine fondamentale du clientélisme, c’est à ce marché qu’il faut s’attaquer en premier lieu. Au reste, la chaîne de causalité en matière de clientélisme et de corruption n’est pas unidirectionnelle. Pour que le clientélisme existe, c’est que les citoyens et des collectivités y recourent et que les politiciens et des détenteurs du pouvoir y voient leur intérêt. Dans ce cas, les «acteurs» directement concernés  vont à l’encontre de la consolidation des institutions démocratiques, institutions d’autant plus fragiles que les motifs et les sources de leur contestation sont indéniables et nombreux.

Le clientélisme qui nous accable depuis plus de soixante ans constitue bien une forme de reliquat de la tradition. N’empêche, l’actuelle pratique «démocratique» le remet au goût du jour. Sa survivance et même son développement au cours de ces trois dernières années dénotent le dysfonctionnement de notre démocratie naissante. Du fait même de leur déficit «idéologique», les partis politiques recourent sans états d’âme au clientélisme, un clientélisme appelé à moins intéresser les intérêts particuliers de la société que les intérêts personnels et partisans des politiciens eux-mêmes. Compte tenu du mode de scrutin et de la carte politique, c’est bien ce scénario qui est en train de s’installer, au détriment de l’Etat de droit et de la démocratie.

H.T. 

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