De la conscience en politique
J'ai beaucoup de respect pour le gouvernement de compétences se démenant pour remettre le pays sur pieds, mais je crois qu'il a raté une occasion en or pour démontrer que sa compétence est bien au-dessus de la manière classique de faire la politique et renforcer sa cote d'amour auprès des masses en traduisant au plus près leurs sentiments.
Si la décision de la justice militaire a été une énorme surprise doublée d’une déception pour son opposition caractérisée avec les exigences de la révolution, la réaction des autorités politiques l’est encore plus. Elle montre, pour le moins, que nos dirigeants n'osent pas rompre avec une manière de faire la politique selon des formes saturées qui n’ont plus de prise sur le réel postmoderne ni en conformité avec le sentiment populaire.
Après le président du gouvernement, voici le ministre de la justice, chargé également des droits de l’Homme, qui botte en touche, se dérobant derrière l’illusoire rengaine de l’indépendance de la justice, le nécessaire respect à la chose jugée.
Un tel argument relève au mieux d’une vision sublimée de la réalité; au pire, il dénote une conception formaliste de la démocratie. Or, quand on sait que même dans les démocraties avérées, l’indépendance de la justice n’a été souvent qu’un leurre rarement contredit sauf en présence de personnalités d'envergure, consciencieuse et de caractère, on se prend à rêver d’avoir pareilles consciences chez nous, capables de dire les choses telles qu’elles sont, se donnant le droit de critiquer une décision injuste se prétendant de justice. C’est, en tout temps, le devoir du juste, qu’il soit politique ou juriste!
Or, ni le politique ni le juriste de nos compétences censées renouer avec la confiance du peuple et la lui faire retrouver pour la justice du pays n’ont eu le courage de placer les exigences de la conscience au-dessus de la politique.
Celle-ci commandait, à titre personnel pour le moins, de dire tout le mal qu’on est en droit de penser de la dernière décision de notre justice militaire. Cela n’aurait nullement été s’immiscer dans le cours d’une institution indépendante, plutôt assumer un devoir civique s'imposant d'autant plus que l'on est placé aux plus hautes responsabilités d’un État. Surtout que l’on veut cet État de droit, donc d'abord juste afin d’être un jour démocratique. Cela suppose de ne pas relativiser la douleur de ceux qui gardent leur droit au prix moral et non point juste pécuniaire de leur peine. Car la réparation des vraies peines est dans une justice sans calculs ni arrière-pensées.
Ni la politique ni le droit ne doivent se passer aujourd’hui de l'impératif catégorique d'une conscience devant être placée au-dessus de toute hiérarchie des normes en vigueur. C’est au nom de cette conscience que nos responsables politiques auraient dû pour leur part rendre justice aux familles injustement traitées en émettant les réserves que toute conscience libre ne saurait taire.
C’est cela aussi la démocratie, un régime en congruence avec les sentiments populaires, quitte à heurter le formalisme antique.
Farhat Othman