Bandar ben Sultan, victime majeure de l'hécatombe syrien
Le parrain saoudien des jihadistes anti-Bachar Al-Assad vient d’être démis de ses fonctions, au grand dam des rebelles syriens affaiblis par les coups de boutoir de l’armée de l’homme fort de Damas.
Le chef des renseignements généraux saoudiens, le prince Bandar ben Sultan, qui a fait de la chute de Bachar Al-Assad son affaire personnelle, a été purement et simplement limogé par le roi Abdallah ben Abdel Aziz, après avoir été éconduit par le Kremlin et lâché par l’administration américaine à cause de ses liens étroits avec les groupes jihadistes, notamment en Syrie et en Irak.
Officiellement, le prince Bandar, qui avait été nommé en juillet 2012 à la tête des services de renseignement saoudiens, a été ‘‘démis de ses fonctions… à sa demande’’. Selon Al-Arabiya, la chaîne à capitaux saoudiens basée à Dubaï, citant une source anonyme, ‘‘le prince souffrait de douleurs à l'épaule qui l'empêchaient de vivre normalement. Il a été hospitalisé aux Etats-Unis avant de se rendre au Maroc pour une période de convalescence’’. Et c’est ce que les médias arabes et occidentaux ont répercuté.
En février, des journaux américains, citant des diplomates, avaient également indiqué que Ryad lui avait retiré la gestion de tous les dossiers de renseignement, dont le dossier syrien, pour la confier au ministre de l'Intérieur, le prince Mohamed Ben Nayef Ben Abdel Aziz, à la pointe de la lutte contre Al-Qaïda.
Et c’était faux : Une source saoudienne bien informée a affirmé à ‘‘Leaders’’ que les dossiers avaient été confiés au prince Moqren, l’ex-chef du renseignement, désigné en mars ‘‘vice-prince héritier’’, un poste inédit qui le place en deuxième position dans l’ordre de succession au trône.
http://www.leaders.com.tn/article/arabie-saoudite-un-coup-de-palais-de-l-homme-lige-du-roi-abdallah?id=13684
Le décret royal annonçant mardi le limogeage déguisé du prince Bandar, indiquait que son successeur est son adjoint, le général Youssef ben Ali Al-Idrissi, la première personnalité non-membre de la famille régnante à assumer cette fonction depuis 38 ans. Mais cette nomination est temporaire et il sera, tôt ou tard, remplacé à ce poste ultra-sensible par un Al-Saoud, selon la même source, digne de foi.
‘‘Démis de ses fonctions’’… mais ‘‘pas à sa demande’’
Le prince Bandar s’est certes rendu aux Etats-Unis, mais pour demander au président Barack Obama d’intercéder auprès du roi Abdallah en sa faveur lors de sa récente visite à Ryad, mais l’administration américaine a sacrifié l’émir saoudien sur l’autel du rapprochement, encore timide, entre Washington et Téhéran.
En effet, face à l’enlisement du conflit syrien et aux dérives jihadistes, l’administration Obama n’appréciait plus la gestion du dossier syrien par le prince Bandar qui pour sa part avait reproché à Washington de ne pas être intervenu militairement contre le régime de Damas et de faire pression sur ses alliés pour les empêcher de livrer aux rebelles des armes anti-aériennes et anti-char.
La rage au cœur, l’émir saoudien, baptisé ‘‘Bandar-Bush’’ dans le monde arabe pour ses liens étroits avec l'ex-président américain George W. Bush, est allé ‘‘noyer son chagrin’’ au Maroc, et a manqué la visite, le 28 mars, du président Obama à Ryad, la deuxième en cinq ans.
Mais le prince Bandar n’a pas désespéré d’être ressaisi du dossier syrien. Selon Al-Arabiya, il ‘‘préparait son retour à Riyad pour reprendre les fonctions qu’il continuait à remplir depuis le Maroc où il a rencontré Saad Hariri, le chef du courant libanais Futur, et cheikh Mohammed ben Zayed, le prince héritier d'Abou Dhabi’’, démentant ainsi les analyses ayant fait état de l'éviction du prince Bandar et d’un tournant dans la politique syrienne de Riyad.
