News - 16.04.2014

Pas de capitalisme sauvage en Tunisie!

Il y a quelque aberration en Tunisie, quelque chose de vicieux auquel il urge de ne pas se laisser aller; sinon c’est d'une tare que sera marqué notre pays, faisant les pires dégâts à notre santé. Et il est question ici de santé physique tout aussi que mentale.

Des pratiques de capitalisme sauvage

On nous parle, sans état d’âme, de destruction de la récolte de pomme de terre, trouvant cette ineptie absolue logique et la défendant. Plusieurs tonnes ont été détruites alors que nombre de nos concitoyens ne trouvent même pas de quoi se nourrir. Pour quelle raison? S’agit-il d’un problème de santé, quelque raison empêchant de crier à la folie, manifester sa désolation? Eh bien non! La cause en est l’absence de circuits de commercialisation, outre une baisse de la demande du marché.

Encore une fois, alors que l’on se réjouissait d’une bonne production cette année, le marché et sa loi inhumaine s’invitent dans notre pays, imposant sa loi d’airain. Peu importe si c’est immoral, car c’est conforme à la logique du marché; belle logique, de cette beauté du diable, assurément!

Hier déjà, la même logique d'un tel marché inhumain a fait déverser des tonnes de lait dans nos rues, sous les yeux ébahis des plus pauvres et de leurs enfants, n’arrivant plus à en avoir. Ce fut aussi pour des raisons semblables, triviales, sinon criminelles, dans un pays pauvre où la loi première doit êtrela solidarité avec les plus démunis, d’abord et avant tout. 

Voilà la Tunisie que veulent certains des nôtres! Et ils sont fermement soutenus par des capitalistes en rupture de ban avec les évolutions que le capitalisme occidental a été contraint d’adopter pour survivre. Ils ne font que substituer à la loi de Dieu, une loi du marché, impitoyable avec les démunis, ne se souciant que de profit; encore et toujours plus de profits est leur seule loi. En cela, ils ne sont guère différents des terroristes, nos intégristes salafis; les uns tuent physiquement au nom d'une foi religieuse caricaturée, les autres massacrent moralement au nom d’une foi profane surannée. Dans les deux cas, c’est le peuple paisible de Tunisiequi trinque, ce peuple si zawali.

Or, cela ne peut ni ne doit durer ! Il est plus que temps que nos consciences, toutes tendances confondues, se réveillent à la réalité des leurs et donnent enfin un coup de pied à la fourmilière de leurs idées convenues et à l’économie de papy. Il est plus que temps que l’on ne se contente plus des lois classiques de l’économie et qu’on fasse en Tunisie, le pays ne pouvant supporter un capitalisme sauvage, une «social-économie», un développement solidaire inclusif imaginatif. Manque-t-on à ce point de talent et d’imagination au pouvoir ou est-ce la conscience éthique qui manque au nom d’un soi-disant principe de réalité, non seulement réducteur mais également suicidaire? 

Apologue de l'acacia d'Afrique

Nous croyons qu'il est une mesure à ne pas dépasseren tout; en politique, en Tunisie, c'est une sorte de «poléthique» tenant compte des traits essentiels du Tunisien marqué par une forte et saine spiritualité. S'il est légitime d'ancrer la Tunisie au système économique de l'ère à laquelle elle appartient géostratégiquement, il est illégitime de le faire selon les techniques surannées qui n'ont même plus cours en Occident. En matière de valeurs essentielles, on ne peut pratiquer — surtout pas aveuglément — la technique de l'externalisation dans notre pays de ce que l'État de droit occidental réprouve.

Il est vrai que la Tunisie est réputée paisible et son peuple conciliant. Mais, et je le redis ici, c'est un pays acacia. Cet apologue réfère à l'acacia d'Afrique qui pousse au beau pays ayant offert au monde la conscience juste que fut Mandela. Cet arbre a la particularité d'avoir un feuillage qui devient amer et toxique à un certain moment, alors qu'il ne l'est pas à l'origine. Il s'agit d'un phénomène naturel que la science constate, mais ne comprend pas encore.

La plus sérieuse des explications est qu'il s'agirait d'une réaction chimique de défense de la part de la plante quand on s'attaque à son intégrité. En effet, on a constaté que ce phénomène étonnant se déclenchait imparablement après que des animaux venus brouter le feuillage de l'acacia continuent à le faire au-delà d'un certain temps.

