Lettre ouverte à Monsieur Mehdi Jemaa, Chef du Gouvernement
Monsieur le Chef du Gouvernement, votre volonté de remettre les Tunisiens au travail; d’imposer le respect de la loi et de restaurer l’autorité de l’Etat est évidente, cela m’a encouragé à attirer votre attention sur certaines problématiques et vous soumettre quelques propositions qui, j’espère, retiendront votre attention et vous aideront dans vos lourdes tâches.
Mes propos concernent l’une des conditions nécessaires à la réussite de toute stratégie de lutte contre deux fléaux dévastateurs, le Terrorisme et la Contrebande, en fait les deux premières priorités nationales du moment. Les objectifs escomptés ne pourront pas être réalisés sans, au moins, l’initiation de certaines vraies réformes au sein de l’Institution douanière qui est l’un des acteurs principaux chargés de mener à terme et concrétiser vos stratégies dans les deux domaines vitaux, la sécurité et l’économie.
Il a été clairement établi que terrorisme et contrebande sont étroitement liés et interconnectés. La guerre au terrorisme et la lutte contre le commerce informel résultant de la Contrebande, comme certains experts militaires l’ont si bien démontré, passent en grande partie par le contrôle efficace des frontières nationales et ce notamment dans la région de Dhehiba-Benguerdane au sud-est et celle de Kasserine à l’ouest. Les services de la Douane jouent sur le terrain, à côté de l’Armée et des Forces de Sécurité Intérieure, un rôle déterminant quant au succès de toute action décidée dans ce cadre et cela justifie largement l’urgence d’ouvrir le dossier des réformes de la Douane. Il est vrai que les urgences du pays sont multiples, mais celle du dossier de la Douane est prioritaire car elle découle directement de l’urgence et de la sensibilité que tout le monde accorde au volet Terrorisme/Contrebande. Il n’est un secret pour personne que la Douane, comme beaucoup d’autres institutions étatiques, soufre de nombreux dysfonctionnements qui affectent directement son efficacité et son aptitude à accomplir sa mission surtout dans la transparence et la légalité recherchées, d’où la nécessité d’initier certaines des réformes incontournables dans l’espoir de les voir menées à terme par vos successeurs.
Certes, des efforts louables, ont été consentis dans ce sens par les responsables de la Douane et le Ministère des Finances, autorité de tutelle; malheureusement sans résultats significatifs, et ce parce que les décisions souffraient de beaucoup d’hésitation et d’incohérence. Il s’agit d’une institution à impacts directs sur des secteurs vitaux pour l’Etat et le pays: les recettes du budget; l’économie en termes d’imports et exports; la sécurité du citoyen recherchée par les différents contrôles des produits importés et aussi la sécurité générale du pays par le contrôle des mouvements transfrontaliers des personnes et des produits. Rares sont les organismes dans le pays qui ont d’aussi larges et aussi sensibles compétences, touchant à la fois aux finances, à l’économie et à la sécurité au sens le plus large. La multitude et la nature des acteurs et l’ampleur des enjeux en rapport avec les missions de la Douane ; dont l’image populaire disons le clairement est plutôt mitigée ; font que les réformes de cette institution ne peuvent être efficacement conduites qu’au plus haut niveau, celui de la présidence du Gouvernement même.
Les réformes à initier d’urgence, à mon avis, doivent porter en priorité sur les dossiers suivants :
1. Les Ressources Humaines
Ce dossier a été, depuis la révolution, longuement remué mais mal géré et surtout exploité par certaines parties, d’où des résultats modestes et surtout très contestables; il suffit de voir les travaux d’avancement en cours qui doivent toucher la grande majorité des douaniers à titre de réparation des injustices de la période pré-révolution (etteswia !). Toutes mes félicitations aux douaniers méritants et dévoués à leur mission qui, heureusement ne sont pas rares au sein de la Douane. Mais peut-on vraiment parler de promotions méritées quand elles sont accordées automatiquement juste pour une ancienneté ne dépassant pas le minimum minimorum d’années exigé pour chaque grade par le statut, et ce abstraction faite de tout autre critère d’évaluation et de sélection dont notamment le mérite, les besoins réels de l’administration dans chaque grade, les vacances de postes fonctionnels…?! Ce mode d’avancement (Avancement Généralisé Automatique au Minimum d’Ancienneté Statutaire) est appliqué à chaque agent autant de fois que son ancienneté dans le service le permet !!! Ainsi, on peut être instantanément promu non seulement au grade directement supérieur mais à celui deux, trois et même quatre fois supérieur, de capitaine à colonel-major et d’adjudant chef à lieutenant par exemple. Pire encore, on passe d’une catégorie à l’autre toujours sans aucune formation, ni préparation à la fonction correspondante au nouveau grade! Ainsi la Douane comptera très bientôt plusieurs centaines de colonels, plus de soixante dix colonels-majors et une bonne poignée de généraux, bref de quoi bien encadrer toute une armée(!). Ce sont là, des mesures vraiment révolutionnaires( !) dignes du livre des records «Guiness» mais dont les retombées néfastes sur l’institution sont certaines et ne se feront pas longtemps attendre. A t-on songé un instant à l’impact de ces mesures sur le moral de l’ensemble du personnel douanier et sur l’harmonie de la pyramide des effectifs dans les différentes catégories du personnel et sur le mode d’avancement pour les années à venir ? La raison veut qu’on gagne son grade par le labeur, la compétence professionnelle, le rendement et les prédispositions au grade et aux responsabilités supérieurs.
