Tourisme, oui...mais sans perdre notre âme
«Il semble même que les Arabes soient avant tout contre les Arabes, contre eux-mêmes, les uns contre les autres. Et que l’étranger agressif, colonisateur, combatte les Arabes par des Arabes.» Adonis in «Printemps arabes. Religion et Révolution» (Editions de la Différence, Paris, 2014).
Le débat qui a lieu dans le pays à propos des touristes détenteurs de passeports israéliens est un indicateur de la maturité de notre pays et une preuve que la démocratie fait du chemin en Tunisie.
Bien entendu, tout ce qui brille n’est pas or. Cette question est en effet instrumentalisée par certains politicards qui n’ont jamais brillé, eux, par de la suite dans les idées… comme on l’a vu lors de l’élaboration de la Constitution. A travers la juste cause de la Palestine, ils s’en prennent au gouvernement de M. Jomaa. De leur côté, un certain nombre de fonctionnaires, en dévoilant cette affaire, auraient de sombres visées et des comptes à régler. Pourtant, sous la dictature de Ben Ali - qui voulait inviter à Tunis Sharon le boucher de Sabra et Chatila - ils étaient muets comme des carpes alors que de nombreux touristes israéliens se pavanaient à Dougga et ailleurs… quand le peuple tunisien était enchaîné et ne pouvait dire son fait au laquais des intérêts américano-israéliens. De même, lors du long passage de la Troïka au pouvoir, ces agents n’ont pas senti le besoin d’éclairer le public sur ces entrées d’Israéliens.
Mais, face à ces manœuvres de basse politique, faut-il éviter le débat et la réflexion sur l’admission de ces «touristes» dans notre pays?
Il faut tout d’abord le dire haut et fort : Honte à ceux qui magouillent sur le dos du peuple palestinien, peu soucieux de ses martyrs, de ses prisonniers, de ses souffrances, de ses oliviers arrachés et de son eau volée. Honte à ceux qui, incapables de se prononcer sur le code électoral à l’ANC et incapables de faire face à la crise économique recourent à de vils procédés au prétexte de lutte contre le sionisme. La Tunisie n’a jamais abandonné la Palestine: des centaines de jeunes Tunisiens sont partis combattre les sionistes en 1947 et, suite à la guerre du Liban, c’est chez nous que l’OLP et Arafat ont trouvé refuge. Aujourd’hui, certains tentent de nier la centralité de la question palestinienne. Adonis note : «La mémoire de la Méditerranée, celle des trois religions monothéistes, réveille sur un plan universel, d’autres guerres. Mais cette fois au nom des libertés, des démocraties, des droits de l’homme, avec une seule exception : condamnation de la Palestine - toujours «prisonnière», jetée «à jamais» dans le silence». («Printemps arabes. Révolution et Religion», Paris, 2014, p.49)
Il est vrai que tourisme et agriculture sont les mamelles de notre économie. Mais le peuple tunisien n’est pas frappé d’amnésie et le souvenir du bombardement de Hammam Chott en 1985 est encore vif pour tous les Tunisiens, tout comme l’assassinat d’Abou Jihad en 1988. Ces actes-là ne sont que l’œuvre d’un Etat–voyou qui n’obéit à aucune morale ni à aucune loi internationale. Israël a ainsi foulé aux pieds la souveraineté de notre pays. Non, les Tunisiens ne sont pas amnésiques et ils font mentir la prédiction de David Ben Gourion… qui comptait sur «la mort des vieux et l’oubli des jeunes» pour justifier les agressions et l’expansionnisme d’Israël. Les Tunisiens s’agenouilleraient-ils pour quelques shekels devant l’Etat qui se targue de posséder la quatrième armée du monde et dont les sous-marins rôdent le long de nos côtes ? Contrairement à l’empereur Vespasien, les Tunisiens ne diront pas que l’argent n’a pas d’odeur ! Les évangélistes du marché et les adorateurs du Veau d’Or – sous couvert de neutralité - jouent les chiens de garde alors qu’il s’agit de liberté, de dignité et de libération des peuples.
Oublient-ils qu’ «une injustice faite à un seul est une menace pour tous» ?
Ne voient-ils pas qu’Israël attaque et assassine tout azimut : le Liban, Gaza, les bateaux turcs et autres en pleine mer, dans les eaux internationales ? Qu’il menace l’Iran pour demeurer seule puissance nucléaire de la région ? Qui peut empêcher les bellicistes de Tel Aviv de rééditer Hammam Chott ?
La Tunisie accueille tous ses visiteurs dans la dignité et le respect mutuel. La Ghriba est un élément important de notre patrimoine et les pèlerins sont bienvenus. Mais le titulaire d’un passeport tunisien peut-il aujourd’hui visiter Jérusalem ou Bethléem ? Non, bien entendu. Or, les rapports entre les Etats se font, en général, sur la base de la réciprocité(1). En Israël, même les titulaires de passeport états-unien ont des difficultés à franchir la frontière dès lors que leur nom a une consonance arabe ! Que dire alors du Tunisien ?!
