Mehdi Jomaa en a gros sur le cœur
Mehdi Jomaa en a gros sur le cœur et il fait savoir. Lui si discret, toujours souriant et affable a fini par montrer son courroux. Mais avec calme et sérénité. De retour de Paris, il l’a fait savoir aux journalistes venus participer à sa conférence de presse. Ses visites à l’étranger n’ont pas pour finalité d’aller demander de l’argent a-t-il dit le ton grave en disant qu’il ne se répétera plus sur cette question. Il a raison car on n’a pas seulement dit que les résultats de ses déplacements à l’extérieur s’évaluent à l’aune des sommes qu’il a pu engranger mais on l’a aussi accusé d’être allé «mendier», ce qui est pour tout homme politique et pour tout homme tout court la pire des insultes.
Il faut bien comprendre que M.Jomaa a raison d’aller de part le monde plaider la transition démocratique de la Tunisie et lui rassembler des soutiens. Si besoin sous forme de crédits, d’aide ou mieux de possibilités de coopération. C’est son rôle et sa fonction. En prenant en main le dossier diplomatique et malgré les risques de se voir critiquer de marcher sur ses plates-bandes du président provisoire, il était conscient de l’utilité de sa démarche car le monde entier était admiratif de la réussite de la Tunisie à finaliser une constitution consensuelles et à préparer le terrain à des élections libres transparents aux standards internationaux, si possible avant la fin de l’année.
Le gouvernement de compétences qu’il dirige depuis presque cent jours a entamé la phase la plus délicate de la transition, la phase économique et financière. Après l’euphorie politique de l’appropriation des droits fondamentaux et des libertés publiques dont particulièrement la liberté d’expression, de presse et d’information, il est venu le moment le plus délicat celui de faire des réformes qui permettent aux Tunisiens qui ont fait la révolution pour l’emploi et la dignité de ressentir des changements notables dans leur vie de tous les jours sur ces plans –là, aussi et surtout.
Qu’il profite de cette opportunité pour aller présenter les espérances de la Tunisie et des Tunisiens et à l’occasion solliciter la coopération des pays frères et amis et des organismes économiques et financiers internationaux, quoi de plus normal. M. Mehdi Jomaa a toujours insisté sur le volet «coopération» qui comme son sens l’indique bien est de faire «œuvre commune» où «les droits sont égaux» et les «intérêts communs». Les pays visités sont eux aussi dans une « mauvaise passe » économique et sociale. Les Etats unis enregistrent des déficits faramineux qui ont obligé l’état fédéral sous des présidents successifs de se déclarer en «cessation de paiement» en attendant l’approbation du Congrès à plus d’endettement. La France, elle, s’enlise dans le chômage contraignant le Président François Hollande à conditionner sa candidature à un second mandat en 2017 à une «embellie» sur le front du chômage. De ce point de vue «la Conférence des Amis de la Tunisie» annoncée par le chef de l’Etat français et qui devrait se tenir en septembre prochain pour booster la coopération et l’investissement dans notre pays est certainement une bonne initiative
Mais au vu des «difficultés économiques du moment» plus graves que prévu, selon le Chef du Gouvernement lui-même, les Tunisiens ont raison d’interroger Mehdi Jomaa à son retour de chaque voyage : «qu’a-t-il rapporté dans sa besace». Car après avoir minimisé les difficultés économiques du temps de la Troïka en les jugeant «inhérentes» à toute transition démocratique, on s’est mis soudain à grossir le trait. Le gouvernement serait incapable de payer les salaires d’ici fin juillet, a-t-on laissé entendre après quoi on s’est rétracté en indiquant que l’Etat dispose de moyens et de mécanismes appropriés pour régler les traitements de ses fonctionnaires y compris en recourant à la planche de billets, même si cela n’est pas dit explicitement.
On attend le discours de M.Mehdi Jomaa à l’occasion des cent jours de son gouvernement autour du 9 mai pour qu’il expose l’état de la Tunisie et qu’il explique comment il va s’en prendre régler la crise conjoncturelle et structurelle qu’elle traverse et pour honorer les engagements de la «Feuille de Route» en vertu de laquelle il a été désigné et son gouvernement constitué. Jusqu’ici les Tunisiens n’ont pas été avares de soutien à son égard. Sa cote de confiance atteint des sommets avec plus de soixante pour cent selon le dernier baromètre d’Emrod Consulting, la meilleure cote d’amour de tous les chefs du gouvernement qui l’ont précédé. Il a l’obligation de les rassurer sans pour autant leur cacher la vérité. Tout cela dépend de sa politique de communication. Jusque là elle a été plutôt déficiente. Espérons qu’il saura trouver les mots justes et la communication adéquate.
Raouf Ben Rejeb