Naturellement, décerné comme le prévoit «etteswia», le grade perd toute signification et valeur. Une grande hérésie aux conséquences dramatiques sur le fonctionnement, le rendement et l’avenir de cette institution de première importance! Le comble est que cette mascarade ne concerne pas seulement la Douane, hélas d’autres corps sécuritaires l’ont devancée dans cette démarche. La Réparation des injustices suite à une révolution, est non seulement souhaitable mais absolument indispensable; seulement, elle doit et peut avoir lieu tout en respectant les principes fondamentaux de bonne gestion des ressources humaines dont notamment le mérite, la recherche du bien des agents mais sans jamais porter préjudice au bon fonctionnement de l’institution. Les promotions automatiques sans considération aucune du critère de mérite, sont dévastatrices quand à l’esprit d’abnégation, de dévouement de l’agent et ne font qu’encourager la médiocrité, le laisser-aller, et l’inefficacité…ce qui favorise fatalement le développement de la corruption.
2. La Corruption
Quoiqu’on fasse et quoiqu’on dise, les services douaniers resteront négativement affectés par ce dossier tant qu’il n’est pas traité une fois pour toute en profondeur, d’une façon juste et exhaustive. Certes, les Services de la Douane ne sont pas les seuls vrais responsables; au contraire les acteurs impliqués sont nombreux et d’horizons divers ; les enjeux eux, sont énormes. Entre temps, le mal persiste et ronge l’économie nationale, et ce au grand dam de la révolution et de ses idéaux.
Comment aborder cet épineux dossier?
D’abord, surtout ne pas attendre l’hypothétique justice transitionnelle qui viendrait très en retard si jamais un jour, quelqu’un voudrait bien et oserait la mettre en œuvre. Sans tarder donc, il y a urgence de créer une commission nationale et la charger de ce dossier «la corruption en rapport avec la Douane» je n’ai pas dit au sein de la Douane. Dans un souci de recherche d’un minimum de transparence, de justice et d’efficacité, cette commission doit être constituée de deux ou trois représentants de chacune des instances suivantes:
- Le Contrôle Général des Finances (CGF), du Ministère des Finances;
- Le Comité du Contrôle Général des Services Publics, de la Présidence du Gouvernement;
- La Commission Anticorruption, de l’Assemblée Nationale Constituante;
- Le Corps des Experts Comptables, de la Société civile.
- Et pourquoi pas des représentants des médias.
Avec une telle commission, forte de la représentation des plus hautes instances du pays et multisectorielle, on peut espérer conclure ce dossier et pourquoi pas le fermer une fois pour toute; ce qui soulagera la Douane de ce lourd héritage et la libérera définitivement des soupçons qui pèsent sur elle pour se consacrer, dans un environnement sein, à l’accomplissement de ses missions institutionnelles et par là contribuer efficacement au redressement des situations sécuritaire et économique du pays. Sans s’attaquer à la corruption dans le pays et à celle en rapport avec les services douaniers, il est naïf d’espérer voir réussir même les meilleurs programmes et tentatives de redressement du pays.
3. Le Système D’information De La Douane
La Douane était leader dans le domaine informatique, aujourd’hui son système SINDA est pratiquement dépassé, tant sur le plan des technologies informatiques utilisées qu’au niveau de la mise en service de nombreuses applications dont certaines sont déjà développées mais toujours dans les étagères ; alors qu’elles peuvent bien rendre des services extrêmement utiles et aux opérateurs économiques et à l’Administration même. Il y a grande urgence à doter la Douane d’un système d’information digne d’une douane moderne, en mesure de soutenir le commerce extérieur et par là l’économie nationale.
Evidemment, la réforme de la Douane touche à plusieurs autres dossiers, tous importants, là se ne sont que les plus brulants.
Monsieur le Chef du Gouvernement, il est vrai que le pays confronte des défis énormes et multiples, alors que le temps dont vous disposez est très court. En revanche, vous disposez d’un capital confiance et préjugé favorable non négligeable, investissez le dans des décisions qui servent le pays, elles ne seraient peut-être pas populaires et vous vous heurteriez à des résistances, tenez bon, le peuple peut ne pas les applaudir dans l’immédiat, mais avec un effort pédagogique soutenu il y a grand espoir qu’il vous soutiendra avec force à mesure qu’il perçoit l’intérêt et le vrai sens de vos actions et le sérieux de votre travail.