Le journal électronique arabe, Elaph -le premier site d'information en continu du monde arabe, créé à Londres en mai 2001 par le journaliste et homme d'affaires et journaliste saoudien Osman el-Omeir, ancien rédacteur en chef du quotidien panarabe Al-Chark al-Awsat- promettait en même temps ‘‘une surprise choquante pour l’Iran, le Hezbollah et tous ceux, de Tel Aviv jusqu’à Washington, en passant par Londres, qui se sont réjouis de la démission ou du limogeage du prince Bander’’, affirmant de sources proches du pouvoir, que ‘‘le chef des services de renseignement est en route pour Ryad pour reprendre ses activités et gérer le dossier syrien’’.
Elaph démentait ainsi les ‘rumeurs selon lesquelles Ryad a hissé le drapeau blanc en signe de capitulation’’. ‘‘Au contraire, la confrontation avec l’Iran et ses alliés dans la région se poursuivra et s’étendra’’, écrivait le site, généralement très bien informé sur les questions arabes, en particulier saoudiennes.
http://www.elaph.com/Web/News/2014/3/889064.html#sthash.2dYU0LVM.dpuf
Échec et mat
Le ‘‘capo di capo’’ de la contre-révolution arabe, l’homme qui a intrigué durant toute sa carrière diplomatique, l’homme des rétro-commissions des transactions militaires saoudiennes, est en effet rentré à Ryad pour jouer sa dernière carte en essayant de rencontrer le roi Abdallah. Mais l’homme fort du royaume, Khaled Al-Twaijri, le chef de cabinet le bras droit du souverain saoudien, lui a barré la route, selon la même source digne de foi.
Le prince Bandar (65 ans) reste encore, en principe, le secrétaire général du Conseil national de sécurité, mais il vient de subir le revers le plus sérieux de sa carrière diplomatique après la fin de non-recevoir que lui avait opposé en juillet dernier le président Vladimir Poutine lorsqu’il était venu le courtiser dans une datcha de la banlieue de Moscou.
Selon la presse internationale, le prince Bandar avait alors proposé à Moscou de renoncer à son soutien au président Bachar Al-Assad et de donner son feu vert aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie. En échange, Ryad s'engagerait à se procurer des armements russes pour 15 milliards de dollars et ne rivaliserait pas avec la Russie sur le marché gazier européen.
‘‘Niet !’’, a répliqué Poutine. ‘‘Notre position envers le régime en Syrie ne changera jamais’’, aurait dit sans équivoque le chef du Kremlin qui devait ensuite qualifier de ‘‘terroriste’’ le régime saoudien, menaçant de ‘‘riposter aux attentats terroristes de Volgograd’’ après que des attentats terroristes de Volgograd eurent été attribués à Bandar ben Sultan, selon les médias russes.
Repositionnement
Mais la reprise en main par le prince Moqren du dossier syrien, accompagnée par un décret prévoyant des peines de 3 à 20 ans de prison pour tout Saoudien se rendant à l’étranger pour combattre, ne signifie pas pour autant que l’Arabie saoudite a cessé de prôner la fermeté face au régime de Damas.
Son prince héritier, Salman ben Abdelaziz, a soutenu à l'ouverture du sommet de la Ligue arabe en mars au Koweït l’octroi du siège de la Syrie à l'opposition off-shore syrienne, et affirmé que ‘‘le rapport de force devra changer sur le terrain des combats’’.
En même temps, le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud Al-Fayçal, a appelé la communauté internationale à prendre des ‘‘mesures fermes’’ contre le régime syrien, lors d’une conférence de presse à Ryad, après la décision de Damas de tenir une élection présidentielle que Bachar Al-Assad remportera sans doute haut la main.
Le dirigeant syrien est d’ailleurs plus confiant que jamais. Il est apparu dimanche à la télévision pour évoquer un « tournant » dans la guerre civile qui déchire son pays depuis trois ans, après les coups de boutoir assenés aux jihadistes par son armée, appuyée par le Hezbollah libanais.
Bref, l’Arabie Saoudite, devenue synonyme de terrorisme et qui craint l'effet boomerang d’un retour de ses jihadistes dans le royaume, est en train de se repositionner. Elle avait besoin de ‘‘donner des gages de bonne volonté au parrain américain’’, comme l’expliquait récemment Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon 2 et directeur du centre de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.
http://www.leaders.com.tn/article/quelles-solutions-pour-nos-djihadistes-de-retour-du-maquis-syrien?id=13429
Habib Trabelsi