Après les révélations de 'Aziz Krichène : "Le roi est nu"
Ils étaient déjà treize à quitter le navire en perdition. La plupart sont partis sur la pointe des pieds. Ce ne sera pas le cas du quatorzième et le plus proche du prince. Aziz Krichène a promis de tout dire après son départ (sa démission a été acceptée le 2 mai). Dans son interview vendredi à Telvza tv, il ne nous dit pas tout, ne donne pas de noms et, en fait de révélations, on a droit à une confirmation de toutes les rumeurs qui circulent. Mais son mérite est de nous aider à ordonner les pièces du puzzle et de nous fournir les clés pour comprendre une politique qui présente malgré les apparences, une certaine cohérence et tend vers un seul objectif.
Qu’est-ce qui a motivé sa démission et pourquoi a-t-elle tardé ? : «On n’a rien compris à Moncef Marzouki, à ses reniements, ses volte face répétées, son flirt avec Ennahdha, son laxisme envers les intégristes et tous les Ricoba, ses attaques contre l’opposition, ses tentatives de sabotage du Dialogue national, si on n’a pas saisi le soubassement de son action : rester président de la République.C'est une idée qui le taraude, l'obsède depuis... son entrée à Carthage, il y a deux ans».
«On ne peut courir deux lièvres à la fois, s’exclame Krichène, remplir ses fonctions de président, tout en étant candidat à sa propre succession. Il aurait dû être au-dessus de la mêlée, en se maintenant à égale distance de tous les partis, être le président de tous les Tunisiens au lieu d’être un chef de clan. Résultat, c'est l'institution qui en sort affaiblie, discréditée aux yeux de tous».
«Dès 2012, après la création de Nidaa Tounès, Marzouki s’est rapproché d’Ennahdha, convaincu qu’il était que seul l’appui d’un grand parti pouvait lui permettre de remporter les élections présidentielles. En juillet 2013, c'est l'assassinat de Mohamed Brahmi. Une grave crise à la fois institutionnelle et politique s'ensuit. L'opposition boycotte les travaux de l'ANC, certains rêvent même d'un scénario à l'égyptienne (l'armée venait de déposer Mohamed Morsi), alors que les ultras d'Ennahdha, le CPR et ses dérivés poussent à l'affrontement avec des arrestations massives ». C'est le scénario égyptien à l'envers. On est au bord de la guerre civile. Heureusement, note Krichène, Ghannouchi a fait pencher la balance en faveur des colombes au sein de son parti, alors que Ben Jaafar a suspendu les travaux de l'ANC, histoire de calmer les esprits». De Béji Caïed Essebsi, Aziz Krichène ne dit mot. Pourtant, c'est le fondateur de Nidaa Tounès qui a fait le premier pas en direction d'Ennahdha en appelant, publiquement, au cours d'une déclaration mémorable à Nessma, Rached Ghannouchi à une paix des braves.
Et la présidence dans tout cela? «Elle était totalement absente», déplore Krichène. « Ayant choisi son camp, elle n'était pas qualifiée pour jouer les arbitres.C'est d'ailleurs, ce qui m'a incité à démissionner. J'ai dû y renoncer sur l'insistance de certains partis», ajoute-t-il. Aujourd’hui, je suis décidé à quitter mon poste. Car les dérives se sont poursuivies. C'est la fuite en avant avec toujours en point de mire les élections présidentielles, c'est une idée fixe chez lui. C'est ce qui explique son attitude plus que réservée envers le nouveau gouvernement auquel il n’épargne pas les crocs en jambe. Il n'a pas compris que dans les circonstances actuelles, il doit être le rassembleur des Tunisiens et que depuis l'été dernier, la légitimité électorale a vécu pour céder la place à une légitimité consensuelle».