Certains avancent que la Jordanie et l’Egypte ont reconnu Israël. Cet argument est fallacieux car tout le monde sait que l’argent américain a joué un grand rôle dans cette reconnaissance que rejettent unanimement les peuples jordanien et égyptien. Comme le prouve ce qui est arrivé à l’Ambassade israélienne au Caire à la Révolution. A l’époque de cette reconnaissance du reste, Israël n’exigeait pas qu’on le reconnaisse comme un «Etat juif» comme il le fait maintenant. De plus, techniquement, la Ligue Arabe - dont la Tunisie est membre - ne reconnaît pas Israël. Dans ses «Dix thèses sur les révolutions arabes actuelles» (Al Hayat, 26 mai 2011) Adonis conclut sa huitième thèse ainsi : «Voici un objet de dérision : cet Occident politique prétend… qu’il défend les droits des musulmans. L’ironie, c’est que nombre de ces derniers le croient et s’allient à lui. Et il est plus ridicule encore cet Occident qui ne cesse pratiquement depuis la fondation d’Israël, de dédaigner les droits des musulmans, d’encourager cet Etat à les braver, les écraser en Palestine. Cette hypocrisie que l’Occident exerce envers les Arabes et les musulmans est une autre forme de la colonisation culturelle. L’Occident détruit les Arabes.» La Tunisie ne saurait se joindre à cette phalange!
Pour certains médias, ces Israéliens venaient aussi pour visiter de la famille et se recueillir sur les tombes de leurs parents. Notre pays est un pays ouvert et tolérant mais faut-il rappeler ici que la Palestine est le seul pays occupé au monde en ce XXIème siècle et que son peuple n’a aucun droit ; il ne peut se déplacer, pris en otage par Israël, au mépris de la 4ème Convention de Genève. Faut-il rappeler que des milliers de familles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent rendre visite aux leurs, depuis des décennies, car l’occupant israélien ne consent pas à leur donner les autorisations nécessaires ? Pour ne rien dire des terribles obstacles que sont les check points et le Mur de l’Apartheid condamné par la Cour de Justice Internationale. Adonis encore :«… Les dirigeants occidentaux défendent les droits de l’homme dans les pays arabes, du Golfe à l’Atlantique, pourvu qu’ils n’englobent pas ceux des Palestiniens. Ces derniers, aux yeux des défenseurs américains et européens, constituent, par leur simple présence, un outrage à l’idée abstraite qu’ils se font des droits de l’homme….»
Aujourd’hui, mardi 19 avril 2014, les négociations - alibi pour Netanyahou qui n’a jamais cru à la paix- entre les Palestiniens et Israël ont échoué. D’après Médiapart, mi-janvier 2014, Tzipi Livni, ministre de la justice, chargée de ces pourparlers affirmait : «Le monde ne comprend pas les implantations (israéliennes en Cisjordanie). Les négociations de paix constituent une véritable digue contre cette vague» (du boycott international). Interrogée sur l’isolement d’Israël, par comparaison à celui de l’Afrique du Sud de l’apartheid des années 1970, elle répond clairement : «Je crie : «réveillez-vous»»
A l’heure où le mouvement de boycott des produits israéliens – et son boycott culturel par des artistes, des universitaires et des sportifs- prend de l’ampleur dans le monde (Cf Pierre Puchot, «Israël s’inquiète du boycott international»,Médiapart, 26 avril 2014)), à l’heure où John Kerry en personne qualifie Israël de «pays d’apartheid» et à l’heure où des banques hollandaises (PPGM) et danoises (Danske Bank) se retirent d’Israël ainsi que des entreprises néerlandaises (Vitens, fournisseur d’eau potable), les Tunisiens peuvent-ils abandonner le peuple arabe de Palestine aux griffes des colons et du gouvernement extrémiste et raciste de Netanyahou, élu par la majorité des Israéliens ? Incapables de faire la paix avec les Palestiniens….à cause de tout le mal qu’ils leur ont fait, pour paraphraser le regretté Edward Saïd.
Israël ne peut faire la paix sans pressions internationales. Cette paix est nécessaire pour la stabilité de la région et donc de notre pays. Il nous faut donc joindre nos efforts à tous ceux qui œuvrent pour la paix en Palestine. Toute l’histoire de notre peuple prouve qu’il chérit la paix. Et qu’il ne voue de haine pour personne…dès lors que sa dignité, son honneur et sa liberté sont respectés.
(1) Bien sûr, la réciprocité est un concept…qui rappelle la fable de Jean de la Fontaine «Le loup et l’agneau»! Rappelons que pour avoir le droit de poser le pied sur le sol de France, le Tunisien doit fournir : justificatifs du motif du séjour, bulletins de salaire, relevés bancaires, assurance rapatriement, justificatifs des moyens de subsistance, conditions d’hébergement en France et tout document prouvant l’intention de quitter le territoire à l’expiration du visa – sans oublier les cent euros non remboursables ( il n’y a pas de petit bénéfice en ces temps de disette) si le visa est refusé (Cf site de l’Ambassade de France à Tunis). A noter que certaines mairies UMP ou FN (Orléans, Béziers…) ont nommé des conseillers municipaux chargés de la chasse aux immigrés et qu’obtenir de ces gens un certificat d’hébergement relève du rêve!
Mohamed Larbi Bouguerra