Faut-il des relations diplomatiques avec Israël?
C'est la question du jour qu'il nous faut avoir le courage de poser si on veut rompre avec la confusion des valeurs dans laquelle on nage avec volupté, une confusion génératrice de turpitudes politiques. En effet, on se dit démocrates, et on se permet d'exclure autrui. On dit être attaché à la légalité, et on renie celle régissant les rapports internationaux. On se réfère aux valeurs de justice et on amalgame injustement les ressortissants innocents d'un État et la politique injuste de son gouvernement.
C'est de tout cela qu'il s'agit avec le mélodrame que nous jouent certains députés à l'assemblée du peuple. Et on prétend parler au nom d'un peuple qui est le premier à dénoncer une telle bouffonnerie.
Un comportement irresponsable
Car, d'abord, le peuple tunisien n'est pas xénophobe. Il est certes pour les droits légitimes du peuple palestinien, mais nullement pour le moindre ostracisme contre ses ressortissants. Ils sont les bienvenus en Tunisie terre d'accueil et de fraternité. Et cette fraternité transcende lesol de l'islam, car notre religion est œcuménique. À continuer comme on le fait, ignorant les réalités du monde, reniant la légalité internationale de l'existence d'un État que les premiers intéressés, les Palestiniens, ont reconnue, on ne fait que disparaître du concert des nations.
On sera comme des morts. Dans L’envers et l’endroit, Albert Camus raconte l’histoire d’une vieille qui achète grâce à un héritage une concession dans le cimetière de la ville pour y reposer à sa fin. Elle se met à y aller tous les dimanches le fleurir. À la Toussaint, arrivée plus tard que d’habitude, elle trouve le pas de la porte de la tombe jonché de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant une tombe laissée sans fleurs avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même . Et elle comprit qu’elle était morte aux yeux du monde! C’est aussi le cas de la cause de Palestine, juste à nos yeux, mais injuste aux yeux du monde du fait de notre comportement irresponsable.
À trop se couper du monde, à trop refuser une légalité universelle même injuste, mais s’imposant à tous, on se coupe de ce monde et on verse dans l’illégalité. Le choix est alors simple: relever de la civilisation ou de la barbarie. L’agitation qui secoue l’Assemblée nationale serait rocambolesque si elle ne traduisait un malaise réel et une hérésie politique. Celle de se prétendre démocrates tout en rejetant l’autre, ou d'appeler Israël à reconnaître les droits des Palestiniens tout en continuant à nier son existence. Oui, Israël pratique certainement à l’égard des populations palestiniennes une politique de racisme déguisé; mais comment le lui reprocher quand on agit pareillement ?
De la responsabilité en politique
La réalité d’Israël est incontournable, elle a la légalité internationale pour elle. À quoi bon nier inutilement cette réalité? Est-ce par compensation, pour occulter les remords d’une conscience trouble, flirtant avec le rejet d’autrui qui n’est que notre propre reflet? Certes, la politique vicie tout; mais n’est-ce pas l’honneur des justes de se garder des vices et de faire triompher les valeurs? Sommes-nous vertueux en appelant à la vertu? Est-ce que nous nous montrons justes en dénonçant l’injustice qui nous est faite tout en la pratiquant? La Tunisie ne peut aller trop longtemps à contre-courant du sens de l'histoire, rester ainsi assise entre deux chaises; elle doit choisir. Faire une politique des valeurs et se comporter comme les Palestiniens eux-mêmes, avec la possibilité de dire leurs vérités directement aux Israéliens et dénoncer leurs turpitudes.
Ou continuer dans la confusion actuelle des valeurs qui n’est qu’une négation de ce qui fait l’essence tunisienne, l'ouverture sur autrui d'une terre de paix et de tolérance. Il est temps de poser courageusement la question qui fâche à l’occasion du débat grand-guignolesque que s’offre notre auguste Assemblée: faut-il établir des rapports avec Israël?
Que tout un chacun assume ses responsabilités en démontrant s’il est réellement pour la question palestinienne ou cherche juste à en profiter pour des considérations de basse politique sur le dos des Palestiniens. Aucun pro Palestinien ne doit hésiter de suivre l’exemple des premiers concernés; c’est les aider que de les épauler à revendiquer leurs droits légitimes. Le premier de ces droits est de revenir à la légalité internationale.
Celle-ci, tout en créant l’État d’Israël, a créé l’État souverain de Palestine sur un territoire qui a été depuis spolié, et il doit lui être restitué, sinon, c’est la négation même de l’État israélien.
Ne pas reconnaître Israël, c’est se priver de tout moyen de réclamer cette légalité de deux États dans les frontières du partage. Car, pour Israël, ignorer cet État palestinien, c'est ipso facto rayer sa propre légalité.
Ce piège redoutable, Israël y échappe grâce à notre ineptie politique faisant de nous ses meilleurs alliés.
Osons donc reconnaître l'évidence de l'État d'Israël, c'est automatiquement rappeler cette autre sans laquelle l'État d'Israël n'a plus de base légale. Voilà ce que disait depuis longtemps Bourguiba; il est enfin temps de le réaliser.
Farhat Othman