Ce n’est pas grave si l’échéance des élections projetées ne vous permet pas d’achever de telles réformes, l’histoire retiendra non seulement que vous avez vu juste, mais que vous avez surtout osé agir dans le sens du devoir malgré les risques politiques. C’est peut-être ce qui a manqué à vos prédécesseurs post-révolution : le courage de prendre les décisions nécessaires pour préserver l’intérêt du pays, peut-être par crainte et calcul électoraliste. Heureusement, vous êtes libre de cette contrainte. Désormais, la situation du pays est telle que les dirigeants politiques et administratifs n’ont plus beaucoup d’options, ils sont condamnés à prendre de plus en plus des décisions impopulaires, mais nécessaires. M. Mehdi Jemaa, les grands hommes sont ceux qui osent quand les autres hésitent. Tant que votre action reste guidée uniquement par l’intérêt national, vous n’avez rien à perdre mais tout à gagner. Par ailleurs, le peuple apprécie et respecte les dirigeants à poigne tant qu’ils restent intègres et agissent réellement pour l’intérêt du pays. Donc plus de détermination et surtout beaucoup de pédagogie envers le peuple, expliquez-lui le sens de vos décisions, démontrez-lui qu’elles visent réellement l’intérêt du citoyen et du pays, utilisez un langage direct, sincère, commun au peuple et celui-ci finira par vous suivre.
Que Dieu garde la Tunisie.
Abou yassine
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je soutiens parfaitement l´idée que le chef du gouvernement intervienne auprés du people pour lui expliquer la situation de la Douane Tunisienne et de lui dire quelles sont les mesures qu´il faut prendre pour trouver une solution aux problèmes de liés à la Douane.
L’auteur signe d’un pseudo et c’est son droit aussi longtemps que sa lettre destinée à un chef de gouvernement « provisoire et consensuel » dont la tache fondamentale consiste –faut –il le rappeler- à éviter que la barque chavire avant d’atteindre le port des prochaines échéances électorales ne porte pas atteinte ni offense à un corps de métier dont la mission est aussi vitale à l’économie d’un pays que le sang pour le corps. Une remarque et une interrogation s’imposent toutefois s’agissant de ce remède « miraculeux « que l’auteur préconise sous forme de « commission ». La remarque : en énumérant les composantes de cette commission,(cgf,ccgs,ca..) il daigne de citer enfin « et pourquoi pas des représentants des médias » !.Permettez que si les médias avaient un accès à l’info, beaucoup de magouilles et des cas de corruption auraient été débusqués à temps- C’est très facile de jouer aux pompiers à posteriori… L’interrogation découle de la remarque .En effet, si les services nommés et devant faire partie de la dite commission étaient astreints – avant la révolution du peuple - à l’autorégulation et la reddition on n’en serait pas encore à remâcher le discours « de l’intérêt général » et à tirer ENCORE la corde vers des mesures impopulaires contre le peuple dont « les élites » auto- proclamées ne font qu’étouffer chaque jour un peu plus-?
il faut faire la distinction entre la commerce parallèle et la contrebande. A titre indicatif, les produits provenant de la Libye passent tous par le poste frontalier de Ras Jedir et sous les yeux des agents douaniers. De plus, les transporteurs des produits sont obligés de passer par le service scanner d'inspection, ainsi cette liaison trompeuse avec le terrorisme n'est pas juste. D'ailleurs en Tunisie, pour éradiquer un adversaire ou plutôt un rival, le plus court chemin c'est de lui impliquer dans le terrorisme. Malheureusement dans cet article l'écrivain inconnu a dévoilé le problème sans proposer des solutions réelles, efficaces et applicables.Une question cruciale qu'il faut aborder en ouvrant ce dossier: quelles sont les motivations et les facteurs qui ont conduit au développement du commerce parallèle? La réponse est évidente, mais étant donné que certains responsables, hommes d'affaires ou encore des médias ne cherchent qu'augmenter leurs propres richesses, ils traitent ce dossier comme un outils pour atteindre leurs buts personnels. La marginalisation, le chômage, la disparité régionale et les problèmes de développement sont à l'origine de cet affaire. Ainsi, l’accusation des citoyens des régions frontaliers d’être des contrebandiers et la proposition d'une solution stricte et instantanée n'est pas la meilleures procédure. En premier lieu il faut trouver les alternatives pour ces chômeurs et ces citoyens et réglementer ce marché qui a devenu un asile de la classe moyenne contre les prix abusivement élevés. C'est primordial d'instauré l'égalité sociale, d'accorder les mêmes chances et droits au développement pour tout les tunisiens.