News - 07.04.2014

La théorie du complot, encore et toujours

Hédi Baccouche était ce lundi l’invité de la Fondation Témimi pour parler de l’expérience des coopératives initiée dans les années 60 par le tout-puissant ministre de l’Economie de l’époque, Ahmed Ben Salah. Il était bien placé pour en parler. Ayant été l’un des plus proches collaborateurs de l’ancien superministre, il avait pris part à la mise en place de sa politique de collectivisation dans plusieurs régions en tant que gouverneur.

On s’attendait à une analyse critique de cette expérience malheureuse dont l’effet sur l’agriculture tunisienne a été catastrophique. On a eu droit une fois de plus aux explications superficielles qu’affectionnent généralement  nos hommes politiques. L’échec de cette politique dont l’onde de choc se fait sentir jusqu’à aujourd’hui serait dû à un complot (encore un !) ourdi par Wassila avec la complicité de Caïd Essebsi, alors ministre de l’Intérieur et Béchir Zarg El Ayoun, compagnon de Bourguiba, contre Ahmed Ben Salah. Pas un mot, pas une virgule sur les erreurs de l’ancien superministre, sur l’improvisation et la précipitation avec lesquelles l’opération a été menée, sur l’absence totale de concertation avec les premiers intéressés, les agriculteurs qui  l'ont vécue comme une spoliation pure et simple. Pourtant, l’orateur disposait du recul nécessaire pour en parler avec la distanciation et l’objectivité nécessaires. En tout cas, si Wassila a bien été à l’origine de l’échec de cette expérience, elle aura bien mérité de la patrie. Car on a peine à imaginer les dégâts provoqués par cette collectivisation qui avait mis le pays au bord de la guerre civile, dépeuplé les campagnes et paupérisé les paysans entraînant un exode rural sans précédent. Des cités comme Ettadhamen, El Intilaka, Mnihla implantées sur les terres fertiles du défunt Office de Mise en Valeur de la Vallée de la Medjerda, ainsi que la constitution de la ceinture de Tunis datent de cette époque.

Les années 60 ont été marquées par des sécheresses comme le pays n’en avait jamais connues auparavant et n’en a plus connu depuis. En septembre 69, lorsque cette expérience a été annulée, le pays a subi les inondations les plus graves de son histoire. Les agriculteurs y ont vu un signe du destin. Même le Bon Dieu n’avait pas voulu de cette collectivisation. Ce sera le début des vaches grasses, marquées par une croissance à deux chiffres. Hédi Nouira, premier ministre à partir de septembre 70 dira que la pluie a voté pour lui. Mais le pays se serait bien passé de cette calamiteuse collectivisation qui ne pouvait pas réussir parce qu'elle avait été menée à marche forcéee et en dépit du bon sens. Depuis, les Tunisiens ne voudront plus entendre parler de coopératives. Il y a fort à parier qu'ils en seront immunisés pour longtemps encore.

Il reste que l'histoire de cette période est à faire. Il est dommage que cette première grave crise de régime depuis l'indépendance qui avait mis fin au dogme de l'infaillibilité dont s'était entouré Bourguiba  soit sous analysée et réduite à quelques intrigues de palais comme veulent le faire croire encore les principaux acteurs de cette  période. Pour la première fois, on a entendu le président reconnaître humblement qu'il s'était trompé et demandé aux Tunisiens leur pardon.Une consultation nationale a permis aux citoyens de s'exprimer librement. Cela a duré un mois jusqu'au jour où on a commencé à remettre en question le monopole du parti  et réclamé la séparation entre l'Etat et parti.

Mustapha