Mansour Moalla: Où allons-nous?
La question se pose en effet. On pensait que l’euphorie constatée après l’établissement de la constitution, la «guerre» politique était terminée et qu’on allait pouvoir vivre une période de calme permettant l’organisation d’élections que rien ne viendrait perturber.
Et voilà que les troubles reprennent sous diverses formes : agitations politiques et partisanes, revendications et grèves, menaces d’assassinat, nouvelles vagues de terrorisme, attaques verbales, déclarations incendiaires…
Que s’est-il passé? C’était bien entendu la «bataille électorale» qui s’annonce et la course au pouvoir qui recommence. Des signes multiples montrent que les divers clans cherchent des moyens pour améliorer leurs positions, même s’ils sont de nature à semer la discorde.
Et pourtant, les chefs des deux formations politiques les plus importantes avancent des propos quelque peu rassurants. Le chef de l’une des parties s’annonce partisan de l’union nationale, sans autre précision, et celui de la partie «adverse» estime que l’on doit pouvoir examiner la possibilité de gouverner ensemble.
Il y a donc quelque espoir que ces chefs puissent persuader leurs troupes que le pays est en danger, que l’Etat est en déclin et que l’économie et les finances intérieures et extérieures sont en détresse. Devons-nous attendre que les caisses soient totalement vides, que la cessation de nos paiements extérieurs soit atteinte et donc la faillite sur tous les plans, pour réagir.
N’est-il pas absurde de s’entêter à se déchirer et à se battre pour gagner la «bataille» électorale dans un pays à la dérive?
Le gouvernement non partisan aux commandes ne peut à lui seul sauver le pays s’il n’est pas soutenu clairement, efficacement et sans arrière-pensée par toutes les catégories de la population et toutes les organisations de la vie politique, économique et sociale.
Des institutions non crédibles
Et ce, d’autant plus que nos institutions politiques sont fragilisées.
L’Assemblée constituante a épuisé son mandat depuis des mois et n’a plus l’autorité et le crédit nécessaires pour être entendue d’autant plus que son président n’est plus neutre, paraissant être candidat au pouvoir dit suprême. Le président de la République semble avoir les mêmes intentions et ne pourra plus être le président de tous les Tunisiens. Enfin, le chef du gouvernement est plus contrôlé que soutenu par les formations politiques, y compris une ANC qui peut le congédier à tout moment.
Une telle situation n’est guère favorable à la tenue d’élections qui provoqueront des tensions que le pays ne peut supporter.
Ces élections ne peuvent avoir lieu que si les responsables parviennent au préalable à s’entendre et à se réconcilier autour d’un programme minimum acceptable pour toutes les parties.
Un programme d’urgence
Ce programme concerne les principaux aspects de la situation:
- Personne ne se dit favorable au renforcement du terrorisme: lutter donc en commun contre ce fléau qui peut tout détruire;
- Qui ne souhaite pas que l’on combatte de toutes nos forces le chômage qui mine la société tunisienne : donc tout mettre en œuvre pour l’éliminer ou le réduire, et c’est possible comme on l’a proposé à plusieurs reprises.
- Qui accepte de voir notre économie se dégrader, la production stagner, les investissements en berne, la confiance perdue à l’intérieur et à l’extérieur : que l’on se mette donc ensemble pour redresser l’économie et atteindre des taux de croissance supérieurs aux 2 ou 3% de ces dernières années;
- Enfin, dernier chapitre de ce programme commun d’urgence, qui ne voit pas qu’il faut accorder une particulière attention aux régions défavorisées du Sud et de l’Ouest : des programmes spéciaux doivent être établis pour améliorer substantiellement leur situation.
Si l’accord est réalisé sur tous ces chapitres qui concernent l’urgence, on peut établir une union nationale sur ces bases, mettant provisoirement, au moins, entre parenthèses les sujets «idéologiques» où les opinions divergent et qui peuvent attendre la fin de la crise grave que nous traversons pour être débattues.
Une réconciliation nationale nécessaire
Aujourd’hui, un tel programme de sauvetage doit pouvoir être accepté par toutes les catégories de l’opinion publique. Sa réalisation implique que cessent les querelles politiques concernant le passé où personne n’est vraiment innocent pour se permettre de condamner et d’exclure, surtout pas ceux qui se sont compromis avec la dictature ni ceux qui ont cru pouvoir utiliser la religion pour s’y opposer, déclenchant une répression effroyable qui s’est abattue sur toute la société, ni ceux qui se sont retirés pour ne pas être atteints, ni enfin ceux qui, il y a plus d’un demi-siècle, ont essayé d’introduire dans la lutte pour l’Indépendance la cacophonie et l’impuissance des pays d’Orient.
Arrêtons ce genre de suicide collectif et rétablissons la concorde au lieu d’aggraver la discorde.
L’Afrique du Sud et le grand Mandela ne nous ont-ils pas donné un exemple à méditer?
Sauver le pays d’abord
Ce n’est que dans ces conditions que l’on peut réaliser l’union nationale et sauver le pays: les élections ne pouvant être que le couronnement de cette action commune de redressement et de salut public. C’est une fois le pays apaisé, le calme revenu, le terrorisme jugulé, le chômage contrôlé, l’économie et les finances redressées, l’on peut alors organiser des élections et avoir une vie politique normale.
La voie du salut est là. Si on préfère le double langage, l’utilisation abusive de doctrines dépassées ou de promesses réalisables dans l’autre monde, l’excitation des masses et l’affrontement des foules, la lutte pour le pouvoir par tous les moyens, on prend la responsabilité de diviser et de déchirer le pays et de le conduire à la régression et au malheur que vivent aujourd’hui nombre de pays de la région où l’on s’acharne à se détruire réciproquement et à massacrer le pays à la grande satisfaction de l’occupant israélien.
Ne pas s’acharner à tenir des élections à n’importe quel prix, y compris celui de l’inconnu et de l’aventure. Sauver d’abord la patrie puis après, tout est possible et que vive la Tunisie, la Tunisie d’abord, la Tunisie avant tout.
M.M.