Ce mécanisme est infiniment sophistiqué, en ce sens qu'il ne se déclenche pas sans raison et toujours en présence d'un herbivore; mais jamais de suite, plutôt au bout d'une dizaine de minutes. Les scientifiques en concluent que l'acacia veut bien être brouté, mais pas dévoré.

Concrètement, c'est quand ses feuilles sont mangées au-delà d'un certain taux, généralement au bout de dix minutes donc, que la plante émet un courant électrique qui la traverse de bout en bout, produisant un tanin qui commence par rendre la digestion des feuilles difficile avant de se transformer en poison mortel. Ensuite, elle se met à diffuser un gaz éthylène qui se propage dans le vent, touchant les autres acacias.

Les savants,notamment ceux relevant de la science appelée bio-psychokinèse, considèrent qu'il s'agit d'une réaction « intelligente » de la part de la plante, des mesures de protection destinées à se protéger contre les prédateurs et à alerter les plantes voisines de même espèce contre l'ennemi commun.    

Voilà un phénomène scientifiquement prouvé, même s'il reste encore inexplicable rationnellement, sur la capacité de défense que possèdent les plantes que des chercheurs sérieux dotent même de certaines aptitudes humaines, comme celle de voir et d'entendre.

Sagesse d'un pays

Notre propos n'étant pas de s'interroger sur ces phénomènes surprenants de la nature, nous en tirons juste la parabole que la Tunisie est comparable à cette plante africaine, en ce sens que c'est un pays au peuple bon enfant, où il fait bon vivre, mais à la condition de ne pas chercher d'en profiter plus que de mesure ou de raison.
La Tunisie est à l'exemple de l'acacia d'Afrique; elle est consciente de la nécessité de dépendre d'autrui, mais dans un rapport qui soit équilibré, sans excès. C'est un pays dont le peuple est assez mûr pour évaluer à sa juste valeur son statut en ce monde et le rôle qui lui est dévolu dans le concert des nations. Ce rôle est certes fonction de sa situation actuelle, bien modeste, mais il est aussi à la mesure de son passé, grandiose. Naguère, Bourguiba incarna cet esprit à merveille, y ajoutant toutefois une déformation qui lui était étrangère, son culte de la personnalité.

Or, la Tunisie est un pays qui vient de se réveiller à son propre être au bout d'un sommeil qui n'a annihilé aucune de ses aptitudes naturelles, bien spécifiées par son grand poète Chebbi, dontla justesse et l'acuité sont rappelées par une sagesse populaire quotidienne.Aujourd'hui, ce peuple sage est bien conscient de la petitesse de ses dimensions multiples, mais tient à sa dignité, car éveillé à sa grandeur d'âme et sa fortitude, issues de valeurs inaltérables vécues au jour le jour. Une telle dignité commande qu'il soit traité, au pis, en ancien mineur ayant accédé à la majorité démocratique, et nécessitant un traitement d'égal à égal en termes de relations internationales sages et équilibrées.

La Tunisie veut bien que les capitalistes nationaux et internationaux trouvent sur sa terre accueillante un marché pour s'y adonner à leurs affaires; mais elle exige que son peuple ne soit pas traité moins bien que les marchandises et demande que la conscience soit intégrée à la politique qui soit compréhensive, s'adonnant à une éthique de l'esthétique de la poétique sociale.

Elle pense aussi que si l'on veut arrimer solidement le pays au système occidental cela doit se faire dans le cadre d'un rapport qui soit « gagnant-gagnant », supposant une intégration totale à ce système, non au rabais. Car on ne peut lui demander d'être le meilleur élève du système capitaliste tout en exigeant que cela se fasse dans un statut second, comme d'ériger dans une démocratie un statut de seconde zone pour les citoyens égaux par définition. Or, des mesures telles que celles évoquées ci-dessus ne font que confirmer la division du pays en privilégiés et en exclus d'une vie de dignité.

Voici donc ce que la Tunisie, pays acacia d'Afrique, dit à ces dirigeants et leurs partenaires et amis d'Occident : broutez des délices de ce pays, mais n'exagérez pas et pensez à son droit à brouter des vôtres; sinon la nature se révoltera. En effet, comme elle a horreur du vide, la nature — surtout humaine — a horreur de l'injustice, particulièrement lorsqu'elle est flagrante et qu'on cherche mensongèrement à le nier.

Farhat Othman

 

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